mercredi 8 mai 2024
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Traité de Versailles : la faute à Wilson, par FLORENT LE BOT

Une formidable et haletante enquête sur un livre de Bullit et Freud autour de la psyché de Woodrow Wilson. (a/s de Patrick Weil, Le président est-il devenu fou. Le diplomate, le psychanalyste et le chef de l’État, Grasset, 2022, 475p, 23€)

Ce livre propose trois niveaux de lectures : l’histoire d’un livre, celle de son promoteur et coauteur William Bullitt, enfin l’histoire de la politique internationale des États-Unis de la Première Guerre mondiale à la guerre du Vietnam. L’entrelacs de ces trois dimensions offre beaucoup de prix à cet ouvrage.

Bullitt assiste Wilson dans les négociations autour du traité de paix visant à mettre fin à la guerre. L’incapacité de Wilson à composer avec les élus républicains du Congrès fait échouer la ratification du traité de Versailles par les États-Unis, laissant ces derniers à l’écart de la SDN, conçue pourtant comme le grand projet de Wilson pour un maintien durable de la paix dans le monde. Pour Bullitt, qui rompt avec Wilson avant même l’échec de la ratification, les raisons de cet échec sont à rechercher du côté des troubles mentaux du président. Pour instruire ce point de vue, Bullitt, muni de nombreux témoignages de première main et de documents confidentiels, voire secrets, se rapproche de Freud pour établir grâce à lui un portrait psychologique de Wilson. 

Destin d’un livre
Le livre rédigé dans les années 1930 connait un destin erratique. Bullitt en effet n’a pas renoncé à une carrière diplomatique de premier plan. Sa publication, qui peut lui aliéner des soutiens, est donc ajournée. L’élection de Roosevelt lui permet de revenir dans le premier cercle du pouvoir. Bullitt est le premier ambassadeur américain à Moscou à la suite de la reconnaissance de l’URSS par les États-Unis. En juin 1940, en tant qu’ambassadeur à Paris, il négocie avec l’armée allemande la reddition de la ville sans bombardement préalable. Il rompt en 1943 avec le président démocrate, dont il a été un des plus proches conseillers, considérant que celui-ci n’a pas conscience du danger soviétique et communiste. L’opposition au communisme au plan international (la Chine, l’Indochine, etc.) oriente son énergie durant la dernière partie de sa vie, tandis qu’il s’est rapproché d’une étoile montante du parti Républicain, Richard Nixon. En observant ce parcours, je me suis demandé si Bullitt n’illustrait pas avant l’heure la trajectoire d’hommes qu’on a qualifié de « néoconservateurs » (au tournant du XXIe siècle), armés par la certitude de la « destinée manifeste » des États-Unis, mais passé d’un idéalisme démocrate généreux à une position réactionnaire au sein du parti républicain fondée sur une lecture pessimiste et fermée des relations internationales.

Quoi qu’il en soit, l’ouvrage de Freud et de Bullitt n’est publié qu’en 1966, dans une version tronquée. Patrick Weil a retrouvé le manuscrit original et complet dans des archives américaines : un vrai « rêve » d’historien qui est à l’origine de ce projet.

Si Wilson s’était montré moins inflexible, si les États-Unis avaient ratifié le traité de Versailles et intégré la SDN, le cours de l’histoire jusqu’à la Seconde Guerre mondiale aurait pu être tout autre. Patrick Weil termine son récit par cette proposition d’histoire contrefactuelle (« si »). « Comment [nous dit-il finalement] empêcher une personnalité instable d’accéder et de demeurer au pouvoir, de mener un pays et parfois le monde à la catastrophe ? »

Florent Le Bot
Article paru dans L’ours 519, juin 2022.

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