Écrit à l’occasion du 70e anniversaire de l’appel de l’abbé Pierre, ce livre fait un état des lieux sans concessions de la société française gravement touchée et fracturée par des difficultés économiques et sociales. (a/s de Christophe Robert, en collaboration avec Eric Maitrot, Pour les sans-voix. Pauvreté, mal-logement, inégalités ne sont pas des fatalités, Arthaud / Fondation Abbé Pierre, 2024, 300p, 19,90€)
L’immobilisme, l’indifférence, le poids des égoïsmes et les nombreuses carences de la puissance publique ont entraîné la précarisation d’une partie grandissante de la population : un Français sur cinq vit en situation de pauvreté ou de privation matérielle et morale. La période des Trente glorieuses avait pu laisser croire que la société allait vers le mieux, mais force est de constater aujourd’hui qu’il n’en est rien. Plusieurs évènements très divers survenus depuis une quinzaine d’années ont aggravé cette situation : crise économique de 2008-2009, attentats terroristes depuis 2015, crise du Covid (2019-2021), crise écologique ; à tout cela, il faut ajouter la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine depuis 2022 et l’attaque du Hamas contre Israël depuis le 7 octobre 2023.
L’immobilisme, l’indifférence, le poids des égoïsmes et les nombreuses carences de la puissance publique ont entraîné la précarisation d’une partie grandissante de la population : un Français sur cinq vit en situation de pauvreté ou de privation matérielle et morale. La période des Trente glorieuses avait pu laisser croire que la société allait vers le mieux, mais force est de constater aujourd’hui qu’il n’en est rien. Plusieurs évènements très divers survenus depuis une quinzaine d’années ont aggravé cette situation : crise économique de 2008-2009, attentats terroristes depuis 2015, crise du Covid (2019-2021), crise écologique ; à tout cela, il faut ajouter la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine depuis 2022 et l’attaque du Hamas contre Israël depuis le 7 octobre 2023.
La fragilisation de la société
Tous ces événements ont contribué, chacun à leur façon, à la fragilisation de la cohésion sociale. Les difficultés sont toutefois plus anciennes. Le taux de pauvreté qui avait baissé significativement à partir des années 1970 est reparti à la hausse une décennie plus tard ; il stagne depuis une vingtaine d’années. À cela s’ajoute la peur du déclassement ressentie par un nombre de plus en plus important de Français. La question du logement est essentielle : elle représente en moyenne 28 % du budget d’un ménage, ce qui en fait le premier poste de dépense, supérieur à celui de l’alimentation. De plus, cette question très ancienne va aujourd’hui en s’aggravant : le nombre de personnes sans domicile fixe a doublé depuis dix ans et il s’élève actuellement à 300 000. L’hébergement d’urgence ne suffit pas à remédier à cette situation. Les bidonvilles que l’on espérait avoir supprimé à la fin des années 1970 sont aujourd’hui au nombre de 440 et abritent une population de 20 000 personnes. De telles conditions ont évidemment des conséquences désastreuses sur la sécurité, la santé, et elles entraînent une aggravation de la pauvreté : 4,1 millions de personnes sont mal logées et plus de 12 millions de personnes sont touchées à des degrés divers par la crise du logement. Enfin, cette dernière pèse également économiquement sur la société
Une telle réalité devrait être combattue et d’abord par l’État. Certes, il a pris récemment des mesures et en particulier le bouclier tarifaire de l’électricité et du gaz. Mais ce bouclier a été mis en place sans le moindre ciblage social, ce qui a eu pour conséquence de bénéficier principalement aux catégories les plus aisées. Par ailleurs les ressources de l’État ne cessent diminuer. Pour inverser cette tendance, il conviendrait d’introduire une plus grande progressivité de l’impôt sur le revenu et de prendre en compte le patrimoine financier dans l’impôt sur la fortune. Mais la transformation, en 2018, de l’impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI) a fait perdre à l’État plusieurs milliards. Une autre piste serait de mettre davantage à contribution les plus hauts patrimoines, ce qui nécessiterait une réforme des droits de succession. Mais alors que les inégalités de patrimoine sont de plus en plus élevées, elles deviennent aussi de plus en plus injustes en raison de leurs modalités de transmission. Et l’État ne fait rien pour remédier à cette situation.
Le poids du chômage
La question du travail est également très importante. Le chômage a diminué ces dernières années mais cette dynamique semble être en train de s’épuiser. Plutôt que durcir les allocations aux chômeurs comme le gouvernement le prépare actuellement, une autre piste serait possible : partir des besoins des personnes en difficulté, tel que le fait Territoire zéro chômeur de longue durée. Initiée par l’association ATD Quart monde depuis 2016, cette démarche montre que, sur un territoire donné, il est possible de proposer à toute personne privée durablement d’emploi et qui le recherche, un emploi à durée indéterminée et à temps choisi, en développant et finançant des activités utiles et non concurrentes aux emplois existants. sans que cela entraîne un surcoût pour la collectivité. Une soixantaine de territoires et autant d’entreprises ont ainsi permis à près de 3000 personnes de retrouver un emploi. Mais cette démarche se heurte à de nombreuses résistances, la principale étant celle selon laquelle les chômeurs ne voudraient plus travailler. Cette idée trop répandue est fort ancienne mais une récente enquête auprès de France Travail montre au contraire que la très grande majorité des chômeurs recherchent activement du travail.
Il n’est pas possible de décrire ici en détail toutes les idées et les propositions exposées dans ce livre. La solidarité, l’entraide, la protection sociale, la lutte contre les inégalités se heurtent à la montée des exclusions et des inégalités. La solidarité, revendiquée notamment par les mouvements d’économie sociale – associations, coopératives, mutualité – souffre gravement aujourd’hui de l’affaiblissement d’un nouveau projet collectif. Ce projet devrait être porté par l’État. Mais, outre le contexte politique se traduisant par une grave crise de la gauche allant de pair avec une progression de la droite et de l’extrême droite, l’augmentation de la dette publique et des dépenses d’armement en raison de la guerre en Ukraine constitue bien des obstacles à un tel projet. Raison de plus pour ne pas baisser les bras comme nous y incite ce livre.
Michel Dreyfus
L’ours n°536 juillet-août 2024.