AccueilActualitéLa Seconde Guerre mondiale a commencé en 1933 par CLAUDE DUPONT

La Seconde Guerre mondiale a commencé en 1933 par CLAUDE DUPONT

Le moment emblématique, qui indique un processus irréversible vers la Seconde Guerre mondiale, est variable selon les historiens, et peut être soit l’occupation de la Rhénanie, soit l’acceptation de l’Anschluss, soit la conférence de Munich. Pour Paul Jankowski, professeur d’histoire à Brandeis University, l’origine de la guerre peut être située en cette année 1933, où la SDN se défait et où le système monétaire international explose. Il le démontre dans un livre brillant, d’une grande densité. (a/s de Paul Jankowski, Tous contre tous.L’hiver 1933 et les origines de la Seconde Guerre mondiale, Passés composés, 2022, 381p, 25€)

Les puissances victorieuses en 1918 pensaient graver dans le marbre les éléments d’une paix durable. Le congrès de Vienne en 1815 avait assuré la paix par l’entente des souverains, le congrès de Versailles devait y parvenir par l’entente des peuples. On avait libéré les nations de ces « prisons des peuples » qu’étaient les empires, et on avait créé un véritable temple du multilatéralisme, la Société des Nations, où 64 nations étaient invitées à dialoguer pour surmonter les crises en ayant recours, autant que nécessaire, à la procédure de l’arbitrage. Et pourtant, moins de quinze ans plus tard, tout volait en éclats. 

Frustrations
En fait, on n’avait jamais vu autant de mécontents après une guerre. Du côté des vaincus, ou des frustrés, on pouvait s’y attendre. Celui qui mit le feu aux poudres, ce fut le Japon, secoué par une marée de nationalisme sans précédent. Sa frustration, c’était de voir, par exemple, la Grande-Bretagne régner sur un Commonwealth impressionnant, qui lui fournissait ses matières premières et lui ouvrait un vaste marché. Le Japon entendait donc assurer son expansion sur l’Asie en n’hésitant pas à affirmer pour le continent asiatique l’équivalent nippon de la « doctrine Monroe ». D’où le bombardement de Shangaï et la conquête de la Mandchourie.

C’est le même état d’esprit qu’on retrouve en Italie, qui entend prendre part au banquet colonial, en visant la Libye et l’Ethiopie. Quant à l’Allemagne, elle confie son destin qui, habilement, joue des deux claviers de la guerre et de la paix, pour atteindre son but premier : le droit reconnu à l’égalité d’arme­ment avec la France.

Face à ces trois puissances prédatrices, on rencontre les trois puissances victorieuses, en principe garantes de la paix du monde mais qui vont abandonner toute cohésion. Les Etats-Unis retournent à leur isolationnisme. Ils se contentent de « coopérer » avec la SDN et entendent bien que leurs alliés, même exsangues, remboursent les dettes consenties pendant la guerre. La Grande-Bretagne se replie donc sur son Commonwealth, ne veut surtout pas de vagues avec les États-Unis et proclame à tous vents son pacifisme, en ne cessant d’affirmer que le maintien de la paix passe par la réhabilitation de l’Allemagne. Pas question de se laisser entrainer dans quelque aventure militaire que ce soit. Quant à la France, elle est déchirée. Elle a la vitupération facile, condamne toute atteinte au traité de Versailles, mais elle a peur de se trouver isolée et vit dans le syndrome de la forteresse assiégée. Elle se repait du pacifisme de Briand, s’accroche au système des arbitrages, et finit par lâcher beaucoup à l’Allemagne en échange d’illusoires projets d’arbitrage international.

Trois puissances prédatrices et trois puissances passives dans leur désunion. Et, à côté, une puissance opportuniste : l’Union soviétique. Une union soviétique qui s’industrialise à tout va, vit dans la hantise du complot, et ne sait pas trop sur quel front elle devra se battre.

Car c’est une caractéristique de l’époque. Tous contre tous s’intitule l’ouvrage. Le nationalisme grandit partout, mais un nationalisme prêt à se dresser face à un ennemi indéterminé. D’où la multiplication d’accords bilatéraux qui marquent autant de retournements inattendus. 

On constate le même phénomène en Europe de l’Est, dans cette foule de nouvelles nations qui, dès leur naissance, sont en proie à une effervescence inquiète, souvent modelées en mosaïques ethniques instables.

Déséquilibres économiques
Et voilà que l’économie rejoint la politique.1932 est l’année d’une grande crise de surproduction. La guerre avait entrainé un grave désordre monétaire et le système de l’étalon or soulignait les déséquilibres. En effet, les réserves d’or avaient quitté les caisses des pays belligérants, au grand bénéfice des Etats-unis.Chaque pays s’arc-boutait pour défendre sa monnaie, en visant l’autosuffisance. Or, Roosevelt annonce brutalement en 1932 qu’il suspend l’étalon or, décision prise sans que l’on ait cherché à identifier les ressorts réels des conflits économiques alors que la plupart des pays se démenaient dans un enchevêtrement de problèmes, impliquant les barrières commerciales, l’instabilité monétaire, les dettes de guerre, la création des crédits monétaires… Une conférence se tient à Londres pour trouver une solution. Peine perdue. L’échec sera sur tous les fronts, politique et économique. Le Japon donnera le signal de la débâcle en quittant la SDN. On comprend donc que Paul Jankowski puisse conclure qu’en 1933, l’après-guerre devient l’avant-guerre.

On peut en tout cas dégager une leçon des échecs de cette époque et du naufrage de la SDN. L’union des nations démocratiques ne saurait se réaliser par la seule voie de la création d’institutions nouvelles. Pour réaliser une union solide, il faut chez les différentes nations, confiance et résolution. L’institution n’est rien là où la volonté et le courage ne sont pas.

Claude Dupont
Article paru dans L’ours 526 mars 2023.

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