mercredi 24 avril 2024
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Louis Guilloux, jeunesse d’un écrivain, par CHRISTIAN CHEVANDIER

Les œuvres intégrales peuvent s’étoffer longtemps après la mort des auteurs. La publication du Premier Hommeen 1984 nous a fait connaître un livre fondamental, bien qu’inachevé, d’Albert Camus. Et c’est presque quarante ans après la disparition de son ami Louis Guilloux que paraît L’Indésirable, son premier roman demeuré sous forme d’une page manuscrite et de 96 pages dactylographiées, conservé aux Archives municipales de sa ville de Saint-Brieuc. À propos du roman de Louis Guilloux, L’Indésirable, Avant-propos de Françoise Lambert, édition, notes et postface d’Olivier Macaux, Gallimard, 2019, 181p, 18€

L’on aurait pu craindre que, le centenaire passé, l’intérêt pour la Grande Guerre et la publication de documents se tarissent. Ce n’est pas le cas. Cet été, une des plus intéressantes expositions des Rencontres de la photographie à Arles, « La saga des inventions. Du masque à gaz à la machine à laver », présentait des clichés tirés des archives du CNRS. Photographies d’invention déposées entre 1915 et 1938, elles accordaient une part de choix à celles de la guerre, du lit pliant pour tranchées aux masques à gaz pour hommes et chevaux en passant par le stéthoscope indispensable pour écouter les mines.

Un inédit

La publication d’un inédit de Louis Guilloux, dont l’action se situe en 1917 dans une petite ville qui évoque Saint Brieuc, est une excellente surprise. Si le roman du jeune écrivain, si jeune que contrairement à Céline et Giono il a pu échapper aux combats, peut ne sembler qu’une esquisse, sans les qualités littéraires que l’on accorde à ses ouvrages ultérieurs, il est d’autant plus significatif que, rédigé cinq ans après l’armistice, il est plus proche des événements. Quelques détails ne nous conduisent pas moins insensiblement sur les traces de l’après-guerre, comme la phrase qui évoque un roman publié l’année de l’écriture : « Son fils avait le diable au corps. »

Après le refus d’un éditeur, Guilloux a suivi les conseils de Jean-Richard Bloch et de Georges Duhamel et conservé le tapuscrit « dans [s]on tiroir », l’y délaissant après la publication du Sang noir. Ce roman, qui relate comme L’Indésirableles mésaventures d’un professeur de lycée trop humain et confronté à la médiocrité des notables, a manqué de peu le prix Goncourt en 1935. Mais, comme avant lui Eugène Dabit ou Jean-Paul Sartre, comme après lui Emmanuel Roblès ou Daniel Rondeau, Guilloux obtint le prix du roman populiste pour Le Pain des rêves, puis plus tard le Renaudot.

De manière moins évidente, L’Indésirable annonce aussi La Maison du peuple, un court passage relatant le zèle de territoriaux venant construire des baraques pour un nouveau contingent de suspects internés dans le camp construit à l’orée du village. Ces ouvriers s’appliquent alors que la plus grande partie des habitants n’ont que haine et mépris pour les internés : « Leurs consciences de travailleurs se réveillaient en eux, leurs consciences simples de travailleurs qui aiment la bonne besogne, le travail bien fait. »

Il est malaisé de rendre compte d’un roman sans en divulguer une intrigue qui doit se dévoiler peu à peu, en une dynamique qui n’est pas tout à fait celle du Sang noir et avec un personnage qui n’a pas l’intensité de Cripure. Tout au plus peut-on signaler une peinture sans concession de la xénophobie de l’arrière (« Ne pas avoir de haine pour ces hommes et ces femmes ennemis, n’était-ce pas là manquer à son devoir ? »), de la lâcheté des petits notables (« Comme tous ses confrères, il avait pour principe : pas d’histoire, pas de scandale. »), de la vision d’un jeune soldat rentré dans sa famille le temps de soigner ses blessures (« Personne d’autre n’a encore compris, jusqu’à ce jour, que la seule chose qu’il fallait enseigner aux enfants, c’est la joie… que la joie est une grande force. »).

Le rêve de Lanzer
Des passages sont remarquables, comme le singulier rêve de Lanzer, le héros, dont il est sans doute abusif d’y voir une touche psychanalytique quand bien même Guilloux aurait-il eu connaissance d’une partie des théories freudiennes encore largement sur le métier. Il faut également prendre garde à l’usage du terme « camp de concentration », tant, sans même évoquer les camps d’extermination, les régimes totalitaires ont donné ensuite une autre acception au syntagme utilisé pendant la Grande Guerre. Tout au plus peut-on conseiller de profiter de ce petit cadeau, offert par surcroît pour découvrir ou redécouvrir l’œuvre d’un auteur essentiel du siècle dernier, d’autant que six de ses principaux livres ont été publiés en un seul volume1.

Christian Chevandier
(1) Louis Guilloux, D’une guerre à l’autre. Romans, récits, Gallimard, 2009, collection « Quarto ».

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