jeudi 25 avril 2024
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Québec : naissance d’une nation…, par MAURICE BRAUD

À travers son livre de souvenirs, Pauline Marois retrace son parcours qui fit d’elle l’une des premières femmes québécoises ministres, puis la première Cheffe de l’opposition et enfin la première Première ministre du Québec. (a/s de Pauline Marois (avec Elyse-Andrée Héroux, en collaboration avec Laurent Emond), Au-delà du pouvoir, Montréal, Editions Québec Amérique, 2020, 440p, 32€)

Elle revient sur l’émergence et le rôle majeur de la démarche politique de ces militants réunis au sein du Parti québécois (PQ) qui, après la « Révolution tranquille » des années 60, ont voulu farouchement faire reconnaître la « nation québécoise » et imaginer une relation nouvelle avec ses deux voisins, anglophones, fédéraux et puissants, que sont le Canada et les États-Unis d’Amérique.

La question québécoise
Fille d’ouvrier issu de la paysannerie québécoise, francophone sur un plan linguistique et culturel, catholique et romaine sur un plan spirituel et religieux, elle décrit la prise de conscience progressive de son statut de « colonisée », confrontée comme jeune travailleuse sociale à la dure réalité du choc culturel et linguistique des habitants de l’Outaouais avec l’Ontario voisin et sa puissance économique anglophone. L’engagement au sein du PQ alors tout récent devient une conséquence naturelle, sur une base culturelle et linguistique certes, mais aussi sur une base « de classe », suivant une option clairement social-démocrate, dont Pauline Marois ne déviera jamais. Le PQ dans son histoire sera à la confluence de ces deux mouvements, national d’une part, de gauche, social-démocrate et proche du mouvement syndical (surtout la FTQ) d’autre part. Et, depuis 50 ans, c’est lorsqu’il parvient à conjuguer ces deux pôles qu’il est en mesure de gagner les élections provinciales et d’arriver aux responsabilités au Québec. 

Pauline Marois revient sur les différentes étapes de cette synthèse interne mouvante, qu’il s’agisse de la question nationale ou de l’option social-démocrate, suivant le leadership des uns et des autres. Sur la question nationale et la relation avec le Canada, du mot d’ordre « d’indépendance-association » forgé par René Levesque à la « gouvernance souverainiste » qu’elle tenta personnellement de mettre en œuvre, on suit avec elle les oscillations et les tâtonnements théoriques et conceptuels, après l’échec du premier référendum (1980) et, surtout, le coup d’arrêt du second (1995).

La nation québécoise ?
Et depuis 2014 ? Sur le fond, Pauline Marois ne varie pas. Elle continue de penser que la réalisation de la nation québécoise n’est pleinement possible que dans le cadre d’un État indépendant, mais elle demeure aussi – comme elle l’a toujours été – pragmatique sur les étapes nécessaires pour y parvenir comme sur les modalités à inventer concernant le lien avec les autres provinces canadiennes et avec les États-Unis d’Amérique voisins (le Québec est frontalier du Maine, du New-Hampshire, du Vermont et de l’État de New-York). Elle mesure combien depuis sa défaite électorale de 2014 le paysage politique québécois a changé. Elle ne se prononce pas sur l’actuel Premier ministre François Legault, ancien du PQ mais idéologiquement plus à droite et libéral, à la tête de la Coalition avenir Québec (CAQ) et, si elle évoque les divergences dans le passé avec Québec Solidaire, elle n’en parle pas au présent. Le Québec n’est pas pour elle une « nation imaginaire »1, l’avenir demeure pour elle politiquement ouvert mais il appartient aux générations suivantes.

Saisir la question nationale
Bien que ce ne soit pas évoqué directement dans l’ouvrage, il faut souligner les liens forts entre le Parti socialiste et le PQ au cours de toutes ces années, je peux personnellement en témoigner. Dès les années 1970, François Mitterrand – alors premier secrétaire – avait développé avec René Levesque des liens amicaux, renforcés encore lorsque le PQ obtint la majorité des sièges à l’Assemblée nationale du Québec en 1976 et Levesque devint Premier ministre. Les liens étaient facilités par des échanges inter partisans dans le cadre de l’Office franco-québécois pour la jeunesse (OFQJ). Aussi, contrairement à la plupart de ses partis frères du Parti socialiste européen (PSE) et de l’Internationale socialiste, le PS français entretenait au Canada une relation presqu’exclusive avec le PQ (rarement avec sa déclinaison fédérale du « Bloc québécois »), alors que les autres partis européens entretenaient des contacts principalement avec le New Democratic Party (NDP) anglophone. Ces liens personnels et amicaux, dont témoigne aussi Pauline Marois avec François Hollande et Jean-Marc Ayrault notamment, ne débouchèrent cependant jamais sur un travail plus approfondi et commun sur la question nationale ou sur la culture et les langues, ni pour nourrir une réflexion sur la France en interne (Bretagne, Pays basque, Catalogne française, Corse, Savoie, Alsace,…), ni sur ses voisins avec lesquels le PQ entretenait pourtant des liens étroits (Catalogne en Espagne, Flandre en Belgique,…), ni non plus sur les voies et chemins d’un fédéralisme européen renouvelé, bien que Jacques Delors – un peu isolé – ait caractérisé l’Union européenne comme devant devenir « une fédération d’États Nations ». Il y a là, concernant le Parti socialiste, un champ d’investigations et de questionnements en jachère qu’il conviendra sans doute de cultiver enfin. Pauline Marois nous y invite vivement à travers ce livre attachant de souvenirs et de combats.
Maurice Braud 

1 - Anne Legaré, Le Québec, une nation imaginaire, Presses de l’Université de Montréal, Montréal 2017.

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