jeudi 25 avril 2024
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Matzneff, Mai 68, des époques et des combats, par Françoise Gour

Un « héritier stupéfait » de mai 68 fait son mea culpa. À propos de Gérard Ponthieu, Pédophilie, de la chute de Matzneff à une lecture sexo-politique de l’après-68, Les éditions libertaires, 2020, 102p,14€

Publié dans la foulée du livre de Vanessa Springora (Le consentement, Grasset, 2020), celui de Gérard Ponthieu en est le contre-coup. Comme s’il s’agissait pour son auteur, fondateur de Sexpol, une revue emblématique des années 70 et de la libération des mœurs que celles-ci furent censé porter, de se démarquer des dérives d’alors que l’époque actuelle dénonce. Peut-être l’a-t-il écrit trop tôt ; nul doute que le livre de Camille Kouchner (La familia grande, Seuil, 2021) aurait apporté de l’eau au moulin de sa thèse, le prédateur y étant un homme de gauche et l’inceste analysé ancré dans une « grande famille » représentative jusqu’à la caricature des utopies soixante-huitardes.

Or Matzneff, lui, n’a jamais été un soixante-huitard. Au contraire, il a assis un personnage de séducteur sur une pose aristocratique, élitiste, avec une touche d’exotisme orthodoxe très peu portée dans ces années-là, et ses moeurs l’ont placé dans une longue lignée de pédocriminels célèbres peu suspects d’égalité. Peut-être « l’air du temps » des années 70 et 80 a-t-il fourni à sa « lit et rature » une caisse de résonance complaisante (rappelons que Pivot vient du Figaro et non de Libération), mais les personnages sulfureux sont fascinants. C’est même ce qui les rend difficiles à atteindre. 

Alors, qui est responsable de quoi ? « L’interdit d’interdire » affirme Ponthieu qui, rappelons-le, publie son livre aux Éditions Libertaires. Et d’énumérer des responsables : Françoise Dolto qui n’a jamais parlé la langue du droit mais celle d’une clinicienne, toujours face à un enfant singulier, Cohn-Bendit, Pivot, peu suspect de gauchisme libertaire, Finkielkraut avec qui l’auteur se sentirait quelque communauté de destin (de la libération des mœurs au moralisme chenu)… Dézinguant à tout va, Ponthieu fait mine de ne pas s’épargner : « Nous aussi, à Sexpol, nous avons publié des petites annonces dégoutantes », sous-entendu, nous n’en étions pas les auteurs, juste les transmetteurs. 

En effet. Ce n’est pas très honorable à dire, mais ce n’est pas déshonorant non plus.

Les dénonciations actuelles donnent à penser. L’interdiction d’interdire, jamais réalisée, souvenons-nous en, a très tôt été discutée par les féministes notamment. Des hommes ont pu en profiter, qui en d’autres circonstances auraient trouvé d’autres arguments. Que Ponthieu comme beaucoup de sa génération se sente mal à l’aise d’avoir soutenu des thèses dévoyées par certains, il n’est pas pour autant responsable du dévoiement. Il fut aveugle ? Il lui manquait le recul que le temps donne aux historiens. Et aux générations suivantes.

A chaque époque ses combats. Il n’y a pas à se battre les flancs de pas avoir su anticiper les suivants. Aujourd’hui, on jette des noms en pâture. Espérons que dans un avenir pas si lointain on discutera cette pratique.

Françoise Gour

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