jeudi 28 mars 2024
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1984-1988 : les alternances vues d’en haut, par RAYMOND KRAKOVITCH

Ce gros ouvrage constitue une somme sur la politique française de 1984 à 1988. Il résulte d’un travail de recherche approfondi achevé par un colloque organisé par l’Institut François Mitterrand à l’Assemblée nationale les 21 et 22 janvier 2016. Son objet principal était de faire l’inventaire des éléments qui subsistèrent du changement opéré en 1981 au cours des années étudiées. L’accès dérogatoire aux archives présidentielles a permis d’enrichir les travaux de documents inédits. Georges Saunier (dir.), Mitterrand, les années d’alternance 1984-1986 et 1986-1988, Nouveau monde éditions, 2019, 879p, 27€) (article paru dans L’OURS 490, juillet-août 2019)Les bonnes analyses sont légion. On citera celle d’Anne-Laure Ollivier sur le gouvernement Fabius, celles de Didier Maus et Bernard Lachaise sur la cohabitation, l’article d’Agnès Tachin sur Mitterrand et les médias. L’étude de Michel Margairaz sur les privatisations et le libéralisme est éclairante, de même que le passage en revue de la politique culturelle (Laurent Martin), de la protection sociale (Michel Dreyfus) et de l’évolution du Parti socialiste (Alain Bergounioux). Presque toutes les contributions seraient à citer.

Passage à la cohabitation
Le passage à la cohabitation pour la première fois sous la VeRépublique est central dans la plupart des études. On croyait l’usage du terme dû à Balladur mais selon Didier Maus, François Mitterrand a été le premier à l’employer en mars 1978, dans la perspective d’une victoire de la gauche aux élections législatives qui paraissait imminente.

La partie intitulée « La France et le monde » montre que le président de la République a constamment affirmé sa prééminence sur Jacques Chirac en politique étrangère, ce qu’on savait à peu près. Mais celle sur les transformations économiques se conclut par l’absence d’un tournant néo-libéral en 1986. Il y eut certes une vague de privatisations mais, en matière de politique du travail et de l’emploi, les inflexions n’ont pas bouleversé en profondeur les politiques publiques du secteur, selon Matthieu Tracol.

La politique de modernisation constatée lorsque Laurent Fabius est devenu Premier ministre en 1984 était déjà en germe dès 1981 selon Léonard Laborie, qui a ressorti plusieurs interventions de François Mitterrand et de Pierre Mauroy exposant leur souci de se préparer à l’évolution technologique, à la troisième révolution industrielle, mettant en avant les vertus de l’innovation. Certes une naïveté subsistait en 1980 chez celui qui s’apprêtait à affronter Giscard d’Estaing. Il affirmait que le socialisme serait « seul capable d’organiser, dans chaque champ du savoir, l’action de résistance qui infléchira la technique du côté de la liberté ». L’exercice du pouvoir a montré que la réalité était plus compliquée mais, rapidement, le nouveau président a renouvelé son langage et insisté pour une action volontariste auprès de ses Premiers ministres successifs.

PCF et FN : le croisement
Les partis situés aux extrémités du champ politique ne sont pas oubliés. Il résulte de l’étude très détaillée de Nonna Mayer que l’ascension du Front national a été médiatique avant d’être politique. Elle attache une grande importance à la lettre adressée par Mitterrand à Le Pen, en juin 1982, dans laquelle il jugeait anormal que la radio-télévision ignore le congrès de son mouvement, alors que celui-ci avait pesé moins de 1 % aux scrutins précédents. Le chef de l’Etat a effectivement demandé à Georges Fillioud, ministre de la Communication, d’appeler l’attention des chaînes sur leur « manquement » à cet égard. Une semaine plus tard Le Pen est invité au journal de TF1 et neuf invitations en huit mois vont suivre. La montée du Front national dès 1983-84 a forcément bénéficié de ses interventions médiatiques et la volonté de Mitterrand d’affaiblir ainsi la droite classique à son profit est indiscutable.

En revanche, estimer que l’introduction de la proportionnelle en 1986 a eu pour but prioritaire de favoriser le parti extrémiste n’est pas fondé. Ce mode de scrutin était destiné à limiter la défaite électorale prévisible du PS et il a parfaitement rempli son rôle à cet égard.

La contribution de Jean Vigreux sur le déclin du PCF est également instructive. L’ouverture de ses archives démontre que sa direction souhaitait en 1981 le maintien de VGE plutôt que la victoire du candidat socialiste… mais qu’il n’a pu parvenir à en convaincre ses militants. On constate aussi l’évolution de son appréciation sur le gouvernement Mauroy, loué sur le moment (bilan estimé supérieur au Front populaire) alors qu’il sera ensuite qualifié de « trahison socialiste » ! Ces palinodies n’ont pas freiné une chute vertigineuse qui s’est traduite par la perte des deux tiers de ses voix entre 1978 et 1988 et son doublement par le Front national.

On passera sur l’article traitant des écologistes, décourageant en raison de leurs divisions continuelles. Un regret : l’absence de mention de la négociation Mauroy-Thatcher qui a permis la construction du tunnel sous la Manche. Mais, tel quel, l’ouvrage fournit une documentation considérable sur une période charnière de l’histoire de France. Une récapitulation chronologique aurait aidé à la mieux situer.

Raymond Krakovitch

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