C’est effectivement tout un ensemble de rĂ©formes audacieuses que l’auteure propose pour refondre une dĂ©mocratie qu’elle juge, comme beaucoup, en crise faute d’assurer une rĂ©elle Ă©galitĂ© entre tous les citoyens, particulièrement aux femmes, aux classes populaires, aux minoritĂ©s. (A propos du livre de Julia CagĂ©, Libres et Ă©gaux en voix. Des propositions radicales, Fayard, 2020, 264p, 19€. Article paru dans L’OURS 505, fĂ©vrier 2021.
Le livre détaille, donc, ce que pourraient être une Assemblée, évidemment paritaire entre les sexes, mais également représentative de toutes les catégories sociales, un usage régulier et délibératif du référendum, la démocratisation, par des bons publics alloués à tous les citoyens, des partis, des associations philanthropiques, des médias. Julia Cagé fait pleinement sienne la réflexion d’Hannah Arendt qui écrivait que « le pouvoir ne diminue pas lorsqu’il est partagé. Bien au contraire, il augmente. » Le livre n’est cependant pas qu’un catalogue de mesures. Il présente le double intérêt, d’abord de mener une réflexion sur la démocratie actuelle qui dépasse le constat, ensuite d’entrer dans les détails des mesures proposées pour en voir les difficultés potentielles.
DĂ©mocratie et pluralisme
Les problèmes de la dĂ©mocratie, pour l’auteure, tiennent au fait qu’elle tend Ă ĂŞtre confisquĂ©e par les Ă©lites, principalement les Ă©lites fortunĂ©es, avec le rĂ´le prĂ©pondĂ©rant de l’argent dans le financement des partis politiques malgrĂ© la part publique et l’appropriation des grands mĂ©dias. Mais, pour autant, elle dĂ©fend nettement la nĂ©cessitĂ© du caractère reprĂ©sentatif de la dĂ©mocratie et sa non moins nĂ©cessaire incarnation. Elle rĂ©cuse clairement, en effet, les prĂ©tentions des forces populistes et de leurs thĂ©oriciens qui veulent revendiquer, pour eux seuls, l’intĂ©rĂŞt gĂ©nĂ©ral et l’expression de la vĂ©ritĂ©, niant par lĂ mĂŞme le pluralisme qui est pourtant consubstantiel Ă la dĂ©mocratie. Et leurs mouvements, crĂ©Ă©s autour d’un leader, souvent par lui, n’ont rien de dĂ©mocratiques dans leurs organisations. Julia CagĂ© plaide donc pour « une dĂ©mocratie reprĂ©sentative, Ă©lective, participative et descriptive ». Il faut penser et oser l’égalitĂ© dans la vie politique. Les partis politiques, aujourd’hui affaiblis et souvent ignorĂ©s dans les propositions politiques, ne doivent pas au contraire ĂŞtre Ă©cartĂ©s d’une rĂ©forme d’ensemble de la dĂ©mocratie pour qu’ils retrouvent une capacitĂ© de former l’opinion.Â
Mais, pour ce faire, il ne faut pas se contenter de formules générales. Et c’est l’effort de l’auteure d’entrer dans le concret de ses « propositions radicales » et de les discuter même. Ainsi, avec le référendum, elle prend en compte ses risques, le manichéisme qu’il entraîne, la formulation des questions, les significations diverses des votes au-delà des questions posées. Il est donc décisif de veiller en plus du financement équilibré des campagnes au caractère réellement délibératif de la procédure, en explicitant préalablement, avec le temps nécessaire, les réponses alternatives avec leurs conséquences.
Faire participer les citoyens
Julia Cagé revient sur la question des élections primaires pour la désignation des candidats des partis. Ce ne sont pas elles qui provoquent la crise des partis, elles peuvent être des instruments utiles pour une démocratisation politique à condition d’être délibératives, de concerner tous les partis et d’être ouvertes à tous les citoyens. Une démocratie « descriptive » pourrait remédier à la coupure souvent évoquée entre les représentants et les représentés, dans la mesure où tous les partis devraient présenter dans leurs candidates et candidats, à toutes les élections, une part importante (40 %) d’entre eux issue des catégories populaires, ouvriers et employés, travailleurs et chômeurs, sous peine de perdre tout financement public.
Une suggestion importante est faite pour permettre une appropriation dĂ©mocratique des « biens publics » que sont, pour l’auteure, les partis politiques, les associations philanthropiques, les mĂ©dias. Il s’agirait de crĂ©er des « bons participatifs », financĂ©s par l’argent public, pour chaque citoyen, libre Ă lui de les attribuer, selon ses choix, lors de sa dĂ©claration fiscale. L’auteure, cependant, voit bien une des difficultĂ©s, la polarisation des choix des citoyens sur un petit nombre de partis, d’associations, de mĂ©dias. Cela l’amène Ă fixer des plafonds de financement au-delĂ desquels les sommes seraient rĂ©parties sur les autres acteurs de la vie politique et sociale pour que le pluralisme soit respectĂ©. Mais selon quelle clef et par qui ? Cela n’est pas dit. Les difficultĂ©s d’exĂ©cution ne seraient pas minces. D’une manière gĂ©nĂ©rale, « les propositions radiÂcales » avancĂ©es supposent, presque toutes, que la « volontĂ© populaire » soit un tant soit peu encadrĂ©e pour qu’elle demeure « vertueuse »…
En tout cas, ce sont là des idées qui permettent un débat fructueux, en sortant des écrits trop généraux qui se contentent de confronter des positions idéologiques et, souvent, abstraites.
Alain Bergounioux