mardi 23 avril 2024
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Le populisme et sa radicalité, par ALAIN BERGOUNIOUX

Dans cet essai historique, Pascal Ory s’attaque à ce qui est le phénomène politique majeur du début du siècle nouveau, la radicalité populiste, qui ne concerne pas que l’Europe mais a une dimension mondiale, comme le souligne l’élection récente de Donald Trump. La notion de populisme seule, en effet, est vague et peut recouvrir des politiques bien différentes.
À propos du livre de Pascal Ory, Peuple souverain. De la révolution populaire à la radicalité populiste, Le Débat Gallimard, 2017, 256 p, 21€
Article paru dans L’OURS 473 (décembre 2017), page 1.Ce qui frappe dans les situations actuelles, c’est la charge de radicalité que portent les populismes, au-delà des caractères généraux que sont la revendication d’incarner la souveraineté populaire, l’identification à une communauté (le plus souvent nationale), la personnalisation derrière un leader. C’est ce que veut comprendre l’auteur. Et pour ce faire, il procède en trois temps, qui sont les trois parties du livre : l’étude historique du populisme, la caractérisation des radicalités, les conditions de la conjonction des deux phénomènes.

Les différentes formes du populisme
Il y a une préhistoire du populisme – on peut la faire remonter à l’antiquité avec les mouvements contre les « élites »… Le bonapartisme a été son laboratoire en France. Et d’emblée – c’est la thèse du livre – se mêlent idées et pratiques de droite et de gauche. Le boulangisme est encore un exemple plus clair. Mais, comme le remarque Pascal Ory, ce mélange se fait le plus souvent au profit du conservatisme. L’idée de nation est née à gauche, mais elle est captée par la droite conservatrice à la fin du siècle. Cela passe par un usage propre de la notion de souveraineté populaire qui est réduite à sa part nationale, en oubliant que la souveraineté voulait dire aussi celle des individus. De là découle une image de la nation autocentrée, refusant les divisions – c’est-à-dire le pluralisme des idées et des intérêts. Il y a eu (et il y a) dans l’anti­libéralisme de la gauche des éléments qui ont pu (et peuvent) composer avec le populisme (voir les blanquistes dans le boulangisme). Mais la conception des sociétés divisées en classes et les perspectives internationalistes sont contradictoires. Les fascismes et le nazisme ont montré que ce qu’ils avaient emprunté à la gauche a été largement noyé dans la dynamique d’un nationalisme d’exclusion. Les mêmes mécanismes sont à l’œuvre aujourd’hui dans la mondialisation.

La radicalité a encore une histoire plus ancienne. Le manichéisme et l’intransigeance sont en partage dans toutes les religions – à des moments de leurs histoires respectives. Tous les mouvements qui portent un absolu, religieux ou autres, nourrissent, potentiellement, un radicalisme politique et ne souffrent pas ou peu les contestations et les divisions. Ils ont par là-même également une dimension populiste. Les totalitarismes modernes – fascisme et communisme, sur ce point réunis – ont voulu contrôler leurs sociétés. Leurs échecs n’ont pas signifié la fin de l’histoire… Le radicalisme islamique a pris la relève dans l’ordre des religions. L’autoritarisme caractérise, de plus de plus, de mouvements populistes.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait rien d’autre à faire que de constater des permanences. L’effort historique fait dans les religions de donner un sens symbolique aux appels à la radicalité politique que peuvent justifier les textes sacrés et les commentaires anciens – inégal selon les religions et, toujours, à reprendre – le montre. La dernière partie du livre approfondit ces constats. Elle porte particulièrement l’accent sur la proximité des extrêmes et sur ce qui permet le passage d’un radicalisme à l’autre. Les exemples ne manquent pas dans l’histoire jusqu’à aujourd’hui. Le substrat commun est l’hostilité au pluralisme politique et, donc, au libéralisme politique. On voit là toute la portée du débat et sa difficulté, particulièrement pour les radicaux à gauche qui ne peuvent pas accepter ce qu’ils voient comme des limites inacceptables au renversement nécessaire des dominations politiques et économiques. Une difficulté supplémentaire tient aux conditions nouvelles de l’exercice de la citoyenneté politique aujourd’hui. Les institutions s’affaiblissent dans des démocraties d’opinion où la volatilité des votes (l’auteur parle de désaffiliation des votes) explique des mouvements de l’électorat qui rompent avec les représentations traditionnelles. Les catégories populaires ne votent plus de manière privilégiée à gauche. Les réalités culturelles jouent un rôle de plus en plus important et les situations économiques ne sont plus nécessairement prédictives.

L’emprise des émotions
Un chapitre intéressant analyse les dimensions psychologiques des choix des catégories sociales et des individus, faisant sa place aux émotions, le ressentiment comme la culpabilité. Ce qui frappe Pascal Ory, et qui lui paraît constituer la clef pour la compréhension de notre situation, ce sont les liens qui existent à la fois entre des phénomènes de massification et la réalité d’un individualisme déstabilisant. Intéressante est l’hypothèse que le leader populiste et le terroriste radical ont deux qualités en commun : donner un exécutoire à un mécontentement collectif et, tout autant, magnifier l’individu. Le leader populiste – Chavez, par exemple, qui le disait – doit être le miroir des individus qui pensent comme lui.

Le vieux et le neuf
Cet essai historique est donc riche de réflexions et d’enseignements. L’une d’entre elles est que la longue histoire est utile et nous permet de clarifier les concepts en démêlant leurs généalogies. Mais l’histoire ne doit pas nous voiler ce qu’a de neuf notre situation. Nous vivons, en effet, la fin d’un monde (qui s’est constitué dans notre modernité) orienté par la confiance dans le progrès. Le monde, comme le souligne Pascal Ory, ne fonctionnait certainement pas mieux avant (1914 ! 1940 !), mais il y avait une espérance. La défaite de ce sentiment – qui est principalement celle de la gauche radicale, par contre coup, de la gauche modérée, et celle, plus relative, de la droite libérale – ouvre la voie à des mouvements populistes radicaux et à des radicalismes religieux. Prendre conscience de ce défi demande une lucidité intellectuelle pour déconstruire ces mouvements et pour rebâtir un humanisme politique.
Alain Bergounioux

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