mardi 19 mars 2024
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L’OURS 451 : nos chroniqueurs “culture” ont lu, vu, écouté…

LOURS_Culture_451_siteL’actu des bulles : Mitterrand et Céline, par Vincent Duclert

Philippe Richelle, Frédéric Rébéna, Mitterrand. Un jeune homme de droite, Rue de Sèvres, 2015, 152 p, 18€
Christophe Malavoy, Gaëtan Brizzi, Paul Brizzi, La cavale du docteur Destouches, Futuropolis, 2015, 96p, 17€)

« Je me revendique de l’individualisme de Montherlant. Mener une vie libre, ne dépendre de rien, pas même de l’ambition ou la célébrité », déclare François Mitterrand à l’industriel François Métenier qui espère l’enrôler dans le réseau de La Cagoule. L’étudiant en droit est orphelin de sa mère, il réside à l’internat des pères maristes au 104, rue de Vaugirard, il se rapproche d’amis de famille dont les Bouvyer qui possèdent une maison de campagne près de Jarnac. La haute bourgeoisie le fascine, lui le provincial charentais. Il séduit de belles et riches héritières, multiplie les rencontres d’un soir, échoue dans ses premiers amours. L’existence ressemble à une partie de tennis. Le jeune homme marche sur le fil du rasoir, côtoyant les milieux qui organiseront la politique collaborationniste de la France, traversant le monde avec détachement et sans grande conviction, tel un « danseur de tango » comme le décrit la future Danielle Mitterrand, rencontrée alors qu’il fréquente la Résistance après son compagnonnage des milieux vichyssois. En 1945, alors que l’avenir s’ouvre à lui, son premier enfant, Pascal, décède deux mois après sa naissance. La première vie de ce « Prince de l’ambiguïté » est racontée dans un roman graphique tout en demi-teintes par Philippe Richelle, pour le scénario, et Frédéric Rébéna qui signe un dessin épuré, des traits noir et blanc qui agissent comme un scalpel sur les êtres et les âmes.

Cavale très différente pour le Dr Destouches imaginée par Christophe Malavoy, s’inspirant de la trilogie (D’un château l’autre, Nord et Rigodon) pour restituer la fuite de Louis-Ferdinand Céline en Allemagne dans les fourgons des nazis, drame burlesque porté par le dessin sépia et inquiétant de Paul et Gaëtan Brizzi. Les années obscures n’en finissent pas de hanter la littérature graphique.             Vincent Duclert

Cinéma : Dheepan ou quel chemin à parcourir, par Jean-Louis COY
Dheepan, de Jaques Audiard, France, 2015, 1 h 50, avec Antonythasan Jesuthasan, Vincent Rottiers)

Le dernier opus de Jacques Audiard, Dheepan, a obtenu la Palme d’or à Cannes en 2015. Enfin, parce que ce film donne un peu d’air au cinéma français dyspnéique.

Un guerrier Tamoul vaincu fuit le Sri Lanka en feu, mais il lui faut s’inventer une famille car la sienne a été massacrée. Il trouve une « épouse » et une « fille » dans un camp de réfugiés et traverse les frontières jusqu’en France. Première séquence admirable de simplicité, percutante de réalisme.
Flanqué de sa fausse famille, Dheepan trouve un poste de gardien dans l’un des pires HLM de la banlieue parisienne tenu par des dealers. Passant de la guerre de la communauté tamoule à celle des gangs, le migrant sri lankais essaie de s’intégrer au sein d’une société qui se délite dans la sauvagerie aveugle.
Tout serait facile à décrire même si le déroulement des faits peut nous égarer car rien n’est simple avec Audiard, tant cet auteur manipule des genres et donc surprend les spectateurs par son art d’assembler le baroque, le chaos, la douceur, la rage, pour l’unique raison de comprendre la déchirure des rapports humains livrés à l’hégémonie barbare.
Un pareil cinéaste dérange par son originalité, sa nonchalante désinvolture prise à tort pour un effet de miroir égocentrique, en somme une sorte de marginalité le situant loin des rails.
La manière de filmer reste ici fondamentale, synonyme d’un style, d’un rythme, d’une pensée. Les plans courts selon un découpage probablement foisonnant privilégient l’objet, le corps, le mouvement, le lieu, jusqu’à transmettre une émotion aussi esthétique que dramatique (notons le gros plan, le montage elliptique, la « phrase en l’air » si proche du cinéma bressonien ou scorcesien), puis fondre dans la noirceur d’un espace limite, celui tracé à la craie blanche entre les territoires de la cité HM par exemple.
Comment traiter de la guerre, de la vengeance, de la haine meurtrière et, dans le même temps, dessiner le souffle amoureux, la solitude d’un intrus, l’éclosion d’une famille, l’ébauche d’une tendresse sur les lèvres de Brahim (formidable Vincent Rottiers) qui, face à la jeune compagne de Dheepan, ne parvient pas à communiquer ? Parler tamoul avec des sous-titres français, défi lancé par Audiard, à quoi dorénavant servira le langage s’il ne s’agit pas d’abord de se comprendre (« qu’est-ce que l’humour ? », demande Dheepan).
Ce mélange des genres déconcerte certains et s’avère un tourbillon de poussières lumineuses jetant des éclairs en tous sens au point de construire un film où l’écriture explose, fulgurante, poétique, l’énergie se mêle à l’apaisement animal, le silence devient un babélisme que les images nous aident à traduire et la caméra à décrypter.
Puis éclate la séquence nécessaire, la colère vengeresse, presque rituelle, du tigre tamoul, car Dheepan franchit les escaliers interdits, perpétue ses crimes de guerrier redevenu actif tandis que Brahim est abattu par ses semblables et s’apprête à tuer la femme de Dheepan.
Le couple se retrouve, se découvre, s’enlace, plan d’une extraordinaire tendresse, elle a les mains couvertes de sang, lui la questionne, ne répond-t-elle pas « c’est son sang… ». Oui le sang d’un autre, la guerre du tigre tamoul, celle des malfrats de la cité, toujours du sang, partout.
Ce n’est pas la violence qui préside Dheepan, même si l’univers d’Audiard présente quelque noirceur, il s’agit d’humanité.
La dernière séquence : « Happy End » ou métaphore ? Cette pseudo famille sri lankaise a-t-elle gagné la paix au Royaume-Uni ou s’agit-il d’un rêve que nous savons partagé par tant de « damnés de la terre » ainsi que les nommait Frantz Fanon ? À vous de choisir.
Dheepan, du très grand cinéma qu’il ne faut pas craindre d’aimer.
Jean-Louis Coy

L’OURS au théâtre : Sur Hamlet, le roi Lear, Richard III, par ANDRE ROBERT

La Tragédie d’Hamlet, mise en scène de Dan Jemmett, la Comédie française
Le roi Lear, mise en scène de Olivier Py (repris à Sceaux, Théâtre des Gémeaux du 1er au 18 octobre)
Richard III, mise en scène de Thomas Ostermeier (repris en septembre à la Schaubünhe de Berlin)

Il y a toujours une actualité Shakespeare…

J’ai vu beaucoup de Hamlet dans ma vie, jusqu’à présent tous mis en scène par des Français, le plus mémorable étant sans nul doute celui réalisé à la fin des années 80 par Patrice Chéreau en Avignon puis à Nanterre, mais d’autres ayant pu aussi laisser leur charme dans ma mémoire (par exemple l’immense image du spectre du roi projetée sur la tour de Constance à Aigues-Mortes ou le même spectre joué par Guy Parigot tout de blanc vêtu suspendu à un fil dans les cintres du théâtre de Bretagne, tandis que le regretté Jean-Pierre Klein incarnait un Hamlet attachant). Mais jamais ne m’avait été donnée à voir une mise en scène pensée par un Anglais. C’est le cas avec la proposition de La Tragédie d’Hamlet qu’a faite pour la Comédie française Dan Jemmett.
Au premier abord, le choix du décor est tout à fait déroutant : un club-house, avec bar, juke-box, télé où passe un match de foot, et tous accessoires afférents. On peut s’interroger : à quoi bon cette transposition qui semble faire perdre toute majesté aux personnages ? Cela explique d’ailleurs les critiques négatives de nombreux journalistes, restés encalminés dans leur réaction première. Car le spectacle prend corps peu à peu, et on comprend de mieux en mieux l’intention du metteur en scène de jouer avec la tradition britannique : « Ma vision et ma pensée “anglaises” d’Hamlet sont basées sur le texte, le poids des mots, leur archaïsme parfois. Il faut lutter contre cela. Mais jusqu’où ‘aller trop loin’ avec un texte comme celui-ci ? Ici, à la Comédie française, j’essaie à la fois de ne pas me donner trop de limites et de ne pas porter sur mes épaules tout le poids culturel du texte dans sa langue originale. » Cela nous vaut à la fois un vrai respect du texte dans la limpide traduction du poète Yves Bonnefoy, un dépaysement de l’intrigue qui lui redonne une belle vigueur (on est loin d’Elseneur), des moments de distance humoristique inattendus (par exemple le traitement du couple Rosencrantz et Guildenstern), une négociation réussie de cet acte V si difficile, car toujours menacé par le risque de virer au grand-guignol (tout le monde meurt empoisonné). Et, parmi des comédiens tous remarquables, on admire un Denis Podalydès-Hamlet doté d’une grâce exceptionnelle, tant dans les grandes tirades attendues que dans son duel à l’escrime avec Laërte, frère d’Ophélie. Il est à souhaiter que la Comédie française fasse une nouvelle reprise de ce spectacle décapant, et malgré tout fidèle.

En Avignon cet été, deux Shakespeare ont à leur tour enflammé la chronique. Le roi Lear a été donné dans la Cour d’honneur du Palais des papes par le directeur du festival soi-même, Olivier Py. Persuadé que cette pièce est, de toutes les tragédies shakespeariennes, la plus prophétique des chaos contemporains, ce dernier a voulu exprimer à travers sa vision (et d’abord sa re-traduction, publiée chez Actes Sud, qui ne s’imposait pas) le désordre1, la perte du sens, la puissance du Mal, au point de mettre dans la bouche de Lear une exclamation d’Hamlet devant le spectre de son père, en lui prêtant une autre signification : « Le temps est hors de ses gonds » (The time is out of joint). Sans partager le procès en totale indignité qui a été intenté à ce metteur en scène osant prendre des risques, force est de constater que, malgré quelques aspects réussis (l’engloutissement progressif des personnages dans une lande gluante, l’irruption brutale de guerriers cagoulés, armés de kalachnikov, incarnation du mal absolu, un Philippe Girard-roi Lear qui fait ce qu’il peut dans ce qui lui reste du texte original), la lisibilité de la pièce n’est nullement au rendez-vous. On pourra bientôt apprécier si le passage d’un immense plateau de plein air à une scène de salle plus resserrée contribue à améliorer cette singulière proposition de Lear.

C’est à Thomas Ostermeier et à son traitement de Richard III que la presse a réservé un accueil enthousiaste, à la fois mérité et peut-être un peu disproportionné. Il est vrai que le texte, dit ici en entier (en allemand, surtitré en français), est servi par un comédien hors pair, Lars Eidinger, qui n’hésite cependant pas à se jouer parfois du public de la manière la plus populiste au travers d’une intrigue pouvant le justifier, puisque c’est celle de l’irrésistible ascension d’un dictateur sanglant, usant de tous les moyens pour arriver à ses fins. Les allusions à Hitler ou Mussolini sont manifestes, presque trop mais, dans son décor de bunker à plusieurs étages, l’ensemble du spectacle se révèle rigoureux et constamment saisissant (scènes où apparaissent sous forme de superbes marionnettes articulées les jeunes neveux, bientôt assassinés, où Richard se barbouille de blanc comme un mauvais clown à la recherche d’une impossible virginité, scène de sa mort pendu à un croc par un pied). Il y a décidément plus de choses dans Shakespeare, comme il le fait dire lui-même à Hamlet à propos du ciel et de la terre, que dans toute la philosophie2… politique.

André Robert

(1) Rejoignant le propos ancien d’Henri Fluchère : « Tragédie du Désordre dans la démesure de l’absurde » in Shakespeare, dramaturge élisabéthain.

(2) Hamlet, acte I, scène 5.

L’actu des sons : L’Onj à Berlin, par FREDERIC CEPEDE

Europa : Berlin (Olivier Benoit), ONJazz record, 2015
Créé en 1986 à l’initiative de Jack Lang, l’orchestre national de jazz a vu se succéder depuis tous les trois ans un nouveau directeur (de François Jeanneau, Antoine Hervé, à Daniel Yvinec entre 2011 et 2013) pour des projets tous différents. Depuis 2014, le guitariste et compositeur Olivier Benoît a proposé deux créations, Europa : Paris et Europa : Berlin (sorti en avril dernier sur ONJazz records), inspirées par ces villes européennes chargées d’histoire où il les a composées.

Le propos des pièces de Berlin renvoie au livre Berlin, l’effacement des traces de Sonia Combe, Thierry Dufrêne et Régine Robin (FAGE éditions), qui donne son titre au premier morceau. Avec son tempo entêtant (lancé basse-batterie rejoint par les claviers) qui va de l’avant en souplesse pour mieux se retenir et offre, après l’entrée de l’orchestre, son assise à un solo de trombone enfiévré soutenu par une guitare saturée, l’auditeur est immergé dans une matière sonore dense jouant sur le temps et les ruptures. L’introduction bruitiste minimaliste au piano et claviers de Métonymie débouche sur deux autres duels batterie/saxophone puis batterie/clarinette qui prolongent cette exploration. Révolution – gimmick piano marquant le temps, violon tourmenté, fanfare berlinoise…– mixe les époques, musique électronique, mécanique, et brise les repères. Viennent Réécriture, Oblitération, 22m 5st, Persistance de l’oubli : jazz, rock, d’aujourd’hui, cette musique vivante, inspirée, laisse de larges espaces aux onze musiciens pour s’exprimer.            Frédéric Cépède

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