jeudi 25 avril 2024
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Féminismes, histoires sans fin, par Sylvain Boulouque

Des générations et des visages du féminisme viennent de trouver des illustrations livresques dans des temps et des espaces distincts.

La Voix des femmes est une publication anarchiste argentine de la fin du XIXe siècle. Le journal est publié entre 1896 et 1897, composé et rédigé par des militantes toutes issues du monde du travail qui se distinguent par la précocité de leurs revendications. Elles dénoncent à la fois la société de classes qui se forme à Buenos-Aires et, en même temps, la division sexuelle, les inégalités de salaires et l’oppression patriarcale en grande partie générées par l’omniprésence de la religion

Leurs coups de griffes sont aussi destinés aux compagnons qui considèrent que la priorité doit demeurer à l’organisation politique. Les mœurs, y compris militantes, sont mises à l’épreuve, dans leur rapport de domination, dans l’image qu’elles comportent des femmes. Le journal multiplie les appels aux luttes mêlant les femmes, les hommes et le social.  Le choix de textes propose également de montrer d’autres formes de propagande par des poésies et des illustrations.

Près d’un siècle après aux États-Unis , Andrea Dworkin (1946-2005) est l’une des principales figures du féminisme américain, dans la lignée de Valeria Solanas et son SCUM manifesto (Society for Cutting Up Men, association pour tailler les hommes en pièce) et bien avant que la question de l’intersectionnalité ne soit déformée de son sens. Andrea Dworkin porte des thèmes devenus à la mode : utiliser les fêtes d’Halloween pour porter des revendications féministes en se déguisant en sorcières ; dénoncer la pornographie comme un des facteurs de domination ; repenser l’égalité dans les luttes sociales comme les choix de sa sexualité. Elle devient également une des principales porte-parole du mouvement LGBT. Souvent provoquants, ses discours viennent rappeler que des débats actuels sont en fait bien plus anciens. 

Le roman de la féministe norvégienne Gerd Brantenberg est tout simplement hilarant, un mélange de George Orwell et de Mel Brooks détournant jusqu’à l’absurde les clichés sur les représentations des sociétés matriarcales. Elle décrit un monde dans lequel les rapports de pouvoir sont inversés. Les femmes dirigent et exploitent les hommes. Elles reprend tous les clichés des discours masculins pour montrer comment fonctionne Égalie, le pays où les femmes détiennent le pouvoir. Une révolte masculiniste éclate. UN Roman traduisant jusqu’à l’absurde les mécanismes de domination.

C’est la dénonciation de ces mécanismes qui a poussé Elvire Duvelle-Charles à militer dans les mouvements néo-féministes. L’ancienne documentaliste de TF1 est poussée à l’activisme par les réflexions sexistes quotidiennes du genre « si tu étais célibataire tu aurais des croissants ». Elle rejoint les Femmen, crée les comptes du mouvement sur les réseaux sociaux. Une de ses premières actions militantes est de manifester contre Dominique Strauss-Kahn. Elle participe au collage sauvage d’autres activistes avant de créer Clit-Révolution (cf. Sarah Constantin et Elvire Duvelle-Charles, Clit Révolution. Manuel d’activisme féministe, Des femmes, 2020, 222p, L’OURS 499). Son site devient l’un des principaux centres de l’activisme par internet. Toute la réflexion porte alors sur l’ambivalence de ce type de militantisme. En effet, si elle compte de nombreu-ses-x ami-e-s, le déchainement des trolls et autres promoteurs de haine abondamment cités laisse le lecteur pantois : il pose la question de l’action sur le web et aussi du contrôle de la parole.

À lire, le récit de Nora Benalia, on serait tenté de dire que le sexisme s’est transformé. Son livre constitue un cri face à la domination masculine. Cette description de la violence quotidienne du sexisme ordinaire est décapante. Une jeune femme abandonne sa liberté pour se marier, quitter son travail et élever ses enfants jusqu’au jour où elle subit des violences conjugales. Elle croise alors le déni de ses proches, le syndrome de la répétition de situations connues par sa mère, mais choisit les chemins de l’émancipation, appelant à de nouvelles formes de relation entre femmes et hommes. Parfois démonstratif, le récit n’en n’est pas moins une brulante réflexion sur l’actualité.

Sylvain Boulouque

A propos de :
La voz de la Mujer. Ni dieu ni patron ni mari, Nada, 2021, 96p, 8€
Andrea Dworkin, Notre sang, Des femmes/Antoine Fouque, 2021, 214p, 14€
Gerd Brantenberg, Les Filles d’Égalie, Zulma, 2021, 378 p, 22 €
Elvire Duvelle-Charles, Féminisme et réseaux sociaux. Une histoire d’amour et de haine, Hors d’atteinte, 2022, 224p, 17€
Nora Benalia, Ce prochain amour, Hors d’atteinte, 2021, 196p, 17€

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