samedi 20 avril 2024
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Cannes 2022, notre palmarès alternatif, par JEAN-LOUIS COY

Le festival 2022 a présenté une kyrielle de films dans un tel désordre de thématiques qu’il a été difficile de faire la part du cinéma et de l’embrouillamini médiatique. (à propos de Evolution de Kornel Mundruczo ; Armageddon Time, de James Gray ; et Hi Han de Jerzy Skolimowski)

Comme d’habitude, les discours emphatiques et compassionnels se sont multipliés, chacun avec sa « prise de position », son « engagement », ses vœux « humanitaires » pour une terre meilleure que les choix d’un jury et de son palmarès déconcertent. Ce n’est pas ainsi que les salles se rempliront déclarait un critique mais comment rappeler à tous que le cinéma ne consiste pas seulement à « tourner un film » puisque les caméras y arrivent toutes seules.

Nous ne parlerons ici que de trois films déjà possibles à visionner, volontairement nous n’insisterons pas sur les pellicules des « abonnés » au festival ni sur la palmarès lui-même que l’on peut facilement connaître.

Le dernier opus du hongrois Kornel Mundruczo, déjà auteur de films primés à Hollywood, Venise et … Cannes (Delta, 2008 ; White God, 2014 ; Pieces of Woman, 2020…), s’avère au-dessus du lot. Evolution est un film sur un sujet difficile à aborder avec originalité, le traumatisme intergénérationnel de la Shoah. Nous suivons le chemin de trois personnes de la même famille entre 1945, 1980 et 2020, leur compréhension du drame, ses conséquences sur leur comportement et la manière de lui survivre. Film magnifique tant sur le fond que la forme esthétique rendant au cinéma en tant qu’art sa puissance d’évocation, sa beauté et sa fonction culturelle. Sorti avant l’ouverture du festival, Mundruczo ne fut même pas cité lors du palmarès tandis que la critique unanime en louait les qualités.

Armageddon Time est une autobiographie alerte de James Gray, sa jeunesse de petit juif doué à New York, la société US, ses travers et ses injustices. Le garçon se débrouille avant de se rendre compte que son attitude ne répond pas à la réalité du climat social. Ainsi, Paul qui n’est rien d’autre que James Gray adolescent, constate-t-il que le destin de Johnny son copain noir ne ressemblera pas au sien et échouera dans le mauvais rêve américain. Lui-même (peut-être) conscient d’être un artiste se posera bien des questions sans perdre un fond d’espérance. En fait, James Gray, auteur célèbre de Little Odessa, The Yards, Ad Astra revient sur son passé et analyse ce qu’a été son parcours. Ce travail personnel laisse planer un goût d’amertume, de désenchantement qui peut nous déconcerter. Pourtant, s’éloignant de ses sujets habituels, il nous accroche par la qualité de sa mise en scène, l’émotion de ses propos et, surtout, son observation pessimiste de la société libérale exerçant une pression tenace sur le bien-être des individus. L’artiste se pose-t-il une question sur la nécessité de prolonger son œuvre ? Armageddon Time nous offre une chance de prendre conscience de nos limites et la vanité de nos illusions.

Il est scandaleux de ne pas voir le nom de James Gray inscrit dans le palmarès de Cannes 75e. De quoi s’agit-il si l’on fait remarquer que ce très important cinéaste américain n’a jamais été primé en cinq années où il présentait ses films sur la croisette !

Nous évoquerons Hi Han de Jerzy Skolimowski, auteur clé de la grande époque du cinéma polonais des années 60-70 (L’école de Lodz) dont la filmographie hétéroclite a toujours enthousiasmé les cinéphiles. Habile chef opérateur, virtuose du montage, scénariste créatif, Jerzy est un homme de cinéma, sa longue carrière européenne et même aux USA lui a valu estime, admiration et réussite (Deep End, Travail au noir, Quatre nuits avec Anna, Essential Killing…) Ici, il retrace le destin d’un âne face à la violence humaine ordinaire, la tendresse teintée de cette incompréhension que nous devinons au creux même de toute innocence. Une fois encore nous assistons au triomphe de l’art cinématographique. Skolimowski est en pleine forme à 84 ans, aussi brillant qu’à l’époque où il tournait Signe particulier : néant (1964). Il a obtenu le Prix du Jury, mais pourquoi ex-aequo avec un autre long métrage n’ayant rien à faire là-dedans ? 

Nous pourrions citer la Palme d’Or Sans filtre, une victoire de la provocation par l’auteur de The Square qui avait surpris le jury de 2017, comme quoi c’est l’habitude à Cannes de flatter toute révolte qui se prépare à bouleverser la société (!).

Dernier conseil : bientôt sortiront La nuit du 12 de Dominik Moll, Showing Up de Kelly Reichardt, deux à ne pas manquer. Et puis surtout, suivre la Mostra de Venise qui débutera en septembre pour la gloire du cinéma.

Jean-Louis Coy

article paru dans L’ours 520, juillet-août 2022

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