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13 novembre 2015 : Retour sur un procès, retour sur un assassinat de masse, par CHRISTIAN CHEVANDIER

Cent trente morts : le pire massacre survenu sur le territoire métropolitain depuis la Libération dont le procès vient de se tenir hante encore les esprits.  (a/s de Sylvie Caster, Lorraine Redaud, Xavier Thomann, Emmanuel Prost, Corentin Rouge et Benoît Springer, 13 Novembre 2015. Le Procès, hors-séries de Charlie Hebdo, 2022, 144 et 144 p, 28€ le coffret ; Sylvie Caster, 13 Novembre. Chroniques d’un procès, Les Echappés, 2022, 352 p, 20€)

Cette tuerie a déjà été le cadre d’une série télévisée d’Éric Toledano et Olivier Nakache, En thérapie (2021), et de trois films. Si ceux de Mikhaël Hers, Amanda (2018), et d’Alice Winocour, Revoir Paris (2022), nous émeuvent tant, c’est parce qu’ils traitent de la survie des proches et des rescapés, du deuil et de la nécessité d’oublier un peu : la banalité des détails y a toute sa force, et lorsque le frère d’une victime tente de jeter les affaires de toilette de sa sœur, sa jeune nièce s’insurge en une scène poignante. 

La fiction et ses écueils
Il faut parfois retenir ses sanglots, comme un commissaire de police qui est entré dans le Bataclan lorsque s’y trouvaient les terroristes et qui ne peut pas lire les portraits des victimes que publie Le Monde : « Dès que je commençais à en lire un, je sentais que j’allais pleurer » explique-t-il aux chercheurs du Programme 13-Novembre, programme transdisciplinaire mené sur douze ans et qui notamment a recueilli (et recueillera) quatre milliers de témoignages1. Le film de Cédric Jimenez, Novembre (2022), est d’une tout autre nature, et il s’attache tout en prenant garde à ne pas mettre en scène le charnier, à ne pas « filmer l’infilmable » a-t-il dit à Cannes, à suivre jusqu’à l’assaut final un service de police qui traque les assassins islamistes survivants ; la semaine de sa sortie, début octobre, il a été vu par plus de 500 000 spectateurs. D’une indispensable sobriété pour un tel sujet, il n’en a pas moins été exposé aux écueils que doit affronter toute fiction. C’est ainsi que le personnage de Samia porte un voile. Or la jeune femme qui l’a inspiré, et dont les renseignements ont permis de localiser le reste du commando s’apprêtant à commettre un nouvel attentat à la Défense, n’a jamais porté ce couvre-chef prosélyte d’une norme islamiste. Elle a donc fait diffuser un bandeau avant le générique indiquant « que le port du voile islamique par le personnage de Samia répond à un choix de fiction qui ne reflète pas ses convictions personnelles ».

Le « procès des attentats du 13 novembre », comme l’ont baptisé les médias, a rythmé les mois de septembre 2021 à juin 2022, plongeant longuement le pays dans le souvenir de ces jours tragiques. S’il a montré à quel point la justice peut être rigoureuse, il n’a pas apporté de connaissance vraiment nouvelle sur les faits eux-mêmes, et le livre de trois chercheurs du Programme 13-Novembre paru en 2020 n’a deux ans plus tard rien perdu de sa pertinence2. Quelques points demeurent encore dans l’ombre, le renseignement et la diplomatie n’ayant pas (encore ?) livré leurs secrets tandis que le président de la République n’a pas été plus explicite lorsqu’il a expliqué : « On savait d’où ça venait, très vite, dans la nuit, on a eu un certain nombre de profils qui nous ont été présentés3. »

Comment rendre compte ?
Les contemporains du procès de Klaus Barbie, 35 ans auparavant, se souviennent des comptes rendus dans Le Monde de Jean-Marc Théolleyre et dans Libération de Sorj Chalandon, qui a obtenu l’année suivante le prix Albert Londres. Mais celui-ci n’avait pas duré trois mois, tout comme celui d’accusés ayant apporté une aide logistique aux assassinats de janvier 2015. Pour les massacres du vendredi 13 novembre 2015, la durée comme la présence de témoins, de rescapés, de proches des victimes, se sont révélées une véritable épreuve. C’est la raison pour laquelle une chroni­queuse judicaire chevronnée du Monde, Pascale Robert-Diard, a préféré « descendre du bateau » après avoir cédé à l’émotion à l’issue de la déposition d’un policier et subi l’interven­tion d’un de ces bénévoles présents pour réconforter le public et auquel elle a eu envie de dire : « Bon sang, laissez-moi pleurer. » C’est aussi pourquoi certains journaux, comme Le Monde, ont préféré confier la tâche à une équipe.

Ce fut également le cas de Charlie Hebdo, d’autant plus motivé par l’étude du djihadisme que sa rédaction avait été victime de tueurs islamistes, qui mit en ligne sur son site, chaque soir, les comptes rendus de Lorraine Redaud et Xavier Thomann et les croquis d’Emmanuel Prost, Corentin Rouge et Benoit Springer, tous trois dessinateurs dans un premier temps de bandes dessinées. Et, chaque semaine, un long article de Sylvie Caster paraissait dans Charlie Hebdo. C’est l’ensemble de ces documents, dessins d’audience et chroniques, qui sont publiés dans 13 novembre 2015. Le procès, hors-série de l’hebdomadaire. Rassemblés en deux volumes, ils procurent une impression fort différente de celles qui sur le moment furent les nôtres, semaine après semaine, jour après jour. Nous l’avions déjà remarqué lors de la parution, déjà comme hors-série de Charlie Hebdo, du livre de François Bouc et Yannick Haendel, Janvier 2015. Le Procès. Rassemblées également en un ouvrage plus classique, les chroniques de Sylvie Caster nous sont offertes par cette présentation pour une lecture plus linéaire, plus littéraire, et relatent très pertinemment le procès, ce qu’il nous a permis de percevoir des massacres, prenant en compte l’émotion en tentant de ne pas trop y céder. Journaliste à Charlie Hebdo de 1976 à 1981, la grande époque de Cavanna et du professeur Choron, autrice par ailleurs d’une dizaine d’ouvrages souvent inspirés par ses chroniques judiciaires, elle parvient à « faire entendre l’effroi », cette impression qui passe des rescapés et des sauveteurs à ceux qui les écoutent puis relatent leurs propos, comme si l’horreur se transmettait ensuite à travers la parole et l’écrit pour nous atteindre.

Un événement
C’est aussi comme « Chronique judiciaire », celle qu’il a tenu dans ce qui s’appelle depuis bientôt dix ans L’Obs, qu’un autre écrivain, Emmanuel Carrère, publie V 13 (P.O.L). Excellant dans l’art de relater les malheurs, il écrit avec une singulière honnêteté, sans hésiter à s’interroger sur un livre précédent, Yoga (P.O.L.,2020). Il y racontait son action de bénévole dans l’île de Léros auprès de migrants dont il brossait un sympathique portrait, et il comprend aujourd’hui que trois des tueurs du 13 novembre sont arrivés en Europe par Léros. Car il faudrait sans doute pouvoir s’extraire des scènes de crime de Paris et Saint-Denis pour comprendre un événement dont les dimensions politiques, sociales et géopolitiques ne doivent pas être laissées de côté.

Christian Chevandier
Article paru dans L’OURS 522, novembre 2022

1 – https://www.memoire13novembre.fr/
2 – Laura Nattiez, Denis Peschanski et Cécile Hochard, 13 novembre. Des témoignages, un récit, Odile Jacob, 2020.
3 – Christian Chevandier, Mémoires d’une tragédie. Les policiers du 13 novembre 2015, Robert Laffont, 2022, p. 304 (L’ours 516).

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