jeudi 9 mai 2024
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Ce que le théâtre dit de nos présidents, par CAMILLE GROUSSELAS

Puisant à plusieurs sources de documents (archives officielles, presse, photos et caricatures) l’auteur, fin connaisseur de l’art théâtral dans ses figures diverses, nous introduit sur la scène présidentielle en rappelant pour chaque spectacle le contexte politique, l’argument dramatique de la pièce et la distribution. Mais ce qui fait aussi le sel de ce livre d’histoire est la restitution de la réception de l’œuvre jouée dans les journaux sous la plume de critiques de renom et, parfois, d’auteurs prestigieux. On savourera la parole présidentielle émise à l’issue du spectacle, si différente d’un président à l’autre.

Le livre comporte cinq chapitres ou, si j’ose dire, cinq actes.

Le premier acte débute, comme il se doit, avec « Charles de Gaulle, dix ans de théâtre national » pour fonder une nouvelle politique et célébrer l’apport de la France à la culture. Sous sa présidence, l’art du spectacle sert une entreprise d’État. Les soirées de gala surpassent les soirées théâtrales et sont placées sous le signe du faste gaullien : protocole instauré spécialement pour recevoir en grande pompe les hôtes de marque (chefs d’État étrangers). Épris de classicisme et écrivain lui-même, on ne s’étonnera pas de la liste des auteurs retenus mais qui relèvent, à l’exception de quelques-uns comme Claudel ou Rostand, plus de considérations politiques et de circonstance. Cela commence en octobre 1959 par un coup d’éclat avec Tête d’Or de Paul Claudel pour la soirée inaugurale du nouveau Théâtre de France-Odéon et s’achèvera avec Le Cid de Corneille en février 1959, choisi pour recevoir Bokassa. Viendront après Claudel, dans l’ordre, Giraudoux, Hugo, Racine avec Britannicus et Andromaque, Corneille avec Polyeucte, puis deux Molière, Marivaux et Musset, et enfin Cyrano de Bergerac qui achève en panache le cycle théâtral gaullien commencé avec l’audace claudélienne et qui s’est voulu une illustration de la grandeur nationale.

Le deuxième acte avec Georges Pompidou (« Le théâtre « embourgeoisé ? ») constitue une rupture dans la continuité politique. Oubliée l’œuvre classique, instrumentalisée pour les réceptions ritualisées des chefs d’État, et bienvenue à la modernité et à sa diversification. Place aux galas et soirées privées. Les représentations entrent à l’Élysée. Le président, normalien, amoureux de la peinture contemporaine, affiche délibérément sa dilection pour le vaudeville et le théâtre de boulevard et, dans son théâtre contemporain, Ionesco et Beckett n’ont pas place. Musset et Marivaux seront remobilisés pour recevoir le corps diplomatique et pour organiser une soirée de gala Molière au bénéfice d’ATD-Quart monde. Mettant à l’honneur le théâtre de boulevard, le président favorise le théâtre privé au détriment de la Comédie-Française et contribue, dans le cadre des soirées organisées à l’Élysée, à la consécration des auteurs vedettes.

Le troisième acte, avec « Valéry Giscard d’Estaing, une pincée de théâtre », affiche un rapport plus ténu que ses prédécesseurs : deux soirées officielles à la Comédie-Française. Il se rend pour assister en privé, en couple ou en famille, aux représentations. Marivaux et Musset (On ne badine pas avec l’amour) servent de nouveau pour une soirée de gala en faveur de la Fondation de France. Faits marquants : l’hommage à Madeleine Renaud au Palais de l’Élysée en novembre 1976 et sa présence comme président de la République à la salle Richelieu, le 4 novembre 1976, pour la création de Lorenzaccio. On a peu de réactions du président à ses représentations comme c’est le cas avec les bons mots spirituels de ses prédécesseurs.

Le quatrième acte voit l’entrée en scène de François Mitterrand : « Un éclectisme novateur ». Comme Malraux pour de Gaulle, celui qui fut pendant dix ans son ministre de la Culture, Jack Lang, apparaît à la fois comme l’intime des goûts littéraires du président et l’initiateur d’une politique culturelle nouvelle. On apprend par ce dernier le goût du Président pour le théâtre et sa curiosité pour les créations nouvelles. Shakespeare et Tchekov sont les auteurs aimés du président qui y trouve matière à méditer sur la vie, le pouvoir et la mort. L’auteur relate le geste inaugural du président nouvellement élu se rendant au festival d’Avignon où il enchaîne exposition à la Maison de Jean Vilar, rencontres avec les élus, pour assister enfin à l’ultime répétition du Roi Lear préparé par Daniel Mesguich. À Avignon en 1986, il assistera à la représentation de La Tempête et, en 1987, au Songe d’une Nuit d’été, preuve s’il en est de son attirance pour ce dramaturge et poète hors norme. François Mitterrand sait apprécier aussi les lieux de théâtre modestes, mais vivants, comme à Cormatin-en-Saône-et-Loire, où il inaugurera la salle du théâtre, dans le quartier des Grésillons à Gennevilliers, où il assistera à une représentation d’une pièce de Gotthold Éphraim Lessing, Nathan Le Sage, qui fait entendre une vision humaniste de la politique dont le président se veut l’initiateur. « La pièce, écrit André Désiré Robert, relève d’un théâtre d’idées ; elle est un plaidoyer pour la tolérance, contre la superstition, le fanatisme et la tyrannie ». Elle entre en résonance, fait-il remarquer, avec un passage de la Lettre à tous les Français du 7 avril 1988 consacré au racisme. L’acte Mitterrand s’achève avec la pièce d’Aimé Césaire Et les chiens se taisaient, donnée au festival des Francophonies en Limousin en septembre 1993, qui nous vaut un beau commentaire de François Mitterrand.

Le dernier chapitre se veut « un regard sur le théâtre des quatre autres présidents de 1995 à 2022, suivi de figurations de présidents au théâtre (1979-2022) ».

On saura gré à l’auteur d’avoir su attiser notre curiosité et notre intérêt pour ce rapport singulier au monde du spectacle de nos présidents qui, ainsi mis en lumière, révèle la chimie présidentielle entre intimité et raison d’État.
Camille Grousselas
article publié dans L’ours 533 janvier-février 2024

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