vendredi 29 mars 2024
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BD, Cinéma, théâtre, sons… nos chroniqueurs signalent

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Cinéma : Alejandro Jodorowky story (suite)

par Jean-Louis Coy
À propos de Poesia sin fin de Alejandro Jodorowsky, France/Chili, 2015, 2 h
Alejandro Jodorowsky poursuit sa danse poétique avec sa vie.
jodorowky_site_462L’autobiographie du grand Jodo, après La Danza de la Realidad (2013, L’OURS 431) est le sujet de Poesia sin fin où l’on suit l’adolescent Alejandro vers les années 40 entre une mère cantatrice frustrée (qui s’exprime par le chant comme Anne Vernon dans Les Parapluies de Cherbourg) et un père fasciste ordinaire doublé d’un tyran domestique dans sa boutique de lingerie féminine.
Ce contexte familial fait fuir le garçon épris de poésie, insouciant mais créatif, déjà iconoclaste et d’une générosité débordante, aimant la vie et les êtres.
Nous laissons à chacun le goût de partager le périple d’Alejandro, sa rencontre d’un amour originel, de clowns, de nains fantasques et s’acclimater à la vision « surréaliste » du maître, du tarot à la philosophie, du burlesque au déjanté, riche d’une époustouflante humanité que des flashs nous rappellent. Ce poète aux mille facettes (dessinateur, écrivain, musicien, architecte…) est déjà l’auteur de deux films-culte : El Topo (1970) western fantastique où se mêlent cruauté et rédemption ; La Montagne sacrée (1973), œuvre ésotérique, magique, prémonitoire ; nous retiendrons Santa Sangre, un conte symbolique tourné en 1989, qui montre une réelle maîtrise cinématographique et récemment Jodorowsky’s Dune qui résume le travail entrepris pour réaliser une adaptation du roman SF Dune, chose impossible…
Dans Poesia sin fin, certes, le récit s’alourdit en raison de séquences un peu trop répétitives, un rythme variable et un propos moins incisif que dans La Danza de la realidad ; mais, pour ceux qui le découvrent, rappelons à quel point il faut savoir composer avec la poésie inventive et charnelle d’Alejandro Jodorowsky. C’est une perpétuelle créativité, irrationnelle, parfois irritante, troublante, qui traduit la vie « au présent », le cocasse des tragédies, le peu d’impor­tance des choses ancrées dans l’éphémère réalité. En fait, nous devons tolérer les originalités de Jodo, une sorte de leçon métaphysique entre le sexe, la physiologie, l’ironie, l’intelligence, la culture et la divination transmise par… le tarot dit de Marseille (dont Jodo est un maître reconnu !).
Reste le style sud-américain, l’ambiance écarlate, le carnaval bruyant, la lumière et la beauté des corps sous le voile noir de la mort toujours présente elle aussi, sur ce point Jodorowsky conserve à 87 ans une vivacité exceptionnelle et hypothétiquement infinie.
Les couleurs vives soutiennent avec une bande-son remarquable un casting où la famille du cinéaste s’interchange, se multiplie et favorise toutes les dérives psychanalytiques… (la mère en même temps l’amoureuse, le fils étant le père, celui-ci étant le fils, un jeu, un canevas !) Bref un spectacle vivifiant, un artiste toujours fidèle aux accents du surréalisme dont les poètes contribuent à respecter le message.

Jean-Louis Coy

L’actu des bulles : Histoire graphique
par Vincent Duclert
À propos de Benjamin Stora et Sébastien Vassant, Histoire dessinée de la guerre d’Algérie, Seuil, 2016, 192p, 24€
stora_vassant_algerie_462Plus qu’une bande dessinée ou qu’une histoire dessinée, il s’agit bien d’une histoire graphique que publient les éditions du Seuil. Le dessinateur, le talentueux Sébastien Vassant, auteur notamment de Frères d’Ombre et de Juger Pétain (chez Futuropolis), a su figurer, parfois par de grandes planches, les phases de la guerre, les réponses politiques (par exemple « l’autodé­termination » proposée par le général de Gaulle dans son discours du 16 septembre 1959), la violence de la propagande ou la violence tout court déchirant les pays, les communautés, les hommes et les femmes, la violence intime et la violence terroriste, des opérations du FLN à la torture de l’armée française. L’historien Benjamin Stora est parvenu à construire un récit à la fois très complet et très accessible, didactique sans être ennuyeux, donnant la parole à ces appelés qui avaient déjà témoigné dans son film documentaire de 1991, Les Années algériennes. D’autres acteurs traversent cette histoire graphique, Germaine Tillion qui ouvre la première planche, l’écrivain Mouloud Feraoun, des harkis anonymes, et encore d’autres témoignages et sources qui accompagnent le récit de la grande histoire. Une incontestable réussite.
Vincent Duclert

L’actu des sons : Sons et lumières par FREDERIC CEPEDE
À propos de Émile Parisien Quintet, Sfumato, with Joachim Kühn, ACT Music, 2016

parisien_462_462Le jeune (34 ans) saxophoniste Émile Parisien poursuit un parcours commencé en 2000 à Paris, ponctué de nombreux prix (aux Victoires du Jazz en 2009, et meilleur artiste en 2014) saluant à la fois un instrumentiste inventif et compositeur sans barrière.
Sur Sfumato, terme de peinture qui renvoie à la lumière et à ses effets, il réunit autour de ses compositions un quintet avec le toujours jeune pianiste allemand Joachim Kühn (auteur de deux titres, et d’une collaboration avec Parisien, Duet for Daniel Humair, hommage à leur ami batteur), le guitariste Manu Codja, au gros son tout en saturation et réverbération, Simon Tailleu à la contrebasse et Mario Costa à la batterie. Entre ses explorateurs et solistes inspirés, l’alchimie prend immédiatement. Préambule brouille d’entrée les pistes, et attire l’écoute vers des bifurcations tant sonores que mélodiques. Manière de présenter des musiciens à forte personnalité, où l’on retrouve les mânes d’Ornette Coleman (1930-2015), vieux complice de Kühn, et qui se termine dans une sorte de ritournelle, triste. Autre ambiance avec Poulp, intro bruitiste piano, guitare, clochettes, et tempo soutenu à la batterie, avant que le groupe ne se lance dans un bebop déjanté virant au free jazz au piano, chacun éclairant ensuite sa voie propre dans son solo. Parisien déploie toute la fluidité de son jeu sans esbroufe, nourri des sons du monde, nord-sud, est-ouest. La longue pièce en trois temps Le clown tueur de la fête foraine reçoit en invité Vincent Peirani qui plante le décor populaire de cette rencontre fatale avec son accordéon avant l’arrivé du groupe et d’un autre invité, Michel Portal. Dans Arôme de l’air, le solo piano mélodique penchant vers la pop rencontre la guitare saturée, sur des odeurs sans cesse changeantes, chacun suivant sa propre respiration. Bien d’autres surprises vous attendent avec ce cédé qui convoque tous nos sens et qui se clôt sur Balladibiza I et II, que Codja tire vers un blues interstellaire et Kuhn vers une terre beaucoup plus contemporaine.
Frédéric Cépède

L’OURS au théâtre : Quand Balzac s’en prenait à la Bourse
par ANDRE ROBERT
faiseur_462À propos de Le Faiseur, d’Honoré de Balzac, mise en scène de Robin Renucci, Pièce vue à l’Epée de bois, Cartoucherie de Vincennes. Bientôt cette saison à : Lunel, Orléans, Poitiers, Irigny, Dax, Compiègne, Maisons-Alfort, Noisy-le-Sec, Pessac)

Tous ses livres ne forment qu’un seul livre où l’on voit toute notre civilisation contemporaine. Il a saisi à bras-le-corps la société moderne » a pu dire Victor Hugo à la mort de Balzac. De l’auteur de la monumentale Comédie humaine, on retient rarement la seule production théâtrale que constitue Le Faiseur, écrite en 1840, et qui s’attaque à un des phénomènes majeurs de ce XIXe siècle industriel, capitaliste et spéculateur, l’argent. Et pourtant, quelle pièce, quel personnage que ce Mercadet, le faiseur, faiseur d’affaires, de dettes, de roublardises en tous genres destinées à produire de l’argent par la spéculation en bourse (cette dernière est réinstallée au palais Brongniart à Paris au début du siècle) et la tromperie de possédants crédules, tout cela sans participer à des investissements utiles (déjà !).
Comme d’habitude, Balzac – qui a lui-même connu l’obsession de l’argent et a beaucoup échoué dans ses projets d’enrichis­sement – sculpte au scalpel situations et person­nages, traçant le portait louis-philippard de la plupart des rôles masculins, qui répondent à l’injonction de Guizot : «  Enrichissez-vous ! » Mercadet mène le bal ; au moment où débute la pièce, il est quasiment ruiné et ne pense pouvoir s’en sortir qu’en mariant sa fille Virginie à un supposé jeune noble riche (le thème du mariage forcé témoignant de l’admiration constante de l’auteur pour Molière). L’irruption d’un petit employé vraiment amoureux (enfin, presque) de la jeune fille laide vient d’abord contrarier ses plans mais, avec une habileté machiavélique, il retourne les situations les plus désespérées et réussit à circonvenir ses créanciers les plus durs. Tout un aspect de la pièce tourne autour de l’arrivée d’un mystérieux Godeau censé résoudre, par la seule confiance qu’inspire sa signature, tous les problèmes financiers de Mercadet et des autres… Le happy end pour tous procèdera d’une même inspiration moliéresque.

Renucci et ses Tréteaux

Le directeur des Tréteaux de France, Robin Renucci, a choisi d’accentuer le côté caricatural de la pièce avec l’aide de son costumier Thierry Delettre et de son perruquier J-B. Scotto qui ont dessiné des silhouettes à la Daumier très réussies dans un espace scénique stylisé, simple mais efficace (scénographie de Samuel Poncet). Les comédiens, Bruno Cadillon en tête (Mercadet), composent des personnages-types dans une tradition proche de la commedia del arte. On appréciera en particulier la prestation très drôle de Sylvain Méallet en Adolphe, jeune amoureux fauché qui se révèlera être le fils du richissime Godeau. L’esprit de la décentralisation théâtrale, évidemment adapté au temps présent, souffle sur ce spectacle qui, comme d’autres dus aux Tréteaux, tourne dans des communes, petites ou grandes. Cela rappelle l’époque mythique (années 1950-60), où – à côté de quelques autres grands metteurs en scène – le merveilleux Jean Dasté irrigua de ses créations les publics populaires de sa région1. Grâce soit rendue à tous ces metteurs en scène, techniciens et comédiens d’hier et d’aujourd’hui, souvent intermittents, qui – sans la célébrité des stars – portent avec grand talent le spectacle vivant (en prise sur des textes aussi bien classiques que contemporains) au plus profond du pays, comme le font les équipes des Tréteaux de France sous la houlette de Renucci.
André Robert
(1) Comme en rend compte un remarquable album consacré à Dasté et à sa Comédie de Saint-Étienne agrémenté de magnifiques photos : Hugues Rousset, J. Dasté, un homme de théâtre dans le siècle, Actes Graphiques, 2015.

camba-462L’OURS signale : Camba, un libertaire en Argentine, par SYLVAIN BOULOUQUE (a/s de Julio Camba, Ô juste, subtil et puissant venin !, L’Exil et autres écrits en Anarchie, L’insomniaque, 2016, 112p, 10€)

L’intérêt de ce recueil de textes d’un anarchiste espagnol réfugié en Argentine tient d’abord à sa qualité littéraire.
L’itinéraire du personnage est des plus paradoxal. Il fuit le domicile familial et l’autorité paternelle à 13 ans prenant clandestinement un bateau pour l’Amérique du Sud. Là, il se lie aux milieux libertaires. Expulsé cinq ans plus tard, après avoir participé à la grève de Buenos-Aires il revient en Espagne en 1903.
Le recueil est une plongée dans les milieux libertaires argentins. Il y décrit avec talent et humour le caractère cosmopolite des assemblées composées souvent d’Italiens et d’Espagnols. La description des modes de vie, du théâtre donne à la vie libertaire un côté communautaire bien avant l’heure. À côté de cette bohème libertaire cohabitent les ouvriers, dockers, traminaux, cochers qui décident de cesser le travail. Camba les accompagne mais est arrêté et reconduit vers l’Espagne. Il y poursuit ses chroniques sur les lieux de misère, les nécessités de la révolte avant d’être profondément heurté par la série d’attentats de 1905. Il s’éloigne du milieu anarchiste espagnol pour progressivement devenir journaliste dans la presse conservatrice.Ce dandy rédige alors ses chroniques dans un hôtel de luxe où il a établi ses quartiers.
Sylvain Boulouque

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