mardi 19 mars 2024
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Jules Guesde revisité, par REMI LEFEBVRE

Cette biographie de Jules Guesde offre à la fois une synthèse de grande qualité et propose des pistes d’analyse nouvelles.

A propos du livre de Jean-Numa Ducange, Jules Guesde. L’anti-Jaurès ?, Armand Colin, 2017, 247p, 24,90€
Article paru dans L’OURS 469 (juin 2017), page 5.Comme Guy Mollet auquel il est souvent associé, Jules Guesde est toujours une figure historique repoussoir du socialisme français. Associé à une forme de dogmatisme, de sectarisme, de marxisme appauvri, le député de Roubaix serait à l’origine du « surmoi marxiste » qui caractérisait le socialisme français, déchiré entre son maximalisme idéologique et les accommodements pragmatiques exigés par l’exercice du pouvoir. Que ce soit dans le discours politique ou le commentaire journalistique voire politologique, la thèse, a-historique et paresseuse, des « deux gauches » qui traverseraient le socialisme et qui rejoueraient sans cesse l’opposition Jaurès-Guesde est ressassée ad nauseum. On a ainsi entendu et lu à multiples reprises que l’opposition entre les « frondeurs » et le gouvernement pendant le mandat de François Hollande serait le dernier avatar de cette lutte idéologique immuable.

Guesde rendu à l’histoire
Loin de cette instrumentalisation grossière de l’histoire, c’est un des grands mérites de la biographie de l’historien Jean-Numa Ducange que de revenir en détail sur le parcours complexe de Jules Guesde pour éviter les raccourcis historiques, les approximations et les anathèmes. Voilà Guesde enfin « rendu à l’histoire » hors des mythes et des facilités. C’est la première biographie scientifique consacrée au personnage, dans l’excellente collection biographique dirigée par Vincent Duclert chez Armand Colin (la somme de Claude Willard portait sur les guesdistes). L’auteur ne nie pas que Guesde a transformé le marxisme qu’il introduit en France en « un catéchisme souvent simpliste » mais il restitue les ambivalences, les contradictions, les évolutions du leader « collectiviste ».

Une biographie sociale
L’originalité de la biographie est d’inscrire Jules Guesde dans le paysage transnational de la social-démocratie de l’époque et de ses controverses d’autant que Guesde fut « d’abord un exilé, puis perpétuellement à la charnière de plusieurs espaces nationaux » notamment par ses contacts avec les Allemands. Elle tient aussi à l’analyse de la vie privée et personnelle du dirigeant qui n’est pas sans effet sur ses prises de positions ou ses stratégies. La santé fragile de Jules Guesde, forme d’intellectuel prolétaroïde, ou son dénuement matériel sont ainsi des éléments importants de sa vie politique. C’est un révolutionnaire de métier « au prix de combinaisons politiciennes négligeant souvent la réflexion, inspirant la méfiance voire le mépris ». Souvent isolé ou marginalisé, Jules Guesde (c’est une autre originalité de son parcours bien pointée par le livre) parvient toujours à reconstituer une équipe de fidèles, ce qui explique sa longévité politique. Guesde « emporte toujours avec lui des partisans ». Les amitiés guesdistes demeurent solides et influentes. Le responsable socialiste va à la pêche avec Cachin, en vacances avec Paul Faure. Son sens de l’organisation et l’importance qu’il accorde aux appareils (une des composantes du guesdisme) expliquent aussi ses succès politiques. « Toute sa vie est militante » écrira Marcel Cachin. Guesde incarne l’esprit de parti, par excellence. Il est « le socialisme fait homme » selon son ami Compère-Morel, ses ressources partisanes venant compenser un capital politique personnel assez limité. De ce point de vue, la démarche de « biographie sociale » de l’auteur, nourri de sociologie, est pleinement convaincante.

Le propagandiste
Orateur de talent, vulgarisateur hors pair, Jules Guesde a marqué le socialisme de la fin du XIXe siècle. Jules Guesde ne dispose ni d’une position politique électorale ni d’une position universitaire. Le marxisme permet de surmonter ce double obstacle. L’auteur étudie le glissement vers le socialisme, l’activité de journalisme, le rapport à la théorie, ses rapports avec Marx. Guesde n’est pas un homme de l’écrit et l’oralité joue un rôle essentiel dans le mouvement ouvrier organisé dont il est un des meilleurs orateurs. C’est un homme de meeting. Guesde devient une figure politique nationale à partir de 1893, date de son élection à Roubaix qui ne deviendra son fief que plus tard. Il sait se montrer pragmatique mais sa défaite aux législatives en 1898 le conduit à nouveau à l’intransigeance.

Cette évolution idéologique est analysée avec beaucoup de finesse. Jean-Numa Ducange revisite les débats autour du ministérialisme et l’affaire Dreyfus en la resituant dans une perspective internationale tout comme il analyse à nouveaux frais la célèbre « controverse des deux méthodes ». La place de Jules Guesde dans le processus qui conduit à l’unité est aussi étudiée avec précision tout comme son choix de la « défense nationale » ou celui de ne pas suivre les bolcheviks en 1920. Le dernier chapitre s’attache à la mémoire de Jules Guesde.

Au final, le guesdisme a bien imprimé une marque « marxisante » à l’histoire du socialisme mais, loin d’être homogène ou « opportuniste », il est le produit de la tension entre tendances révolutionnaires et tropismes plus gradualistes qui fait l’ambivalence du personnage.

Rémi Lefebvre

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