Claude Dupont avait rendu compte ici même de la publication initiale de cet ouvrage (« L’Occident à l’heure de l’examen », L’ours 535). Paraît au format poche non pas une nouvelle version, mais une version « mise à jour et augmentée ». (a/s de Bruno Tertrais, La guerre des mondes. Le retour de la géopolitique et le choc des empires, édition mise à jour et augmentée, Alpha, coll. « Essais », 2025, 328 p., 9 €)
Dans les bouleversements que connaît le monde, par de changements dans les logiques développées par la Chine de Xi Jinping ou la Russie de Vladimir Poutine, mais assurément, la réélection de Donald Trump, sa tonitruante prise de fonction – avec le déroulé d’un agenda soigneusement préparé par le Projet 2025 – change la donne, malgré quelques couacs, « en promettant l’alliance entre la nostalgie des années 1950 et la haute technologie des années 2020 ».
Nous savions que le monde d’après Yalta n’existait plus, et que n’existe pas d’avantage le monde après l’effondrement de l’URSS. Monde de compétition entre des empires (comme dans les années 1910), de compétition entre États dictatoriaux (comme dans les années 1930, le tournant pris par l’Amérique trumpiste étant particulièrement inquiétant de ce point de vue), mode aussi d’une nouvelle guerre froide naissante « pas vraiment bipolaire donc, mais pas non plus multipolaires au sens où de multiples centres de pouvoir de poids égal coexisteraient ». Et Bruno Tertrais de nous souhaiter la « bienvenue dans la guerre tiède, troisième choc en cent ans entre le monde des autocraties et celui des démocraties ».
Contestée sur le terrain de l’efficacité, mais aussi de la légitimité (pensons ici-même aux remises en cause du principe même d’État de droit dont l’extrême droite n’a hélas ! plus l’exclusivité), les démocraties ont leurs faiblesses. Les autocraties ont apparemment le temps long pour eux mais, comme le souligne la conclusion, « entourés de sycophantes, leurs dirigeants sont souvent incapables de voir l’état du monde (et de leur propre pays) tel qu’il est réellement ». Bruno Tertrais rappelle que la déférence l’emporte chez elles sur la compétence. Préoccupante illustration en est le fonctionnement de l’administration Trump (et pas seulement s’agissant d’Elon Musk), alors même que Poutine ou Xi Jinping déroulent, au sens étymologique du terme, leur propre agenda.
Une guerre de Trente ans…
Dans un cadre qui symboliquement (on l’espère) pourrait prendre la forme d’une « guerre de Trente ans », aux épisodes multiples et aux enjeux mouvants, les démocraties occidentales ne sont pas forcément les moins armées, au plan économique notamment. Encore faut-il qu’elles le restent : Bruno Tertrais comptait Israël dans cet ensemble ; le chemin illibéral, cyniquement éloigné des règles de droit national ou international, que prend le gouvernement Netanyahu peut d’autant plus nous inquiéter que les pays d’Europe de l’Ouest, dont le nôtre, ne sont pas à l’abri d’une telle évolution.
Dût-on critiquer certaines de ses approches ou conclusions en fonction de sa propre grille de lecture du monde, le livre de Bruno Tertrais nous offre des repères particulièrement utiles pour décrypter un monde où l’incertitude, voire l’incohérence, se fait système, des éclairages offrant des perspectives pour trouver un chemin par temps de brume épaisse continue. Évoquant Game of Thrones, l’auteur indiquait qu’il n’y avait plus de « trône de fer » ; comme dans cette saga, Winter is coming (« l’hiver arrive »). Nous savons désormais qu’il sera long et indéterminé ; la politique de l’autruche serait la pire réponse à apporter à ce défi. Sans minorer l’effort de défense nécessaire, Bruno Tertrais rappelle justement que défendre les « passions positives » (universalisme, liberté, démocratie), passe davantage par « le combat des idées que par celui des armes ».
Luc Bentz
Article paru dans L’ours 541, mai-juin 2025