vendredi 29 mars 2024
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Le régime de Vichy et les nazis : quelle collaboration ?, par JEAN-LOUIS PANNÉ

Le fait n’est pas contesté : la Shoah a été moins meurtrière en France que dans d’autres pays européens. C’est même le titre d’un livre de Jacques Sémelin : Persécution et entraide dans la France occupée. Comment 75 % des juifs en France ont échappé à la mort (Les Arènes, Le Seuil, 2013, L’Ours 486). Pour autant la question reste source de débats, parfois violents, quand il s’agit d’en expliquer les raisons. (a/s de Jean-Marc Berlière, Emmanuel de Chambost, René Fievet, Histoire d’une falsification. Vichy et la Shoah dans l’Histoire officielle et le discours commémoratif, L’Artilleur, 2023, 325p, 22€)

Une controverse récente, suscitée par un candidat à la présidentielle, s’est emparée des médias peu scrupuleux de cerner le plus objectivement possible les conditions particulières qui ont permis ce sauvetage. L’armée française vaincue, la République bientôt remplacée par un « État français » engagé dans la collaboration avec l’Allemagne victorieuse, un pays coupé en zones soumis aux réquisitions pharamineuses, plus d’un million et demi de prisonniers, on n’en finirait pas d’évoquer ce que fut la réalité de l’occupation nazie dont les administrations militaires, économiques et policières contrôlent la vie quotidienne. Subsiste cependant le régime de Vichy et jusqu’en novembre 1942, une zone dite non occupée. Régime qui tente de se légitimer face aux Allemands.

Le livre est composé de trois parties : la première est consacrée à la « remise en place » de l’histoire, la seconde aux historiens idéologues, la troisième à la question de la mémoire et de la manière dont les discours présidentiels jouent avec elle et l’histoire.

L’impact des occupants
Pourquoi s’attacher à poser, sur la base des travaux antérieurs, les faits dans leur complexité ? Parce que trop souvent l’occupation allemande est escamotée pour ne plus considérer Vichy qu’en lui-même. Cette partie traitée scrupuleusement peut surprendre celui qui est soumis à la doxa aujourd’hui imposée par les médias, mais il n’en reste pas moins qu’elle est particulièrement éclairante. 

Au moins deux temporalités s’affrontent : celle des nazis et celle du régime de Vichy, dont les oscillations seront confortées par les réactions de l’opinion publique après les rafles de juillet-août 1942. Dans ce drame de la déportation des juifs en France, il serait malhonnête de ne pas tenir compte des effets du choix de Vichy de sacrifier les juifs étrangers tout en bloquant, par exemple, la dénaturalisation de juifs français. C’est en prenant en considération tous les facteurs de la situation que l’on peut comprendre pourquoi tant de juifs ont pu survivre à Paris jusqu’à la libération. N’est-ce pas Serge Klarsfeld lui-même qui écrivit : « … Bousquet l’a poussé [Laval] à accepter que les arrestations de juifs à Paris et en province soient opérées par la police française, qui arrêtera le nombre voulu de juifs à condition que ces juifs soient exclusivement des étrangers. » Klarsfeld fut amené à préciser : « le sort des armes défavorable au IIIe Reich et la sympathie agissante de la majorité des Français en faveur des juifs persécutés ont maintenu Vichy dans le cadre d’une collaboration policière antijuive correspondant à la nature de son antisémitisme et non à celui fanatisé de la Gestapo. » (« La tragédie juive de 1942 en France : ombres et lumières  », Le Monde, 26 août 2003).

Une histoire distordue
La seconde partie tout aussi riche se centre sur la déconstruction de discours portés par certains historiens au risque de l’anachronisme et de souhaits rétrospectifs faciles. Le mélange d’arguments historiques et d’arguments idéologiques ne contribue nullement à une compréhension sereine des situations. Dès lors, toute cette tragique histoire est distordue comme lorsqu’un hebdomadaire titre : « Comment vichy a imposé l’étoile jaune », alors que Vichy n’est pas responsable de cette mesure discriminatoire. On voit vers quelle confusion nous sommes entraînés. Si le cynisme de Vichy ne fait aucun doute, ses tergiversations face aux exigences allemandes ont donné du temps aux persécutés et, par là, la possibilité d’échapper à l’arrestation.

La troisième partie revient sur l’accumulation des discours, en premier lieu ceux des présidents, pour mieux en décortiquer la substance. Depuis le discours de Jacques Chirac en 1995, on constate un emballement nourri d’approximations, de contradictions, d’oublis qui confinent à la falsification, celui d’Emmanuel Macron à Pithiviers en juillet dernier en constituant un sommet. Nous voilà désormais face à une France, à la France en tant que telle (non plus simplement le régime de Vichy) intrinsèquement complice, affirmation qui se double de l’oubli de la France libre que l’on peut légitimement considérer comme la continuation de la République. Dans un tel agglomérat de contre-vérités, c’est aussi la négation de ce qui a fait l’essence de la Résistance : libérer le pays pour rétablir la République. Les maquisards du Vercors ont mis publiquement en avant, par voie d’affiches, cette évidence : « Le 3 juillet 1944, la République française a été officiellement restaurée dans le Vercors, À dater de ce jour les décrets de Vichy sont abolis et toutes les lois républicaines remises en vigueur. » Comment se fait-il que nos présidents aient oublié une telle proclamation qui donne sens au combat des résistants, au prix du sang et des larmes ?

En démontant les dérives et contradictions des tenants d’une histoire soumise à des intérêts idéologiques, les trois auteurs nous ramènent vers l’Histoire tout court. Un travail sans concession, qui doit faire date et qui montre qu’on ne peut pas inféoder l’histoire à une quelconque idéologie au risque de distordre les faits et nourrir, par là, une vision faussée d’une époque déjà suffisamment sombre.

Jean-Louis Panné
Article paru dans L’ours 527

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