mardi 23 avril 2024
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Un pouvoir régional qui peine à s’imposer, par LAURENT JALABERT

Cet ouvrage collectif s’essaie à dresser un premier bilan de la fusion des régions françaises issue de la réforme Hollande de 2015. Il alterne entre quelques présentations ou propos généraux et des analyses plus centrées sur la région Occitanie en elle-même. (a/s de Emmanuel Négrier et Vincent Simoulin (dir.), La fusion des régions, le laboratoire d’Occitanie, Grenoble, PUG, 2021, 298p, 25€)

L’ouvrage se présente en deux parties, l’une plutôt historique revenant sur les trajectoires des deux anciennes régions, Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon ; la seconde sur les politiques mises en œuvre par le nouveau pouvoir régional, visant à fusionner des mécanismes de gouvernance bien ancrés. 

Identité régionale
Le volet historique débute par quelques passages qui reviennent sur la difficile question de l’identité régionale, à commencer par un nom, assez controversé, tant à l’intérieur de la nouvelle région, par sa branche catalane, qu’à l’extérieur, notamment dans une partie de l’Aquitaine. Si l’histoire de l’Occitanie peut être retracée, celle de la revendication régionaliste (P. Alies et D. Canavate) renvoie au dernier demi-siècle et s’inscrit dans une résurgence plus globale du fait régional dans le pays, qui est passé dans le territoire par la naissance de deux régions administratives bien différentes dans leurs évolutions respectives depuis leur institutionnalisation au début des années 1970 et surtout à partir des lois de décentralisation de Gaston Defferre. Ces différences sont électorales (chapitre 2), mais aussi dans les dynamiques qui s’y sont déployées, notamment en matière d’aménagement du territoire où Marie-Christine Jaillet et Philippe Estèbe montrent qu’elles furent plus dos-à-dos ou face-à-face qu’en harmonie. Aussi, la perspective de la fusion est complexe, tant en raison du scepticisme des élus (chapitre 3) que des cultures administratives bien ancrées qui imposent des revirements soudains sans préparation du fait de la soudaineté de la loi comme le notent les deux directeurs dans l’introduction générale. Aussi, observer à l’échelle de la région les mécanismes qui y ont vu le jour permet de mesurer comment la fusion à pu s’y déployer.

Difficultés
Cinq politiques publiques sont présentées pour essayer de porter une analyse approfondie de la nouvelle gouvernance régionale. Les textes montrent toute la difficulté à passer de politiques très différentes d’une région à l’autre, à des politiques unifiées. L’exemple d’un enseignement supérieur très territorialisé entre les deux régions en est particulièrement frappant. Entre des établissements qui sont souvent très différents et se veulent plus en concurrence que complémentaires, la région peine à poser ou imposer une politique visible, montrant toute la limite de la fusion.

À quelques mois de l’élection régionale 2021, cet ouvrage illustre les difficultés pour les nouvelles régions fusionnées de trouver une nouvelle gouvernance affirmée, susceptible d’intégrer au mieux des héritages antérieurs parfois très différents. Le laboratoire de l’Occitanie révèle que la démarche choisie par la présidence régionale, qui a essayé de ménager les lignes antérieures et les notabilités, a été lente à se mettre en œuvre, générant quelques tensions et frustrations qui ont quelque peu mis à mal l’affirmation du nouveau territoire régional. Pour autant, la nouvelle région est en construction, et finit par être acceptée. 

Quel type de fusion ?
À la fin de la lecture de ce livre, il semble cependant indispensable de porter des regards comparatifs avec d’autres espaces régionaux, dans lesquels les processus de fusion ont été très différents, comme en Nouvelle Aquitaine, où les trois entités régionales fusionnées ont été soumises à une recentralisation bordelaise, sur un mode de gouvernance bien plus affirmé qu’en Occitanie. Plus que la diversité des héritages, c’est ici surtout la recherche d’une coopération et d’une complémentarité qui a été imposée par le haut par la présidence régionale, en témoigne la politique pour l’enseignement supérieur, très incitative, généreuse, mais imposant la création de réseaux de recherche et d’enseignement forts et structurants entre les établissements qui n’ont eu guère pour choix que de s’adapter. 

Il reste à s’interroger sur le rôle et la place que les nouvelles régions fusionnées trouveront dans l’ensemble républicain. La très centralisée présidence jupitérienne en place depuis 2017 a laissé peu de place à l’affirmation du pouvoir régional, ce que la gestion de la crise sanitaire de la Covid a révélé de façon marquée pendant la première année. La difficulté pour Paris à accepter des gestions différenciées de la crise, par la délégation croissante de pouvoir aux pouvoirs locaux, a été une constance. Le report dans une relative indifférence d’une élection régionale dont la campagne peine à démarrer est aussi un révélateur de cette mise à l’écart du pouvoir régional. La trop récente fusion et ses conditions complexes, comme le révèle le laboratoire occitan, ont peut-être été l’unes des raisons de cette mise à l’écart du pouvoir régional. Il reste lors de la future mandature aux nouveaux élus qui s’imposeront à l’issue du processus électoral de tourner définitivement la page de la fusion en affirmant leur gouvernance et imposant des marqueurs identitaires forts, susceptibles de mettre en valeur des politiques publiques propres permettant de sortir le pays d’une centralisation excessive des responsabilités, qui dans des contextes de crise aiguë montre quelques limites.

Laurent Jalabert
Article paru dans L’OURS 507, avril 2021

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