mercredi 24 avril 2024
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L’OURS a vu, écouté et est sorti pour vous…

LOURS_Culture_Mai_2015

En mai, les chroniqueurs de L’OURS (n°448, mai) aiment, apprécient, goûtent, mais grognent aussi, en toute franchise, arguments à l’appui.


Cinéma : Une Célestine sans odeur ni soufre, par Jean-Louis Coy (a/s de Le journal d’une femme de chambre, de Benoît Jacquot, France, 2015, 1 h 35 , avec Léa Seydoux, Vincent Lindon, Dominique Reymond…)
Le dernier film de Benoît Jacquot se veut une nouvelle adaptation du fameux roman d’Octave Mirbeau. Les confidences de la soubrette Célestine avaient déjà inspiré Jean Renoir (1947) et Luis Buñuel (1964). Si le cinéaste français, exilé aux USA, s’était contenté d’une adaptation lointaine, si lointaine que nous préférons l’oublier, Buñuel avait mieux senti le soufre que distillait l’œuvre de ce très grand écrivain, et l’interprétation de Jeanne Moreau demeure une performance dans la carrière de cette actrice.
FemmedeChambre
Tout le problème du nouveau film de Benoît Jacquot est justement celui de l’adaptation. La première question qui se pose reste l’intérêt de la mise en scène d’un texte dont la langue, les mots, les personnes, les mœurs, les émois, l’analyse psychologique et le contexte socio-politique sont en soi une manière de bousculer les bons principes de la bourgeoisie dominante. À l’évidence, il convient de cerner la Célestine dans ses diatribes, ses haines, ses colères autant que ses moments de gentillesse, étudier le couple Lanlaire dont l’aspect nous semble familier aujourd’hui plus que jamais, observer le comportement de ce Joseph, porteur de l’antisémitisme, de l’intolérance, de la brutalité d’une extrême droite anti-dreyfusarde, afin de comprendre le double jeu de notre souillon qui a « l’audace » d’écrire un journal intime en 1900.
Le film dont nous parlons n’a rien à voir avec tout ça en dépit de quelques dialogues ou monologues tirés du roman et malgré le montage chargé de nous instruire sur le passé de la femme de chambre mais qui ne partage pas l’étonnante subtilité presque désordonnée du texte.
En somme, nous assistons à une sorte de téléfilm riche en décors et costumes, facile à regarder, moins à comprendre, tellement éloigné de la force créatrice de ce diable d’Octave Mirbeau dont il faut à tout prix connaître le rôle important, journalistique et littéraire, qui fut le sien durant la deuxième partie du XIXe siècle.

Comprendre Mirbeau
Ici tout est élégant, presque soigné si nous songeons à la misère hygiénique des maisons de cette époque où justement les pauvres et les riches pataugent dans la merde ainsi que l’écrit Célestine. Si les riches se défendent contre l’odeur des pauvres, le parfum coûteux ne leur suffit pas, ils exigent des domestiques le nettoyage régulier de leurs miasmes cachés dans les sous-vêtements et les cabinets de toilette ; mais les pauvres ne sont-ils pas nés dans cette merde et donc peuvent y rester sans vraiment se rebeller ? On tue les nouveaux-nés, on chasse les bonniches engrossées, la servitude féminine pérennise l’esclavage domestique, le baron Haussmann façonne Paris pour les nantis, à l’abri des gueux et de leurs barricades, Dreyfus est condamné, la Belle époque triomphe. Ce que montre le roman est à la fois le sordide de l’hypocrisie, des apparences, la puanteur des relations humaines entre 1870 et 1914, et le fait de l’immaturité des damnés qui ne se révoltent guère préférant prendre une place dans ce cloaque social.
Ce que ne montre pas le film de Benoît Jacquot est cette énergie de Célestine à se préparer quitte à s’allier au pire. Buñuel et Jean-Claude Carrière avaient choisi de transposer cette histoire trente ans plus tard, au moment des ligues des années 30.
Alors, en fait, que nous apporte cette adaptation rassurante et par ailleurs accompagnée d’excellents interprètes, réalisée selon une maîtrise technique indiscutable ? Peut-être incitera-t-elle nos lecteurs à se pencher avec attention sur l’œuvre iconoclaste du grand Mirbeau ?
Jean-Louis Coy

L’actu des bulles : Le passé Arménien, par Vincent Duclert (Laure Marchand, Guillaume Perrier, Thomas Azuélos, Le fantôme arménien, Futuropolis, 2015, 128 p, 19 €)
Fantome_ArmenienLes journalistes Laure Marchand et Guillaume Perrier, anciens correspondants du Figaro et du Monde à Istanbul, ont publié en 2013 une enquête remarquée, La Turquie et le fantôme arménien : Sur les traces du génocide (Sorlin-Actes Sud). Deux ans plus tard paraît chez Futuropolis, pour le centenaire de 1915, un bel album BD dont ils signent le scénario tandis que le dessin est l’œuvre de Thomas Azuélos. Ce dessinateur marseillais a reçu en 2010, avec Serge Avédikian, la Palme d’or du court métrage pour Chiennes d’histoire qui revient sur l’événement prémonitoire de la déportation en 1910, par le gouvernement Jeune-Turc, de 30 000 chiens en liberté dans Constantinople, isolés sur une île déserte où ils mourront de faim et de soif. Leurs cris d’agonie seront entendus des semaines dans la capitale…

Le fantôme arménien suit les pas en Turquie d’un Arménien de Marseille, à la recherche d’une histoire perdue et de tous les fils qui attachent la tragédie arménienne au destin kurde et à la volonté de la société turque de se libérer aujourd’hui du tabou du génocide. Décidé à retrouver les lieux de l’extermination de sa famille à Diyarbakir, Christian Varoujan Artin s’engage dans un voyage à hauts risques en Turquie, mais qui représente un nouveau départ après un siècle de négation de l’histoire. L’exposition de visages arméniens qu’il accroche dans cette grande ville du sud-est, imaginée par le centre de la mémoire qu’il anime à Marseille, réveille la mémoire des Kurdes de Turquie, d’abord bras armé des génocidaires puis victimes d’une persécution qui montre des points communs avec le génocide.
Le fantôme arménien révèle tous les espoirs qui se font jour dans la société turque en quête de liberté et de vérité. Jusque-là rejeté de l’histoire, le passé arménien devient la clef de la dignité et de l’identité en Turquie. L’ouvrage, de ce point de vue essentiel, est porté par un dessin très créatif aux couleurs de l’Asie mineure de toutes les cultures. Comme un sentiment de liberté au milieu d’un Moyen-Orient plongé dans les guerres civiles.
Vincent Duclert

L’actu des sons : Leçon d’éclectisme, par Frédéric Cépède (a/s Becca Stevens Band, Perfect animal, Universal music Classics)
BeccaStevensBandsiteQuatre ans après Weigthless, mon choc de l’année 2011, entre country, folk et soul, la chanteuse et guitariste Becca Stevens sort son troisième album avec son Band, qui réunit toujours Liam Robinson (accordéon, harmonium et voix), Chris Tordini (contrebasse et voix), et Jordan Perlson (batterie et percussions). Depuis, elle a tourné avec son groupe (dont plusieurs passages à Paris et dans des festivals en province), s’est lancée dans diverses collaborations signalées dans cette chronique.
L’album Perfect animal (qui fait contrepoint au morceau Imperfect Animals) alterne une nouvelle fois ses compositions originales et des reprises qui puisent dans le répertoire soul et rap récent (Thinkin about You, You Make Me Wanna de Usher) ou la pop années 80 (Higher Love, de Steve Winwood) dans un réjouissant éclectisme. Cependant, alors que dans son précédent album elle avait restitué la matière sonore que son groupe propose sur scène, elle utilise ici toutes les ressources offertes par les techniques d’enregistrement. On est donc plus proche du son des disques pops et folks actuels, même si les arrangements (des chœurs notamment) n’ont rien à voir avec ceux de productions standardisées. L’impact de Becca Stevens vient de la limpidité dans sa voix et de la sophistication de mélodies qui mixent les références. Une légère frustration tout de même pour ses fans qui ne découvriront vraiment qu’un morceau (JAC), les autres appartenant déjà au répertoire scénique du groupe (voir sur youtube), même si la production soignée les fait redécouvrir sous des aspects toujours intéressants. Pour les nouveaux auditeurs, ce CD offre un accès peut-être plus direct à l’univers d’une artiste rare, et peut inciter à découvrir son art brut, pour un plaisir garanti.

Frédéric Cépède

Becca Stevens Band, Perfect Animal, Universal music classics

L’OURS au théâtre : De la comédie, par André Robert (a/s de Le malade imaginaire, de Molière, mise en scène de Michel Didym En tournée en France (Lyon-Célestins, Perpignan, Tarbes, Créteil, Rennes, Chambéry, Marseille)
Un retour au classique, qui renoue avec la comédie-ballet.
le-malade-imaginaire-nancySiteLe metteur en scène Michel Didym a construit sa réputation dans le théâtre français en montant quasi exclusivement des auteurs des XXe et XXIe siècles, parmi lesquels Samuel Beckett, Xavier Durringer, Serge Valletti, Lee Hall, Hanokh Levin, Christine Angot, Laurent Gaudé, Enzo Corman, et même Pierre Desproges. On peut donc se demander ce qui a bien pu le pousser à faire un retour au classique, et plus, au classique des classiques : Le malade imaginaire.
La réponse se trouve sans doute dans sa note d’intention de mise en scène : « [Une] phrase de Béralde, le frère du malade, que j’ai lue sur mon lit d’hôpital, a produit sur mon esprit une impression très forte et a immédiatement déclenché une profonde passion pour cette comédie-ballet ». La phrase en question célèbre la vis medicatrix naturae, la vertu réparatrice de la nature, au détriment d’une certaine médecine de l’époque (1673), héritée de l’université médiévale et de ses aspects les plus rétrogrades, arc-boutée sur des formules latines purement incantatoires et viscé­ralement opposée aux hypothèses nouvelles, comme celle de la circulation sanguine soutenue par les modernes, les « circulateurs », objets du dénigrement des Diafoirus, père et fils. On peut donc penser que le choix inattendu de monter ce classique procède, de la part d’un artiste qui a recouvré la santé et qui – avec sans doute l’appui de la médecine moderne, celle que ne dénonçait pas expressément Molière – a observé en quelque sorte la nature opérer en lui ses réparations, en refusant « cette inquiétude, cette impatience qui gâte tout », car « presque tous les hommes meurent de leurs remèdes, et non pas de leurs maladies » (acte III, scène 3).
Là où d’autres metteurs en scène ont pu proposer une vision mortifère et très forte du Malade, centrée sur l’inexorabilité du vieillissement (par exemple Claude Stratz à la Comédie Française en 2001 ), Michel Didym revient à la pure comédie d’origine, réussissant avec le chorégraphe Jean-Charles Di Zazzo aussi bien un ballet exotique intermédiaire que le ballet final de grotesque intronisation d’Argan dans la corporation des médecins : « Bene, bene, bene, bene respondere, Dignus est intrare, In nostro docto corpore ». André Marcon campe un Argan solide, bourgeois impérieux quoique fragile, obsédé autant d’argent (tel l’avare dévoré par la crainte) que de maladie, tout entier occupé – derrière une apparente bonhommie – à s’assurer de l’obéissance de sa maisonnée, et particulièrement de celle de sa fille aînée Angélique qu’il veut à tout prix marier à un médecin, ayant en vue son seul intérêt égoïste. Si plusieurs scènes fleurent trop la représentation scolaire pour nous convaincre (notamment celle avec les Diafoirus,) d’autres, celle avec la petite Louison, et surtout celles impliquant Béralde, formidablement incarné par Jean-Claude Durand, ensemble de scènes constituant le nœud de l’intrigue et où l’écriture moliéresque révèle son génie au gré des « mon frère » patelins qui scandent le dialogue, sont assez percutantes.
Sans véritable point de vue novateur, c’est toutefois « un spectacle qu’on peut voir », comme dirait le Canard Enchaîné.
André Robert
Plusieurs reprises depuis, dernièrement en 2014.

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