« Couleurs », la nouvelle exposition proposée par l’équipe du musée de l’histoire vivante et son jeune directeur Thomas Le Goff, invite à un parcours dans l’histoire des liens entre couleurs, politique, travail et luttes. (a/s de « Couleurs. Histoire du travail et des luttes », du 18 octobre 2025 au 31 juillet 2026, au musée de l’Histoire vivante, 31 boulevard Théophile Sueur, 93100 Montreuil +33 (0)1 48 54 32 44
mushistviv@gmail.com Plein tarif : 5 € | Tarif réduit (montreuillois.es) : 4 € https://www.museehistoirevivante.fr/couleurs )
La scénographie de l’exposition profite des réaménagements intérieurs du musée rendant la circulation plus fluide entre les salles et l’accès aux dessins, affiches, gravures, drapeaux, tracts, dépliants, brochures, vêtements, objets, films… provenant des fonds du musée et d’une trentaine de partenaires, dont les membres du Codhos, et l’OURS, exposés dans les salles. Chacune des étapes est éclairée par un panneau confié à un.e chercheur.e (souvent bien connu dans nos colonnes) en histoire politique et sociale, mais aussi en histoire de l’art, études visuelles : la variété des disciplines marque le souci d’accompagner la réflexion des visiteurs dans le monde polysémique des couleurs, dans la suite des travaux aussi érudits que jouissifs de l’historien Michel Pastoureau1.
Soutien-gorge tricolore
Dès la première salle, le visiteur est mis face au soutien-gorge géant bleu blanc rouge fabriqué par des salariées en lutte de l’atelier Lejaby d’Yssingeaux (Haute-Loire), entreprise mise en liquidation le 18 janvier 2012. et prêté par Jacqueline Portelatine. Sur un panneau explicatif, cette dernière (36 années de présence dans l’entreprise) témoigne des conditions de sa fabrication et de son impact lorsqu’elles le brandirent devant les caméras de Canal+. Il fut ensuite accroché dans l’usine tout le temps de la lutte et s’invita dans la campagne présidentielle. Force des symboles ; force des couleurs !
Du drapeau tricolore – dont l’historien Jean Vigreux retrace en quelques paragraphes l’histoire mouvementée, notamment sa lente (et à éclipses) appropriation à partir de 1981 par la gauche – au drapeau rouge, il n’y a que quelques pas pour découvrir sa force et son long cheminement avec la gauche. Mathilde Larrère en rappelle l’internationalisation et la large appropriation par les familles de la gauche : comme dans tous les thèmes abordés, des documents en montrent des déclinaisons. Ainsi de ce paquet de Gauloise Pantinoise, rouge, « fabriqué par les travailleurs en lutte » de l’usine Seita de Pantin, occupée de février à juin 1982, et offert avec le bon de soutien de 5 F. Guillaume Davranche explique pourquoi la CNT espagnole abandonne le drapeau rouge pour le rouge et noir le 1er mai 1931.
Le jaune est mis
Passer du rouge au jaune, couleur du traitre dans le mouvement social, la transition est audacieuse. Christian Chevandier revient sur le syndicalisme jaune porté par le patronat. Maxime Boidy, maître de conférences en études visuelles à l’université Gustave-Eiffel, éclaire l’objet « gilet jaune ». Destiné à identifier les ouvriers sur les chantiers, obligatoire depuis 2008 dans toutes les voitures, il devient en novembre 2018 le symbole de ceux qui se sentent invisibles et entendent bien conquérir leur visibilité politique. De la stigmatisation à homogénéisation en mouvement, « la couleur jaune devient un dénominateur commun ».
Une autre salle ouvre sur le bleu de travail, vêtement des travailleurs et des travailleuses. Autre focale, l’historienne de l’art Hélène Valance invite à regarder derrière l’image de l’iconique affiche américaine « We Can Do It », cette ouvrière de Westinghouse Electrics qui, en 1943, retrousse ses manches pour remplacer les hommes qui se battent ; baptisée « Rosie la riveteuse » en 1985, elle est bientôt le symbole des luttes féminines et féministes. Comme celle des organisations politiques et syndicales, entre stratégie de communication et marqueurs identitaires, revendiqués ou contestés, les « couleurs de l’entreprise » racontent toutes une histoire explicitée par l’historien Jérémie Brucker2.
Nuances
Chaque étape invite à observer les évolutions, les nuances, à prendre en compte l’époque, les modes, la communication, les moyens d’impression, de reproduction, de diffusion qui influencent cette histoire en couleurs. Rien n’est acquis et comme le montre Frédérick Genevée, la « palette » lors des manifestations vire désormais à l’« arc en ciel » avec les luttes LGBTQI+, et pas sûr que les un.e.s et les autres attachent la même importance au sens des couleurs.
Pour la première saison de cette exposition, qui se tient sur deux ans avec des changements, un large espace est ouvert aux « gueules noires » : les mineurs, martyrs et héros, présentés par Virginie Malolepszy, directrice des archives et du centre de ressources documentaires du Centre historique minier.
François Lavergne
1. Sur son parcours, sa conception de l’histoire et ses thèmes de recherche, comme son goût pour le sport, la lecture de ses entretiens avec Laurent Lemire, L’imaginaire est une réalité (Seuil, 2025) est passionnante.
2. Il a publié, tiré de sa thèse, Avoir l’étoffe. Une histoire du vêtement professionnel en France des années 1880 à nos jours (Nancy, Arbre bleu, coll. « Histoire des mondes du travail », 2021).
