vendredi 19 avril 2024
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L’antisémitisme, histoire et actualité, par MICHEL DREYFUS

Deux ans après la manifestation antisémite organisée par « Jour de colère », quelques mois après l’attentat contre Charlie Hebdo en janvier 2015, pour ne rien dire de ceux perpétrés à Paris le 13 novembre 2015, ce numéro spécial vient à son heure. Ces épisodes, les meurtres de Toulouse et de Bruxelles, ainsi que sur un autre plan, la progression apparemment irrésistible du Front national, attestent d’une résurgence très forte de l’antisémitisme.

À PROPOS DE « Antisémitisme(s) : un éternel retour », Marie-Anne Matard-Bonucci (dir.), Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2015/2-3 (n° 62-2/3), Belin, 204p, 25€)
ARTICLE A PARAITRE DANS L’OURS 455, FÉVRIER 2016

La France a connu des vagues antisémites depuis la Seconde Guerre. Ainsi, on ne doit pas oublier la recrudescence des actes antisémites commis de 1975 à 1980, où il fut profané dans notre pays autant de synagogues et de cimetières juifs qu’en Allemagne entre 1923 et 1929. Mais la situation actuelle est certainement bien plus grave. Les Juifs ne sont pas les seuls à être menacés : les Musulmans sont, hélas, logés à la même enseigne.
Ce numéro se compose de dix articles, organisés en trois grandes parties. La première avec les articles d’Elsa Marmursztejn, d’Isabelle Poutrin, de Nina Valbousquet et de Günther Jikeli, se demande dans quelle mesure la religion est à l’origine de l’enseignement du mépris envers les Juifs. La seconde examine les politiques et les pratiques de l’antisémitisme à travers les études de Laurent Joly sur le fascisme et l’antisémitisme des années 1930, de M.-A. Matard-Bonucci sur les « Demi-Juifs », victimes incertaines des persécutions antisémites, et enfin d’Isabelle Backouche et Sarah Gensburger sur l’antisémitisme et la politique du logement à Paris, de 1942 à 1944. Une dernière partie est consacrée à la description de l’antisémitisme contemporain, partagé entre permanence et renouveau. Samuel Ghiles-Meilhac traite des problèmes scientifiques et politiques posés par la mesure, la quantification de cet antisémitisme. Bernard Bruneteau s’interroge sur les permanences de l’antisé­mitisme mondialiste. Enfin, Pierre Birnbaum expose les grandes lignes de son ouvrage consacré à « Jour de colère » (Fayard, 2015).

« Mort aux Juifs » en plein Paris
Il n’est pas possible de rendre compte ici de tous ces articles, mais présentons la problématique autour de laquelle s’organise ce numéro. Il fut mis en chantier à la suite de la manifestation organisée par « Jour de colère » à Paris en janvier 2014, où 150 000 personnes selon les organisateurs, 17 000 selon la police, défilèrent aux cris de « Mort aux Juifs ». Cet événement d’une extrême gravité ne constitue-il pas un tournant, voire une rupture dans l’histoire de la démocratie républicaine depuis la Seconde Guerre mondiale ? L’antisémitisme n’a pas complètement disparu en France depuis cette date, mais le souvenir du génocide en a rendu l’expression très rare dans un espace publie ; les lois réprimant la haine raciale ont encore conforté cette situation. Le fait que la manifestation organisée par « Jour de colère » se soit tenue et que, de plus, elle soit passée relativement inaperçue, notamment auprès d’un certain nombre d’intellectuels toujours prompts pourtant à diagnostiquer le retour des années 1930, est un motif d’inquiétude. Mais il faut aller au-delà de cela et expliquer la résurgence de cet antisémitisme et l’absence de réactions qu’il suscite dans la société française.
Pour répondre à ces questions, il est nécessaire d’étudier l’antisémitisme sur la longue durée. Selon certains historiens et politologues, l’antisémitisme, apparu en tant que tel vers les années 1880, aurait succédé à l’hostilité anti-juive, essentiellement d’origine catholique et traditionaliste. Or, et la première partie de ce numéro le démontre, la composante raciale existait avant le développement de l’antisémi­tisme contemporain ; inversement, l’anti-judaïsme religieux a persisté bien après le christianisme médiéval. B. Bruneteau montre que les racines de l’antisémitisme proféré aujourd’hui par Soral et Dieudonné doivent être recherchées dans la pensée anti-juive des XIXe et XXe siècles. La nouveauté de cet antisémitisme réside donc moins dans ses thèmes que dans l’usage politique qui en est fait dans le cadre d’alliances politiques inattendues. C’est un poison très ancien mais le contexte dans lequel il se développe aujourd’hui est très différent de celui des années 1930.

Les mythes à l’œuvre
Le discours anti-juif repose sur des mythes mais il n’appartient pas seulement à l’histoire des idées : il fut utilisé comme un levier pour l’action par des antisémites venus d’horizons politiques et sociaux variés. Une partie de la gauche contribua au mythe de la toute puissance de la finance juive, avant que l’Affaire Dreyfus n’entraîne la marginalisation de cet antisémitisme à gauche. Durant l’entre-deux-guerres, l’antisémitisme fut toujours lié à l’extrême droite, en France comme en Europe. On pense d’abord bien sûr à Allemagne et au nazisme. Les choses se passèrent de façon différente en Italie puisque les persécutions antisémites ne commencèrent pas avant 1938. L’antisémitisme fut massif en France dans cette décennie, mais les mouvements d’extrême droite se réclamant ouvertement du nazisme restèrent faibles. Puis la situation s’aggrava encore pour les Juifs sous Vichy qui pratiqua un antisémitisme d’État.
Ce bref rappel montre que l’antisémitisme se décline selon des chronologiques variées et qu’il est mis en œuvre par des acteurs inspirés par des idéologies également très différentes. Il se manifeste par intermittences : les périodes de latence sont suivies de moments de fièvre. Ses causes sont économiques, politiques et culturelles, tout en dépendant également du contexte international.
Exprimé sans relâche par les adversaires des Lumières et de la démocratie, l’antisémitisme doit toujours être situé dans son contexte historique. Celui qui se développe actuellement en France résulte d’une alliance politique improbable entre une extrême droite en plein essor et pour partie sensible aux thèmes négationnistes, et les partisans de Dieudonné. À cela, et nous suivons ici Pierre Birnbaum, il faut ajouter « le déclin de l’État et de ses institutions socialisatrices aux valeurs universalistes de la République, le chômage galopant ainsi que le ressentiment transmis d’une génération à l’autre lié au souvenir des guerres coloniales ». Entre enfin en ligne de compte l’absence de toute perspective au conflit israélo-palestinien ainsi que l’aggra­vation du contexte international en Syrie et en Irak.
Une douzaine de comptes rendus d’ouvrages traitant de l’histoire de l’antisémitisme en France et en Europe concluent ce numéro.
Michel Dreyfus

 

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