AccueilActualitéClasse politique : malaise dans la représentation, par ROBERT CHAPUIS

Classe politique : malaise dans la représentation, par ROBERT CHAPUIS

C’est à cette question que se sont attachés deux spécialistes de science politique, avec le concours de quelques autres chercheurs. Ils rappellent d’abord combien les élus sont devenus vulnérables : les menaces de mort prolifèrent et ils sont bien souvent stigmatisés, vilipendés, alors qu’ils s’estiment à la fois surchargés et mal payés. Les candidatures diminuent et nombre d’élus envisagent de ne pas se représenter. Il ne faut pas cependant trop noircir le trait, soulignent les auteurs : les listes électorales ne manquent pas de candidats et l’élection reste une compétition. D’où vient donc le malaise ?

Pour Didier Demazière et Rémi Lefebvre il est clair que le métier des élus a profondément changé. D’où une difficulté pour les juger et mieux comprendre leurs responsabilités. Ce changement est aussi mal vécu par les intéressés eux-mêmes. Il n’y a plus guère de « carrières à vie » comme par le passé et les élus se mettent en retrait ou en retraite plus souvent sans y être obligés. L’élection peut alors contribuer à une bifurcation professionnelle : les métiers de consultant et les activités de conseil sont un débouché assez fréquent. D’une façon générale les échanges entre le public et le privé se sont développés. Une charge publique issue de l’élection devient une référence professionnelle. Par ailleurs les élus voient leur activité beaucoup plus encadrée que par le passé. La transparence est de rigueur. Divers procès font référence. L’opinion généralise alors les cas de corruption ou d’enrichissement personnel et de ce fait les élus se sentent toujours soupçonnés du pire.

Le personnel politique a changé. Il s’est féminisé à force de quotas et d’exigence paritaire. Il s’est ouvert à la société civile. Ainsi les élections de 2017 ont vu l’élection de nombreux novices en politique. Des témoignages personnels montrent la déception de certains d’entre eux, qui s’estiment plutôt dévalorisés, déclassés en quelque sorte. C’est pourquoi, comme le note Antoine Vauchez, on assiste à « l’accroissement massif des positions d’auxiliaires politiques et à la lutte accrue pour les places qui en résulte ». Tout assistant parlementaire se sent un élu en puissance ! Enfin deux questions taraudent tant l’opinion que les élus eux-mêmes : celle du cumul des mandats et celle qui lui est en partie liée de l’indemnité correspondant à leur charge.

Le cumul était une habitude aux temps de la IIIe ou de la IVe République. Il était constitutif d’une carrière politique. Il a été fortement contenu et limité par des lois successives sous la Ve, en particulier pour les fonctions exécutives. Les parlementaires choisissent de plus en plus de se replier sur leur fonction de président, voire de vice-président de région ou de département. Le cumul reste cependant fréquent avec les fonctions communautaires qui ne sont pas soumises au suffrage universel. Elles apportent d’ailleurs un complément financier à des élus locaux mal payés pour leur fonction propre. La question des indemnités est d’autant plus confuse qu’on ne sait pas très bien à quel « travail » elle correspond. Est-ce une compensation ou une rétribution ? La diversité des situations, selon la nature des fonctions et l’importance géographique ou démographique des lieux d’élection, aboutit à un système tellement compliqué qu’il devient incompréhensible et cette opacité contribue à la défiance des uns et à l’insatisfaction des autres.

Il faut dire qu’en France la multiplicité des communes s’identifie à la République depuis les origines, ce qui ne facilite pas une bonne régulation. Le maire français exerce un mandat, le bourgmestre allemand exerce un métier. La question de la représentation est forcément liée à celle de la décentralisation, mais qui oserait vraiment aujourd’hui « décoloniser la province » ?

Dans ses limites, ce petit livre fait en tout cas œuvre fort utile. Si ses élus sont « déclassés », le peuple cesse d’être représenté. Il ne manquera pas alors de parti ou de leader pour vouloir le représenter à lui seul. Le populisme est à nos portes. Prenons garde de ne pas lui confier le sort de la République.

Robert Chapuis
Article paru dans L’ours 535 mai-juin 2024

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