AccueilActualitéL’avenir incertain des démocraties, par ROBERT CHAPUIS

L’avenir incertain des démocraties, par ROBERT CHAPUIS

Au temps de la guerre froide, il y avait deux mondes : le monde soviétique, avec l’URSS et ses alliés, et le monde libre, avec les États-Unis et leurs alliés. Il y avait aussi un tiers monde qui essayait de se libérer de la colonisation et de trouver sa propre voie. Les temps ont changé. Le monde soviétique s’est effondré et a fait place à de nouveaux empires qui veulent retrouver un passé qu’ils jugent glorieux (Russie, Chine, Turquie…). Le monde libre, qui croyait être arrivé à la fin de l’histoire, s’effondre à son tour, avec le trumpisme et la confrontation entre l’islamisme et l’Occident. On ne peut qu’en écrire le requiem.

Malaise dans la civilisation
Tel est le sujet du livre rédigé de concert par Nicole Bacharan et Dominique Simonnet. Il s’ouvre sur un constat largement partagé : le « malaise dans la civilisation », que diagnostiquait déjà Freud, et « la crise de la culture », qu’analysait Hannah Arendt, se sont amplifiés. Les nouvelles technologies de l’information les ont portés jusqu’aux profondeurs de nos sociétés. Les citoyens perdent peu à peu le sens des valeurs essentielles du monde libre : universalisme et humanisme, qui vont de pair. Ils se laissent prendre au piège du mensonge qui dénature la réalité. Ils en viennent à justifier l’innommable et, désemparés, à confier leur destin à ceux qui préfèrent la force à la justice.

S’appuyant sur leur expérience et leur connaissance du terrain, notamment américain, les auteurs rappellent les faits les plus saillants. Un exemple : c’est au sortir de l’enterrement d’André Glucksmann, un de ceux qui ont le mieux compris le changement d’époque, qu’ils apprennent la tuerie du 13 novembre 2015. L’islamisme avait frappé l’opinion, dès le début du siècle, avec l’effondrement des tours jumelles à New-York le 11 septembre 2001. Il a gagné tous les pays qui ne se soumettent pas à la charia pour y semer la terreur. Les auteurs consacrent un chapitre à ce qu’ils appellent « la déchirure » entre deux conceptions du monde : le 7 octobre 2023. Le déchainement de violence programmée par le Hamas rompt avec tout respect dû à l’humanité. En le confondant avec la cause palestinienne, il suscite une réplique tout aussi inhumaine d’Israël, au risque de porter atteinte non seulement à ses intérêts, mais aussi à ses fondements démocratiques. Le terrorisme islamiste met en porte-à faux les musulmans dans la pratique de leur foi et développe, par contre-coup, un antisémitisme qui, sous couvert parfois d’antisionisme, gangrène à nouveau nos sociétés. L’extrême droite en bénéficie hypocritement, tandis que l’extrême gauche cherche à en tirer un profit électoral. La confusion est complète.

On ne peut plus compter sur les Américains
Les États-Unis ont été longtemps le parangon du monde libre dont ils assuraient la protection. Ce n’est plus le cas. La démocratie y est mise en cause par un double mouvement. D’un côté, le wokisme dans les secteurs universitaires et culturels exagère les pratiques d’un éveil (woke) aux valeurs de liberté et d’égalité dans la défense des minorités (notamment sexuelles) et des opprimés (noirs, femmes, immigrés…). De l’autre côté, le trumpisme profite de ces excès pour mettre la société sous la dépendance d’une oligarchie financière et d’une pratique du pouvoir qui rappelle les pages les plus sombres des livres de George Orwell. On ne peut plus compter sur les Américains pour garantir l’avenir de la démocratie.

Qu’en est-il de l’Europe ? Les auteurs citent François Cheng : « L’Europe est en avance par rapport à toutes les sociétés humaines. Elle est qualifiée pour leur servir d’exemple et d’espoir. » Encore faut-il qu’elle sache s’unir et s’ouvrir au monde. Dans ce cadre la France a des responsabilités particulières. Elle doit porter un projet européen conforme aux valeurs d’humanisme et d’universalisme héritées des Lumières et des idéaux de la Révolution française de 1789. « La liberté et la justice sont des valeurs suprêmes. C’est le délicat équilibre entre le particulier et l’universel, notre autonomie individuelle et le bien commun. » Telle est la définition de la démocratie pour les auteurs. Il faut à la fois la défendre et la promouvoir.

Un réveil de l’Europe ?
Ce requiem est un appel. Sera-t-il entendu ? Trumpisme et islamisme constituent une tenaille qui se referme sur les esprits et brise leur résistance. Les auteurs rappellent les évènements des années 1930. Ils peuvent se reproduire plus gravement encore dans un univers soumis aux nouvelles technologies de la connaissance et de l’information. Le réel disparait au profit du virtuel, le mensonge devient la vérité ; l’emprise totalitaire gagne du terrain. Entre extrême droite et extrême gauche, il n’est pas facile d’être au milieu. Et pourtant, c’est là que se trouve la raison et il faut faire entendre raison. Comme le disait Camus dont la pensée sert souvent de référence dans ce livre : « Si nous échouons, les hommes retourneront à la nuit. Mais, du moins, cela aura été tenté ». Bonne lecture !

Robert Chapuis
Article paru dans L’ours 544, novembre-décembre 2025

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