Ce journal ne sera livré dans votre boîte à lettres qu’après le 7 juillet. Nous ne saurons qu’à ce moment-là si notre ardent désir que le Rassemblement National n’accède pas au pouvoir aura abouti ou non. Nous reviendrons, évidemment, sur la crise et ses conséquences que connaît le pays dans nos publications à venir, le journal et la revue. Mais, d’ores et déjà, nous avons voulu marquer des principes et tracer quelques perspectives, sous bénéfice d’approfondissements et de correctifs, tant la situation actuelle est évolutive et appelle un large débat, au premier chef entre les adhérents de l’OURS.
Les responsabilités d’Emmanuel Macron dans cette grave crise sont claires. La décision arbitraire et précipitée de dissoudre l’Assemblée nationale a tout eu d’un pari pour prendre de vitesse ses adversaires, à gauche et à droite. Elle trahit un caractère – que nous avons éprouvé depuis sept années – persuadé de détenir seul la vérité. Mais, c’est aussi l’expression d’un mode de gouvernement qui a poussé au bout la présidentialisation permise par les institutions de la Ve République. La volonté du président, présente dès 2017, et sans cesse réaffirmée depuis, de « détruire » la gauche et la droite pour figer un face à face entre lui et Marine Le Pen, entre les « progressistes » et les « populistes », s’est retournée contre lui : le « référendum anti-Marine Le Pen » a été remplacé, au fil des années, par un « référendum anti-Macron ». Le malheur, c’est que cette stratégie a donné, de plus en plus, de force au Rassemblement national, en en faisant l’alternative.
Les perspectives
C’est là le point essentiel. Le RN a été, trop longtemps, vu comme l’expression d’un vote protestataire sans véritable implantation territoriale. Cela n’est vraiment plus le cas. La carte de la France électorale, à l’issue des élections européennes, paraissait une tâche brune… Ce parti est arrivé en tête dans 93 % des communes et a progressé dans toutes les catégories socioprofessionnelles. Marine Le Pen a mené à bien la stratégie, définie au début de la dernière décennie, de casser la droite républicaine pour faire du RN la nouvelle droite nationale. Nous y sommes. Mais l’essentiel du projet de l’extrême droite demeure : la préférence nationale, le contournement de l’État de droit, un conservatisme sociétal et culturel, le démantèlement progressif de l’Union européenne etc. Cela s’inscrit dans une vague occidentale, plus ou moins forte selon les pays, mais partout visible, et relève également de spécificités françaises, avec l’influences de traditions autoritaires. Et penser que le RN ne résisterait pas à l’épreuve du pouvoir – ce qui, peut être le cas de ceux qui envisagent, favorablement, une éventuelle cohabitation – est une erreur. Giorgia Meloni démontre le contraire, en Italie, depuis deux ans. Elle n’applique pas des pans entiers de son programme électoral – même ce qui concerne la politique migratoire –, mais elle maintient le même discours, et mène une politique empreinte d’autoritarisme, ce que son électorat paraît accepter pour le moment, comme l’ont montré les dernières élections européennes. Combattre le RN demande donc un inventaire exigeant de nos pensées et de nos pratiques pour comprendre, avec justesse, les préoccupations d’une large part de la population et pour mieux représenter sa diversité. La gauche ne doit pas maintenir des oppositions erronées entre le « social » et le « culturel », mais réaliser que ces deux dimensions se mêlent étroitement pour apporter des réponses convaincantes.
Le Nouveau Front populaire
La constitution rapide d’un Nouveau Front populaire a surpris – certainement Emmanuel Macron lui-même ! – toutes celles et tous ceux qui n’ont pas en mémoire l’histoire des anciennes unions de la gauche. Dans le Front populaire de 1936, souvent évoqué, mais quelque peu mythifié, les contradictions entre les socialistes, les radicaux, les communistes étaient majeures. Les unions de la gauche passées ont été soit défensives, comme en 1936, soit offensives, comme en 1972, avec le Programme commun de gouvernement. Il s’est agi, aujourd’hui, d’une union défensive face à la menace du RN et de ses supplétifs. Ce qui n’avait pas été le cas en 2002, où le Front national n’était pas aux portes du pouvoir, la réaction ayant été, alors, essentiellement morale, ce qui n’avait pas entraîné de processus de rapprochement des gauches. La situation est bien différente actuellement. Le cartel de partis et de mouvements constitué sous le nom de Nouveau Front populaire devait être soutenu. Sans unité de candidatures dans la plupart des circonscriptions, compte tenu de la règle des 12,5 % des inscrits pour se maintenir au deuxième tout, une gauche divisée aurait été cruellement défaite. De fortes oppositions n’en demeurent pas moins entre les partis de ce regroupement et au sein de chacun d’eux. Comme hier, en 1936, où le Front populaire, au gouvernement, s’est divisé dès juillet, avec les débuts de la guerre d’Espagne et, encore plus, à l’automne, avec la « pause » des réformes. Le rappeler n’est pas faire preuve d’une lucidité mal placée. Car nous n’oublions pas, non plus, que l’été 1936, cette « embellie », comme le disait Léon Blum, a été une grande date dans l’histoire sociale de notre pays et que les réformes mises en œuvre alors, ont été reprises et amplifiées à la Libération. Il est clair que le programme du Nouveau Front populaire, s’il compte des mesures immédiates nécessaires, manque de la cohérence qui permettrait de gouverner dans la durée. Le travail politique à mener n’est pas achevé et quel que soit le cas de figure dans lequel se trouveront les gauches, il faudra le mener pour gagner, durablement, les convictions.
L’avenir
Ces premières réflexions, faites un peu dans l’incertitude de ce que sera le cours des évènements, mais c’est toujours le cas dans l’action, indiquent, néanmoins, ce que peuvent être nos tâches prioritaires. La première est de combattre les thèses de cette nouvelle « droite nationale », en démythifiant son positionnement, et en décortiquant ses propositions. Nous nous y emploierons dans nos travaux et nos publications. La seconde est de participer à la construction et au développement d’une réalité « social-démocrate » – comme l’a marqué dans sa campagne européenne Raphaël Glucksmann, avec un certain succès. Nous y travaillons depuis des années – comme le montrent les dossiers des derniers numéros de notre revue, Recherche Socialiste – et nous continuerons à le faire. Ces deux dimensions ne s’opposent pas, elles doivent s’additionner pour nourrir une alternative politique qui en soit, réellement et durablement, une.
Alain Bergounioux Président de l’OURS
L’ours n°536, juillet-août 2024