vendredi 29 mars 2024
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Girondins : avec le local pour horizon, par ARTHUR DELAPORTE

Trois figures girondines, trois trajectoires singulières de patrons d’exécutifs locaux. C’est ce que ces livres d’entretiens avec le politiste Jean Petaux retracent. Parcours croisés. 

(à propos des ouvrages de Philippe Madrelle, L’art de gagner en politique, entretiens avec J. Petaux, Lormont, Le Bord de l’eau, 2019, 257p, 20€, Jean-Luc Gleyze, Être Girondin. La démocratie au quotidien, entretiens avec J. Petaux, Lormont, Le Bord de l’eau, 2020, 214p, 18€  et Alain Rousset, Le décentralisateur de la République, entretiens avec Jean Petaux, Lormont, Le Bord de l’eau, 2020, 250p, 20€)

Les destins politiques de ces trois socialistes girondins sont entremêlés. Il y a d’abord la figure tutélaire de Philippe Madrelle, décédé en 2019 après avoir fêté sa cinquantième année de parlementaire – il l’était depuis 1968, député puis sénateur – mais surtout emblématique président du conseil général de Gironde, de 1976 à 2015 (avec une seule interruption, de 1985 à 1988). 

Madrelle, Rousset et Gleyze : trois parcours
Lors de ses quatre années à la tête de la région Aquitaine, de 1981 à 1985, Philippe Madrelle a pour directeur de cabinet Alain Rousset. Ce dernier, après avoir grandi dans le Forez et fait des études à Sciences Po Paris, est arrivé en 1979 en Gironde comme directeur de cabinet du président socialiste de l’Aquitaine, le maire de Pau André Labarrère. Il l’est resté avec Philippe Madrelle qu’il retrouve en 1988 en étant élu au conseil départemental. L’année suivante, il remporte la ville de Pessac, limitrophe de Bordeaux. Cinq ans plus tard, le voici premier vice-président du département, avant qu’il ne prenne la région Aquitaine en 1998. Continuellement réélu depuis, il se représente en 2021 une nouvelle (et dernière ?) fois pour continuer à diriger une institution qu’il a fortement modelée et dont il a vu, en 2015, l’élargissement avec l’intégration dans la Nouvelle Aquitaine des anciennes régions Limousin et Poitou-Charentes. 

S’il a mis plus de temps à accéder à la tête d’un exécutif local puisqu’il a été élu maire de Captieux en 2014 puis l’année suivante président du conseil départemental à l’âge de 52 ans quand il succède à Philippe Madrelle, toujours lui, Jean-Luc Gleyze – issu d’un milieu populaire et peu politisé – n’était pas un novice de la politique. Depuis 2004, conseiller départemental du plus petit canton de la Gironde, au sud du département et à la frontière avec les Landes, Jean-Luc Gleyze était, comme son mentor Jean Sango, secrétaire de mairie après avoir arrêté ses études en 2e année de droit. 

Les trois personnages ont donc en commun des réseaux, ceux du puissant socialisme girondin, une commune réticence aux mondanités bordelaises et un attachement à la ruralité au sens large. Alain Rousset a ses bergeries, l’une à Pessac, l’autre dans les Pyrénées, Jean-Luc Gleyze consacre de longs développements à dire son attachement aux palombières, Philippe Madrelle apparaît également comme le défenseur du reste du département contre les appétits de Bordeaux – ceux de Chaban puis de Juppé – alors même qu’il est maire d’une commune de la communauté urbaine, mais située sur la rive opposée de la capitale provinciale. 

Générations politiques
À travers ces trois portraits sensibles qui se dessinent au fil des entretiens empathiques de Jean Petaux, ce sont des générations politiques qui se démarquent. Le plus ancien, emblème du baron local, baignant dans le milieu socialiste depuis son enfance, a contribué à affermir l’ancrage du PS en Gironde en appuyant notamment ses anciens collaborateurs dans leurs carrièxéres électorales. L’exemple d’Alain Rousset en témoigne. La passion dévorante de Philippe Madrelle pour la gestion des équilibres territoriaux, de la carte politique et pour le combat politique au sens large est contenue dans le titre de cette (auto)biographie posthume, L’art de gagner en politique. Le leader socialiste préférait la bataille à la mécanique institutionnelle, déléguée à d’autres. À l’inverse, Alain Rousset, dans la série de témoignages qui constituent la première partie de l’ouvrage (la seconde est celle du grand entretien), apparaît comme un gestionnaire passionné de politiques publiques qui délaisse à son cabinet la gestion des égos et une politique politicienne qu’il dit exécrer. Deux générations, deux façons de faire de la politique, deux échelons aussi : l’un a pour lui la Région et se concentre sur l’activité économique, la recherche, l’industrie… L’autre fait du département le levier de sa puissance – avant que les évolutions récentes de la décentralisation ne recentrent ses compétences –, et n’échappe pas totalement aux accusations de clientélisme. Néanmoins, Jean-Luc Gleyze – qui a été fonctionnaire territorial avant d’accéder à des fonctions électives – rappelle qu’aujourd’hui les départements, avec la perte de la clause de compétence générale, sont davantage porteurs des politiques sociales, sans pour autant être réduits à de simples guichets. Il montre que le département peut être un levier de l’innovation des politiques publiques.

Ces trois « grands élus » girondins marquent tous leur distance avec l’appareil socialiste national, ses congrès et ses jeux de motions, en assumant leur caractère « girondin » au sens révolutionnaire du terme, réaffirmant leur refus de la tentative de (re)nationali­sation /centralisation des politiques publiques qui caractérise notamment l’ère Macron. 

Un régionaliste et deux départementalistes
À la lecture de ces trois portraits, on distingue aussi les nuances entre le régionaliste et les deux départementalistes qui rappellent ce que les lois de décentralisation qui ont contribué à préserver et renforcer le pouvoir du département doivent au président du conseil départemental de la Nièvre François Mitterrand, quand Pierre Mauroy ou Gaston Defferre à la tête de deux des régions déjà bien institutionnalisées dans la période pré-décentralisatrice d’avant 1981, étaient eux plutôt en faveur d’une régionalisation poussée. Cette plongée dans le socialisme girondin par regards croisés montre aussi la fierté de ses élus qui tentent, par la mise en avant de leur bilan, de démontrer que le politique sur la scène locale peut mettre en place des politiques publiques exemplaires, au plus près des habitants.

Arthur Delaporte

Article paru dans L’OURS 507, avril 2021

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