vendredi 19 avril 2024
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La déclaration de principe de 2008 : « L’entrée dans le XXIe siècle », par ALAIN BERGOUNIOUX

Le 14 juin 2008 a été adoptée la première déclaration de principes du XXIe siècle. Cela peut paraître naturel au début d’un nouveau siècle. Mais pourquoi cette date précisément ? Cela tient à la défaite présidentielle du printemps 2007. La troisième depuis 1995. L’idée qu’une des causes venait de l’imprécision du projet socialiste s’est vite imposée. (Extrait de la brochure, Alain Bergounioux, Déclarations de principes socialistes, 1905-2008, L’Encyclopédie du socialisme, 2008, 64p, 5€)La campagne présidentielle, à côté de la présentation de propositions programmatiques, a vu également une confrontation de valeurs entre la droite et la gauche, le « mérite individuel » contre l’« ordre juste », le « travail libéré » contre la « valeur travail », etc. Le premier secrétaire, François Hollande, a donc proposé la tenue de « forums de la rénovation » pour faire le point sur des questions qui ont été au centre de la controverse politique. Parallèlement, dans le même esprit, Jean-Christophe Cambadélis, membre du bureau national du Parti socialiste, lança la proposition de réécrire la déclaration de 1990 pour faire le bilan des évolutions intervenues dans la pensée socialiste. Les deux initiatives se sont rejointes au printemps 2008.

Trois forums
Trois forums, donc, se sont tenus de novembre 2007 à janvier 2008 : le premier avec pour thème « Les socialistes et la Nation », à Avignon le 24 novembre ; le second sur « Les socialistes et le marché », à Paris le 15 décembre ; le troisième, sur « Les socialistes et l’individu », toujours à Paris le 20 janvier1. Préparés dans un contexte marqué par la préparation des élections municipales et cantonales, ils ont donné lieu à des échanges intéressants, et à des textes nourris. Mais le débat n’a pas gagné les militants et n’a été que peu popularisé. Pour lui donner une visibilité, le conseil national du 25 mars, après les succès aux élections municipales et cantonales, a décidé de confier à une commission, avec des participants représentant les différents « courants » du Parti, la rédaction d’une nouvelle déclaration. Le choix a été fait de ne pas se contenter d’une réécriture du texte de 1990, avec quelques ajouts et suppressions, mais de partir d’une réflexion neuve. Cela explique la forme prise par cette déclaration, un texte avec un préambule et des articles, permettant d’isoler les idées, les valeurs et les principes, avec un effort pour les définir. La difficulté était évidemment de mener cette tâche dans un esprit de rassemblement. Une déclaration de principes étant en quelque sorte la carte d’identité des socialistes, ne peut qu’être élaborée que dans le souci d’être acceptable, sinon par tous les socialistes (ce qui est quand même une gageure,..), du moins par le plus grand nombre.

Le travail a été mené tout au long du mois d’avril. Dans la commission2, les débats ont été vifs – compte tenu de l’importance et de l’ampleur des sujets abordés – mais la volonté d’aboutir était également présente. Un projet a finalement été soumis au bureau national du 22 avril et adressé aux militants dans L’Hebdo des socialistes du 26. Des réunions de sections se sont tenues à peu près partout et des amendements transmis aux fédérations qui ont choisi, dans l’esprit « consensuel » qui devait présider à l’élaboration de ce texte, ceux qui ont été soumis à une commission nationale des résolution, le 10 juin, avant que le texte amendé ne soit adopté dans une convention nationale le 14. Un peu moins de 40 % des adhérents ont voté dans les sections, 82 % ont voté en faveur du texte, 7,4 % ont voté contre, 9,8 % se sont abstenus. À la convention même, 94,5 % des délégués ont approuvé le texte.

Le caractère propre de cette déclaration de 2008 ne tient pas seulement à sa forme.

Trois questions, en effet, ont guidé la réflexion qui a présidé à la rédaction de cette déclaration. Quel inventaire peut-on faire des deux siècles écoulés pour le socialisme démocratique ? Autrement dit, que demeure-t-il de solide par rapport aux doctrines initiales ? Quels doivent être les grands objectifs socialistes face aux défis du XXIe siècle commençant ? Quels sont, enfin, les principaux caractères spécifiques du Parti socialiste – car il s’agit d’un texte qui ne concerne pas seulement l’idée socialiste, mais aussi le Parti socialiste français dans ce qu’il a de spécifique par rapport à d’autres partis socialistes ? Cela explique la structure du texte en trois grandes parties, les finalités fondamentales, les grands objectifs, les caractères du Parti.

Le préambule permet de replacer le Parti socialiste dans son histoire. Il permet aussi de souligner qu’il ne repose pas sur une philosophie politique totalisante. Ses sources sont diversifiées, la pensée socialiste dans sa diversité évidemment, les pratiques du mouvement ouvrier, mais tout autant l’humanisme et la philosophie des Lumières. Ce que Jean Jaurès avait d’ailleurs théorisé lorsqu’il plaidait pour l’unité du socialisme et de la République. Cela amène à souligner que le socialisme s’inscrit profondément dans les principes qui ont été ceux de la « modernité politique » : la volonté de libérer avant tout l’individu des oppressions et des discriminations, l’affirmation de la primauté de la raison dans les affaires humaines, fondement de la conception laïque, l’importance des institutions publiques pour défendre les droits fondamentaux. Cette déclaration établit clairement ce que doivent être les rapports entre la liberté, la finalité fondamentale pour tout être humain, et l’égalité, un moyen pour assurer la réalité des libertés. Le socialisme démocratique consiste à assurer que chaque individu puisse jouir de ses droits fondamentaux pour conduire le plus possible sa vie.

La déclaration de 2008 en trois parties
Cet objectif a plusieurs implications. La première est qu’au même rang que les droits traditionnels, civils, politiques, sociaux, figure aujourd’hui le droit à un environnement de qualité préservant les équilibres écologiques de la planète. Ce n’est plus une dimension parmi d’autres de la politique socialiste, comme cela l’était en 1990, mais une finalité aussi importante que les autres. La seconde dimension porte sur la notion même de progrès. Elle avait tendance à ne pas être précisément définie ces dernières années. Elle est pourtant essentielle pour les socialistes. Le principe de précaution, que les socialistes défendent, ne peut pas fonctionner comme un interdit. Les risques, inhérents au développement de la science, doivent faire l’objet de délibérations et d’arbitrages démocratiques. La démocratie justement, valeur invoquée dans toutes les déclarations précédentes, est la troisième dimension essentielle. Elle est, à la fois, fin et moyen. Surtout c’est ce qui demeure de solide dans le socialisme, au-delà des idées initiales de collectivisation de la propriété, une théorie et une pratique de la citoyenneté qui fait que l’action collective démocratique doit permettre d’influer sur les évolutions économiques et sociales. Reste entier évidemment le problème des moyens – ce qui n’est pas de l’ordre d’une déclaration de principes. Cette première partie tente ainsi d’offrir une théorie du socialisme démocratique qui dépasse la seule énumération de notions pour articuler une logique politique.

La seconde grande partie présente des continuités avec le texte de 1990, mais également des ruptures qui tiennent à une volonté de précision. Le rapport critique au capitalisme garde la même actualité aujourd’hui qu’hier. Les socialistes ont toutes les raisons pour maintenir leurs critiques initiales à un moment où le capitalisme financier domine la mondialisation. Ils ont tiré, en même temps, les leçons du siècle écoulé : les initiatives privées sont essentielles au dynamisme d’une économie, mais elle doivent être « encastrées »3 par des normes et des règles sociales et écologiques. La notion d’« économie sociale et écologique de marché » se comprend par là. Elle met fin à des ambiguïtés qui étaient encore au cœur du texte de 1990. L’idée que les socialistes doivent se donner pour tâche de définir et de mettre en œuvre un « nouveau modèle de développement », qui conjugue la croissance économique, les équilibres écologiques, la solidarité sociale, est une déduction directe des finalités fondamentales. Il faut en finir avec la juxtaposition des politiques pour les penser ensemble. C’est une forte exigence, Par rapport aux autres déclarations, il a été jugé nécessaire de consacrer un développement à la notion de travail elle-même, tellement elle est un enjeu politique important entre la droite et la gauche évidemment, mais aussi au sein de la gauche sur la place même du travail. Les deux derniers grands objectifs ne sont pas spécifiques au XXIe siècle. Ils ont été au cœur du combat socialiste depuis des décennies, d’abord construire une protection sociale, qui démarchandise une part de la société, qui construit (si l’on y réfléchit bien) un morceau de « communisme » dans une économie capitaliste, ensuite contribuer à forger une communauté internationale équilibrée, pacifiée le plus possible, adoptant les valeurs des Droits de l’Homme. C’est toujours un défi central pour les socialistes. La déclaration de 2008 a le mérite de bien cerner les dimensions de ces objectifs,

La dernière partie définit les caractères propres du Parti socialiste. Ce sont des notions (« parti républicain », « parti réformiste », « parti laïque », « parti européen », « parti féministe », « parti décentralisateur », etc.) qui, soit, sont utilisées couramment, mais méritent d’être expliquées plus justement, soit, sont nouvelles et demandent, encore plus, d’être lues attentivement. Il est d’ailleurs notable que la majorité des amendements émanant des fédérations aient porté sur les articles de la troisième partie. À titre d’exemple – faute de pouvoir commenter tous ces articles dans le cadre de cette présentation – il est intéressant de s’arrêter sur quelques définitions claires : la laïcité est plus qu’un « principe de tolérance », elle est un combat pour la liberté de conscience. Mais elle entend aussi être un lien entre tous les habitants d’une même République, elle offre une possibilité de dialogue entre les différentes religions. « Parti réformiste » ? L’affirmation va de soi, car les socialistes n’ont rien fait d’autre depuis 1936 ! Mais encore faut-il préciser ce que l’on doit entendre par « réformisme » – la droite le prétend aussi. L’article définit donc quel projet réformiste porte le Parti socialiste et les méthodes qui sont les siennes, la loi et le contrat. « Parti féministe », l’article a fait beaucoup discuter (et réfléchir). Il consacre le combat des femmes – qui a été une des grandes causes du siècle passé et demeure un élément clef de progrès social. Il le définit principalement comme une volonté d’égalité entre les femmes et les hommes. « Parti européen » : l’article a été jugé soit trop peu enthousiaste, soit trop peu critique, selon les points de vue. Pourtant, il dit l’essentiel. Les socialistes font de la construction européenne, l’Union européenne, un choix historique, une part de leur identité même. Ils défendent un programme propre, avec des politiques spécifiques. Ils veulent participer à la construction d’un vrai parti européen qui ait un caractère transnational.

La déclaration de 2008 fait ainsi le pont entre la tradition socialiste et son identité actuelle. Sans être un projet, elle propose une analyse de fond de l’histoire du Parti socialiste telle qu elle est en train de s’écrire. Elle est un élément dans un processus de rénovation appelé largement après l’élection présidentielle de 2007. .

Ainsi, de 1905 à 2008, les circonstances ont, à chaque fois, fortement influencé ces déclarations principes. Elles ont toutes été rédigées pour répondre à une question politique précise. Ce poids du présent explique naturellement la caducité de certains thèmes trop liés à des problématiques datées. Mais la lecture comparée de ces textes permet malgré tout de bien mettre aux jours les éléments de continuité et la logique des évolutions. Des déclarations de principes qui s’en tiendraient à l’expression des valeurs auraient plus de permanence – ce qui est le cas dans d’autres partis européens. Mais, le problème clef pour un parti, qui a l’ambition de « déranger le monde », doit être de penser (ou de repenser) les moyens de mettre en oeuvre les valeurs fondatrices. De ce point de vue, l’histoire de ces déclarations de principes nourrit utilement la réflexion.

Alain Bergounioux

(1) Les rapports ont donné lieu à une publication, Les forums de la rénovation, avec une préface d’Alain Bergounioux et d’Henri Weber, Parti socialiste, service de communication, 2008.

(2) Cette commission, présidée par Alain Bergounioux, a eu une composition changeante, certains courants invitant, selon les réunions, des représentants différents. Mais plusieurs responsables ont participé activement aux travaux de manière régulière ; Henri Weber, François Rebsamen, Harlem Désir, Stéphane Le Foll, Bernard Soulage, Laurent Baumel, Jean-Luc Mélenchon, Pascale Le Néouannic, Pascal Cherki, Mireille Le Corre.

(3) Cette notion est fondamentale dans la réflexion de Karl Polanyi qui, dans son ouvrage majeur, La Grande Transformation, a le mieux défini ce que doivent être les rapports entre l’économie de marché et la démocratie politique

 

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