A propos de Gonzalo Berger et Tania Ballo, Les combattantes, Syllepse, 2022, 222 p, 25 € ; Édouard Sill (dir.), ¡ Solidarias !, Rennes, PUR, 2022, 242 p, 22 € et « femmes au combat, mythe ou réalité », De la guerre, mook dirigé par Jean Lopez, Perrin, 2022, 19 €
Les combattantes, ouvrage passionnant de deux spécialistes de la participation des femmes dans la guerre civile espagnole, centre son propos sur la Catalogne, dans une remarquable synthèse des informations existantes. Les auteurs commencent par l’organisation des femmes libertaires espagnoles Mujeres libres pour se pencher ensuite sur la participation des femmes à la bataille de Barcelone. Ils font apparaître le caractère quasi légendaire de certaines combattantes, à l’image de Marina Ginesta, immortalisée le fusil à l’épaule dominant Barcelone. Exhumant les familles politiques, ils passent en revue les communistes engagées en Catalogne, les 160 combattantes de la Colonne Durruti ou les 109 militantes du POUM de Barcelone. Ils évoquent la place des femmes dans les combats, même si elle n’a été que brève. Un bel hommage à ces femmes souvent restées dans l’ombre du conflit et qui, pour beaucoup, ont été obligées de changer de fonctions dans l’armée passant à l’arrière suite au tournant de la militarisation.
Solidarias ! est né d’un colloque consacré aux volontaires étrangers et à la solidarité internationale féminine durant la guerre d’Espagne (1936-1939) et organisé par les Amis des combattants volontaires en Espagne républicaine. Les contributions rassemblées se penchent sur ce champ méconnu du soutien à la République espagnole.
La présence féminine dans l’engagement en Espagne reflète la division sexuée de la société et comme faible part de l’engagement féminin dans une société masculine. S’ajoute en outre la particularité des combats en Espagne, la militarisation des milices en octobre 1936 puis l’interdiction des femmes sur le front le 1er décembre entraînant la fin de la participation au combat des quelques femmes présentes sur le front. Même si elle est faible sur un plan numérique, un peu plus de 600 engagées sur un peu moins de 40 000 volontaires, la présence féminine en Espagne républicaine recouvre plusieurs aspects. La division sexuée du conflit fait que les femmes sont renvoyées à des métiers spécifiques comme celui d'infirmière. On peut avoir cependant quelques regrets. L’article sur Simone Weil en Espagne est particulièrement daté et ne tient pas compte des avancées de la recherche ; le journal de Georgette Kokoczynski dite Mimosa n'est pas exploité. Ces remarques effectuées, il convient de souligner l’apport de l’ouvrage.
Une constante, les divisions dans le camp républicain, se retrouvent dans toutes les communications. Si l’on retient l’exemple de l’aide médicale, à côté de la Centrale sanitaire internationale mise en place par le Komintern, les socialistes et les membres de la Fédération syndicale internationale ont organisé leur propre hôpital.
Quatre approches ont été privilégiées.
D’abord, le colloque procède à un retour historiographique et méthodologique. Paul Boulland utilise le Maitron pour montrer la place des femmes dans l’engagement pour la République espagnole. Sur les 6225 notices – rappelons qu’au total plus de 10 000 Français se sont rendus en Espagne républicaine – il est possible de recenser 96 femmes. L’immense majorité est présente à l’arrière du front. Seules quelques militantes, surtout dans les premiers mois, participent aux combats principalement dans la colonne Durruti et dans celle du POUM. Ce cas de figure se retrouve également s’agissant des volontaires américaines. Robert S. Coale montre à partir du fonds de la Brigade Lincoln que les femmes sont surtout envoyées comme infirmières. Le rôle de Fredericka Martin, infirmière de formation, est central puisqu’elle coordonne l’envoi de 116 volontaires sur les quelques 3000 combattants nord-américains. Il en est de même pour les Pays-Bas étudiés par Sran De Leede qui constate que sur plus de 700 volontaires 22 femmes se rendent en Espagne pour travailler principalement comme infirmière. Erica Grossi et Lorenzo De Sabbata livrent des résultats analogues pour les Italiens où sur 3500 volontaires on compte 55 femmes.
Dans une seconde partie plus spécifiquement consacrée aux femmes parmi les volontaires Édouard, Sill montre pour la France que très rapidement elles sont écartées des lignes de front pour servir de manière très majoritaire dans les services médicaux et quelques fois dans l’appareil international du Komintern. Hervé Lemesle se penche sur les près de 2000 volontaires yougoslaves 1,2 % sont des femmes, leur parcours social les distingue des hommes, les origines étant pour un quart socialement plus privilégié, ce qui au regard des professions exercées – médecins, infirmières – semble normal. Majoritairement communistes encartées, une minorité dans cette minorité appartient à la colonne Durruti ou à celle du POUM. Configuration qui se retrouve chez les Italiennes ou Autrichiennes.
La troisième partie est dévolue à la solidarité internationale organisée depuis l’étranger. L’étude de l’organisation libertaire Solidarité internationale antifasciste et de celle contrôlée par le PCF communiste, viennent souligner la faible visibilité des femmes à l’exception de quelques figures souvent mise en avant dans ces organisations solidarité : Paula Feldstein pour la maison d’enfant de la SIA et Agnès Dumay dans le cas du Secours rouge devenu populaire, jusqu’à sa mort sous les bombes franquistes en décembre 1938. Il en est de même dans l’accueil organisé par la CGT. Enfin la dernière partie est consacrée aux intellectuelles paries en Espagne. L’étude sur Gerda Taro montre son rôle dans la mise en valeur des femmes dans l’Espagne républicaine. La contribution sur Martha Gellhorn souligne son importance dans le reportage de guerre. Son itinéraire d’Espagne en passant par la Pologne occupée par l’URSS en 1939 jusqu’à l’intervention américaine à Panama en 1989 vient souligner la continuité d’un combat pour la reconnaissance des droits humains.
La lecture pourra être prolongée par le deuxième numéro du mook, De la guerre, dirigé par Jean Lopez consacré aux femmes au combat, mythe ou réalité (Perrin, 2022, 19 €). On remarquera cependant deux absences : les combattantes dans la guerre civile espagnole et aussi les Vietnamiennes, alors que François Guillemot y a consacré un ouvrage essentiel (Des Vietnamiennes dans la guerre civile, Les Indes savantes, 2014). Ce qui ne remet pas en cause la qualité du volume.
En introduction, Pascale Desclos met en perspective ce thème évoquant la réalité de ces combattantes, des Amazones aux Croisées en passant par les combattantes du Sentier lumineux et, surtout, des unités féminines du PKK au Kurdistan (qui font aussi l’objet d’un article). Elle souligne que le phénomène est très minoritaire et souffre d’un manque d’archives. Le dossier est complété par un article sur les trois Jeanne (Penthièvre, Montfort et Belleville) qui ont toutes les trois vaillamment participé à des combats (Jeanne de Belleville devient une corsaire redoutable, au milieu du XIVe siècle). Enjambant les périodes, l’entretien avec Liouba Vonograda propose une synthèse sur les combattantes de l’armée rouge auxquelles elle a consacré un ouvrage (Les tireuses d’élite de l’Armée Rouge, Éditions Héloïse d’Ormesson, 2018), dont il est impossible de connaître le nombre exact, mais qui a constitué une réalité autant qu’un moyen de propagande. Le dossier permettant un survol de la question des femmes aux combats.
Sylvain Boulouque