jeudi 9 mai 2024
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Voyages à l’intérieur de la mélenchonie, par ARNAUD DUPIN

Convaincus par le discours de rupture avec le PS porté par Mélenchon, Céline Piot et Patrick Séguin adhèrent au PG dès sa création en 2009. Devant le tournant libéral pris par les socialistes, ils estiment qu’il faut reconstituer un pôle de gauche radical solide sur ses fondamentaux démocratiques, la laïcité et la défense des opprimés. Sans rompre, ils commencent à éprouver des réserves quant au développement du nouveau parti, sa direction ne souhaitant pas perdre du temps dans des congrès sans fin comme au PS. Il faut agir avec rapidité et efficacité. Les militants ne doivent pas s’écorcher lors d’élections fratricides. Le PG fonctionne sur le principe du consensus, la direction omettant de préciser que cette fabrique du consensus laisse les mains libres aux plus puissants pour fixer la stratégie de l’organisation. Néanmoins la belle campagne de 2012 et le score encourageant de Jean-Luc Mélenchon (11,10 % des voix au premier tour) font passer sous silence les premiers doutes.

Populisme de gauche…
Après les scores décevants aux élections locales de 2014-2015 (élections municipales, départementales et régionales) ainsi que les déchirements entre partenaires (PCF et PG), la direction du PG se montre de plus en plus séduite par la stratégie populiste de gauche qui passe par la création du mouvement LFI. Ce dernier doit fonctionner de manière plus décentralisée qu’un parti, afin de laisser davantage l’initiative aux groupes locaux, et délaisser le clivage droite-gauche pour celui, jugé plus porteur, du peuple contre les élites. Ce changement d’optique se fait sans l’avis des militants puisqu’ils sont d’accord par nature avec le « chef ».

La mise en place de cette nouvelle ligne s’accompagne d’une évolution des valeurs qui laisse de plus en plus sceptiques les deux auteurs qui ne quittent pourtant pas le navire afin de pouvoir continuer leur combat politique. L’universalisme promu par le PG n’est plus défendu par les dirigeants de LFI, même si ceux-ci continuent à s’en réclamer. Ainsi, la laïcité, pierre angulaire de la République, est mise en balance avec le concept flou d’islamophobie qui serait grandissante dans le pays. La défense du peuple des opprimés qui est à la racine du combat de la gauche est progressivement délaissée au profit d’un homo urbanus des banlieues, présenté comme le nouveau damné de la terre. Laisse-t-on la France périurbaine et les campagnes aux mains des populismes de droite et d’extrême-droite ?

Quant à la démocratie interne, Céline Piot et Patrick Séguin consacrent de longues pages à démontrer son inexistence. La direction ne s’embarrasse pas avec ce type de procédure, tout en se justifiant de mener un combat politique tellement difficile que les militants ne pourront que suivre le « chef » et les siens. La direction de LFI manœuvre sans cesse pour que son entourage trouve un point d’ancrage électoral sans véritable implantation.

La Nupes, pour quoi faire ?
En 2022, LFI a fait un retour fracassant dans le monde de la gauche en mettant en place la Nupes avec comme partenaires le PS et EELV. Néanmoins les deux auteurs expriment leurs doutes quant à la pérennité de cette union qui a été comparée par ses promoteurs au Programme commun. Ne s’agit-il pas d’une nouvelle stratégie développée par Jean-Luc Mélenchon afin d’assurer l’hégémonie de son mouvement sur la gauche dans la foulée d’une élection présidentielle où il a talonné la candidate du RN ? Une fois de plus, les militants LFI n’ont pas été consultés. En outre, la campagne des élections législatives a été marquée par l’hyper-personnalisation de l’ex-candidat à l’élection présidentielle au détriment des partenaires. « Élisez-moi Premier ministre ! » en a été le principal slogan.

Céline Piot et Patrick Séguin terminent leur ouvrage sur une déconstruction méthodique de l’image que cherche à se donner Mélenchon depuis 2022. N’occupant plus de fonction élective (une première depuis 1983), ce dernier parfait sa stature d’intellectuel grâce à la présidence de l’institut La Boétie qui présente un programme ambitieux de formation. Néanmoins, le « chef » s’occupe en sous-main de la vie de LFI et plus largement de la Nupes et n’hésite pas à écarter de la direction de son mouvement les figures montantes qui pourraient faire de l’ombre à lui-même et ses proches. Les auteurs mettent également le doigt sur les montages financiers divers et variés mis en place afin de permettre le bon déroulement de campagnes présidentielles de plus en plus coûteuses mais qui assurent une visibilité médiatique au mouvement mélenchoniste ainsi que sa suprématie sur la gauche.

La gauche d’après…
Nonobstant le ressentiment des auteurs devant l’évolution d’un mouvement qu’ils ont contribué à développer dans leurs départements respectifs, En panne de sens est une lecture utile et très bien informée afin de comprendre de l’intérieur les fragilités des « partis personnels ». Que deviendra LFI le jour où Mélenchon quittera définitivement l’arène politique ? L’absence de procédures démocratiques internes afin de garantir la légitimité aux dirigeants qui lui succèderont ne permet pas d’appréhender avec optimisme le devenir d’une organisation qui est pourtant prédominante aujourd’hui à gauche.

Arnaud Dupin

(Article paru dans L’ours 533, amputé de sa dernière ligne et de la signature. Avec toutes nos excuses à l’auteur et à nos abonnés.)

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