jeudi 25 avril 2024
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Le Larzac, images d’Épinal, par Jean-Louis Panné

Aujourd’hui, en histoire, la parution de livres vit souvent au rythme des célébrations – pour le meilleur et pour le pire. L’anniversaire, celui des cinquante ans du début de la lutte des paysans du Larzac contre l’extension du camp militaire est « inauguré » par le livre de Philippe Artières. Philippe Artières, Le Peuple du Larzac. Une histoire de crânes, sorcières, croisés, paysans, prisonniers, soldats, ouvrières, militants, touristes, brebis…, La Découverte, 2021, 303p, 21€ 

Si on examine son économie, on constate que la lutte elle-même n’occupe qu’un gros tiers de l’ouvrage en des chapitres convenus qui ne se démarquent pas de l’image « légendaire » telle que le film Tous au Larzac l’a consacrée. Sont donc escamotées les arrières-histoires du conflit Défense nationale/paysans : conflits internes, ruptures et départs qui ne manquent pas, gestion de la construction de la bergerie de La Blaquière, gestion des terres et bâtiments depuis 1985, cela au risque de verser dans une « histoire sainte » emprunte d’erreurs (routier pour roulier, p. 110, 111 ; Mailhe pour Maillé, p. 225 ; ou encore L’Hospitalet assimilé à la radio à un hameau comme celui de Montredon) et d’oublis dont le plus significatif est l’absence de la réunion du 17 février 1981 au cours de laquelle le projet d’extension limitée est repoussé à l’unanimité, les paysans de souche refusant de se désolidariser des arrivants récents comme José Bové – épisode parfaitement documenté dans le livre de Pierre-Marie Terral (Privat, 2001) ; il s’agit pourtant d’un épisode capital indépendamment de l’issue de la lutte.

Par désir d’inscrire cette histoire dans une longue durée, Philippe Artières ouvre son propos par trois chapitres consacrés à la géologie, la géographie, les peuplements les plus anciens sur le causse – ils n’auraient pu en faire qu’un seul, synthétique. Mais plus généralement, nous sommes confrontés à une histoire « patchwork » – pour ne pas dire « wikipédiatisée » — qui laisse de nombreuses questions en suspend. Un exemple : Le lecteur ne saura pas si les paysans aveyronnais ont rempli des Cahiers de doléances en 1789, pas plus qu’il ne rencontrera la figure du du vicomte Louis de Bonald (1754-1840), théoricien de la contre-révolution, lui dont le château se trouve au Monna à quelques km de Millau.

Philippa Artières a pris le parti d’isoler l’existence du camp militaire (4e partie : « le temps des camps », environ 1/5e du livre) dont chaque chapitre – la grande défaillance de l’État en matière d’organisation est mise à nue – ne sont pas le fruit de ses propres travaux, notamment en ce qui concerne la colonie pénitentiaire des enfants et adolescents du Luc. S’il a honnêteté de reconnaître ses larges emprunts, il n’en reste pas moins qu’on aurait aimé des approches plus originales sur les années de cohabitations entre armée et paysans jusqu’en 1970 : au cours des décennies, combien d’enfants d’agriculteurs n’ont-ils pas trouvé un emploi au camp ? L’arrivée en 2016 de la Légion a ravivé la fracture des années 70 aujourd’hui de moindre intensité, mais on aurait aimé une vraie évaluation de l’impact économique de cette installation dont les chiffres officiels en matière d’emplois sont contestés par les opposants à la Légion… Le camp a servi à de multiples reprises : formations militaires spécifiques pour les Espagnols républicains (mais les autres réfugiés, femmes et enfants ?), internement de prisonniers allemands en 1945 (oubliant que le rationnement dura en France jusqu’en 1950), Algériens du FLN en résidence surveillée, « accueil » de Harkis en 1962 (voir V. Crapanzano, Les Harkis, Gallimard, 2011), pour autant il nous semble impropre de le qualifier si rapidement de « camp de concentration », terme qui renvoie à l’image des camps nazis, même si la fonction est bien de regrouper une catégorie définie de personnes.

Presque que tous les chapitres sont susceptibles de critiques radicales, et si on considère le livre en son ensemble, il prend la tournure d’un livre de circonstance (les 50 ans de la lutte) qui pêche par son côté fourre-tout (d’où le sous-titre à rallonges), sans cesse en contradiction avec les ambitions affichées. Le recours à la logomachie « à la mode » ne comble pas une certaine vacuité, tout comme le renfort de références deleuziennes et foucaldiennes, ne peuvent compenser l’absence d’un réel travail d’enquête et de synthèse. Paradoxalement, ce qui nous est proposé est une nouvelle image d’Épinal de l’histoire du Larzac dont on ne sait pas très bien, jusqu’à la dernière page, qui en est le peuple ou plutôt les peuples.

Jean-Louis Panné

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