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Incorrigible Sénat !, par JEAN-FREDERIC DESAIX

conord_senatoriales-462_sit« Le Sénat, c’est comme l’Académie française, ça ne sert à rien et ça emmerde tout le monde ! » Cette phrase, attribuée à François Mitterrand, en dit long sur le regard porté sur le Sénat et ses occupants.
A propos du livre de Fabien Conord, Les élections sénatoriales en France  1875-2015, Rennes, PUR, 2016, 376p, 24€)

Article à paraître dans L’OURS n°462, novembre 2016, p. 6.

Parfois considéré comme une récompense pour service rendu, le poste de sénateur est décrié dans l’opinion publique et son image souvent poussiéreuse. Si on comprend le rôle de l’Assemblée nationale, celui du Sénat est plus flou, de même que son mode d’élections à travers le système des grands électeurs à la proportionnelle. Ce suffrage est pourtant indissociable de l’équilibre institutionnel depuis 140 ans. Jusqu’à considérer qu’il s’agit d’un « laboratoire de la démocratie », il n’y a qu’un pas que franchit Fabien Conord en explorant l’ensemble des suffrages sénatoriaux depuis 1875. Cette vieille institution a connu des pratiques douteuses liées à l’opacité et la complexité de son système électoral. Mais observer les périodes électorales est un moyen « d’observer nos institutions et la capacité des partis politiques à s’adapter au changement ». Plusieurs fois le Sénat a failli disparaître, mais il est resté, tel un « appel d’air institutionnel et politique ».

Marqueur du régime et de ses évolutions
Le Sénat a été longtemps été le garant de la tradition. Il est le dernier basion royaliste à la veille de la IIIe république. Les premières élections en 1875 traduisent une opposition entre monarchistes et républicains, entre l’ouest et l’est de la France. La victoire de la République et du parlementarisme va mettre progressivement le Sénat au second plan. Néanmoins, il est resté un acteur politique majeur, représentants des territoires et une aubaine pour les partis politiques. Il a réussi, comme le montre bien l’auteur, à « acculturer la droite comme la gauche ». Toutes les deux étaient hostiles à ce bicaméralisme. Mais chacune y trouvera son compte si bien que la confrontation entre la droite républicaine et la gauche réformiste se pérennise tout au long du XXe siècle.
Cette tradition de la Chambre Haute a perduré avec une droite invariablement majoritaire dont on comprend mieux qu’à l’Assemblée les divisions internes. En étant moins sensible à l’aléa médiatique, l’institution s’installe dans la vie politique et en devient un « laboratoire ». Les accords s’y construisent facilement et annoncent parfois ceux qui suivront à l’Assemblée et au gouvernement : cartel des gauches, Front populaire, troisième force…

Défenseur des institutions et des territoires
Son rôle diminue, mais il continue de gêner en étant le défenseur des institutions et des territoires. Charles de Gaulle et François Hollande l’ont éprouvé. Le premier pour l’élection du président de la République au suffrage universel direct, lorsqu’il fait appel au référendum en 1962 plutôt qu’au Sénat, hostile à la présidentialisation du régime. Le second récemment lorsque l’absence de majorité au Parlement réuni en Congrès l’empêche de réformer la Constitution.
Dès les années 1980 avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, l’élection sénatoriale devient un contre-pouvoir composé de nombreux élus locaux, défenseur des territoires contre le centralisme parisien. L’évolution du profil de ces élus locaux à partir des années 2000 n’est pas étrangère à la victoire historique de la gauche en 2011 et annonciatrice de la celle de François Hollande l’année suivante.

Profils de candidats
Autre constat : la manière d’élire un sénateur a peu changé. Fabien Conord a dépouillé des milliers de professions de foi en se demandant ce qui peut motiver une candidature à cette élection. La réponse n’est pas systématique : privilège de l’âge, expérience, raisons financières, moyen de peser dans le jeu politique local, volonté de faire de la politique autrement, etc. Autant de raisons qui ne sont pas forcément liées à la nature et aux attributions du Sénat. Quant à la désignation, elle est de tout de temps assise sur le choix des élus locaux et sur celui des partis, ce qui offre régulièrement quelques tiraillements.
Cette somme de travail impressionnante, retraçant chaque année électorale, constitue sans doute la première synthèse du genre sur une telle période. En plus d’un répertoire de toutes les tentatives, souvent avortées, de réforme du Sénat, on lira avec plaisir les nombreuses petites histoires d’incidents électoraux, de pressions, de manipulations, et de controverses qui ont jalonné ces élections. Elles participent à la remise en cause du Sénat et de ses pratiques au moment où le besoin d’un renouveau de la démocratie s’affirme à tous les niveaux de la société. Il semble temps, au bout de 140 ans, de corriger cette « anomalie démocratique » selon les mots de Lionel Jospin.
Jean-Frédéric Desaix

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