vendredi 19 avril 2024
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Feuille de route pour la transition écologique, par PIERRE PAPON

La France, comme l’Union européenne, s’est fixée l’objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050 afin de limiter le réchauffement climatique de la planète. Comment peut-elle réaliser cette transition énergétique ? Ce livre du « Shift Project », un groupe de réflexion prospective créé par Jean-Marc Jancovici, veut répondre à cette question. (a/s deThe Shift Project, Climat, crises : Le plan de transformation de l’économie française, Odile Jacob, 2022, 256p, 11,90€)

Dans son avant-propos, Jean-Marc Jancovici rappelle que l’usage immodéré des énergies fossiles (80 % de l’énergie mondiale) est la principale cause du réchauffement climatique et que si nous voulons le limiter à 2°C « il faut prendre le taureau par les cornes » en modifiant radicalement nos consommations d’énergie afin de baisser nos émissions de gaz à effet de serre, notamment de dioxyde de carbone. C’est l’objectif du Plan de transformation de l’économie française (PTEF), présenté dans ce livre. Celui-ci n’est ni « croissantiste » ni « décroissantiste » mais un « Plan de navigation » guidé par trois consignes de sobriété : réduire drastiquement la consommation d’énergies fossiles ; limiter celle de matériaux ; limiter la consommation de biomasse. 

Une consommation d’énergie réduite de moitié d’ici 2050
Ce plan ne propose pas de scénarios énergétiques, mais il fait l’hypothèse que la consommation finale d’énergie serait réduite de moitié en 2050 par rapport à 2019. La part de l’électricité serait prédominante (près de 60 %), celle des énergies fossiles (pétrole et gaz naturel) très limitée, et celle des carburants solides (le bois) liquides et gazeux produits à partir de la biomasse d’environ 20 % (leur production est coûteuse). L’électri­fication est la clé de cette transformation pour laquelle le PTEF adopte le scénario à forte dose de nucléaire (50 % de l’électricité produite en 2050-2060, le reste par les filières renouvelables), proposé par RTE (Réseau de transport de l’électricité) dans son rapport Futurs énergétiques 2050, mais sans en discuter les implications technico-financières.

L’industrie, l’agriculture et le transport sont trois secteurs majeurs examinés par le PTEF ; ils représentent 75 % des émissions de gaz à effet de serre de la France. Celle-ci ayant laissé péricliter des pans entiers de son industrie depuis les années 1970, il plaide pour sa réindustrialisation fondée sur des ruptures technologiques, permettant de « décarboner » l’industrie lourde grâce à des procédés électriques. L’agriculture et l’agroalimentaire sont promis à une mutation : une division par trois de la production de viande bovine, de porc et des volailles, d’un tiers de celle de lait et d’œufs, imposant une réorientation vers l’agroécologie. S’agissant de la mobilité, le PTEF propose de transporter le fret lourd par des camions électriques et par voie ferroviaire et fluviale. La mobilité locale représentant 60 % des distances, parcourues à 65 % en voiture, afin de diminuer les émissions de CO2 il mise sur le télétravail, un « urbanisme des courtes distances » avec des déplacements en vélo et en « microvoitures », et sur la « cyclo-logistique » pour les livraisons en zones urbaines. La mobilité à longue distance (plus de 80 km), est dominée par la voiture et l’avion et les distances ainsi parcourues diminueraient de 20 % et d’un tiers, tandis que le trafic ferroviaire triplerait. L’automobile (40 millions de véhicules particuliers et utilitaires légers) contribuant à 20 % des émissions de gaz à effet de serre, le passage à la motorisation électrique s’impose avec une transformation de l’industrie automobile. La France compte 37 millions de logements et le PTEF préconise la rénovation thermique d’un million d’entre eux par an, la priorité aux immeubles collectifs dans les constructions neuves (moins de maisons individuelles) et l’utilisation de matériaux à faible empreinte carbone. 

Effets sur l’emploi
Des coups de projecteur sont donnés sur l’évolution de l’emploi dans des secteurs représentant 15 % des emplois actuels. Dans ce périmètre, 300 000 créations nettes seraient possibles avec un bilan contrasté. Ainsi l’industrie automobile (production, réparation et entretien) enregistrerait une perte nette de 300 000 emplois, la fabrication des véhicules électriques étant plus simple et la demande plus faible. La transformation de l’agriculture et de l’industrie agroalimentaire se traduirait par une création nette de 500 000 emplois alors que dans le bâtiment, le bilan des emplois serait équilibré, les besoins pour la rénovation compensant les pertes dans la construction. 

On peut s’interroger sur ces évaluations. En effet, le Plan n’est-il pas optimiste en envisageant la compensation des pertes d’emplois dans l’industrie automobile par des créations dans des secteurs comme les vélos et les batteries ? L’agriculture où la productivité diminuerait (moins de labours et d’engrais) pourrait-elle attirer un demi-million de travailleurs dans un métier difficile et mal rémunéré ? Enfin, peut-on créer des emplois de cyclistes-livreurs « ubérisés », à la situation sociale précaire ? 

Renforcer l’action de l’État
Le Shift Projet plaide pour le renforcement de l’action de l’État mettant en œuvre une planification de la transition énergétique, mobilisant les financements publics et l’épargne pour transformer l’économie ; mais il est discret sur la taxation du carbone. Il appelle aussi à refonder l’action territoriale en concertation avec tous les acteurs, évaluée périodiquement par des « COP » (conférences des parties) locales. 

Le Shift Project a le mérite de proposer une feuille de route pour réaliser la transition énergétique. Elle est sans doute incomplète et ses auteurs reconnaissent d’ailleurs que la question de la reconversion des emplois reste « épineuse ». La formation à des nouveaux métiers, la nécessité de faire sauter des verrous techniques par la recherche et la lutte contre la précarité énergétique auraient mérité une réflexion approfondie. 

La transition énergétique est une rupture et si l’on veut éviter qu’elle provoque de trop fortes tensions, il est nécessaire de prendre en compte sa dimension sociale. 

Pierre Papon
Article paru dans L’ours 519, juin 2022.

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