jeudi 28 mars 2024
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La promesse, un enjeu politique, par CAMILLE GROUSSELAS

Voici un petit livre qui en dit long sur l’art politique. Promesse et politique forment-ils un couple indissociable et nécessaire ? Si dans l’opinion ils ne font pas bon ménage aujourd’hui, que serait une politique sans la promesse, sans l’espoir d’entreprendre et de changer le cours des temps ? Vincent Peillon nous offre en une série d’épisodes sur l’union que forment la politique et la promesse une belle méditation sur l’essence du politique et sur la profondeur de l’idée de promesse. Car il ne s’agit pas seulement des promesses faites et non tenues au gré des contraintes ou de « la disjonction de la morale et de la politique », mais bien de la promesse au singulier, celle qui se fait dans une alliance, au sens biblique, et qui engage les hommes vers la justice autrement que ne le ferait le contrat. 

À propos du livre de : Vincent Peillon, La promesse, PUF, 2019, 122p, 12€
Article paru dans L’OURS 493, décembre 2019.

Vincent Peillon établit une phénoménologie de la promesse en analysant les paradoxes et les dilemmes qui ressortent des positions exprimées par les philosophes. Faut-il suivre les recommandations de Machiavel au Prince en passant maître dans l’art de simuler et de dissimuler, car les hommes étant ce qu’ils sont, il n’y a pas d’obligation à tenir ses promesses ? Paraître immoral peut alors relever d’ « une moralité supérieure ». Descartes voit au contraire un intérêt à tenir les promesses, en particulier celles faites à ses amis. Et quant à Rousseau la promesse est pour lui sans valeur dès lors qu’elle est faite sous la contrainte. Pour ne pas aliéner sa liberté, on peut se délier de la promesse. La position de Montaigne est différente : il place la promesse en dehors de la crainte ou de la peur. La promesse doit donc être respectée sans conditions. Ne pas tenir sa parole aurait des conséquences graves pour autrui et constitue un manquement à l’humanité. Une telle inconditionnalité fait de la promesse une haute valeur éthique. C’est celle que Kant reprendra à son compte dans son raisonnement à l’égard du mensonge qui porte préjudice à l’humanité et « ruine la source du droit ». Mais, voilà, une telle position n’est pas tenable, et surtout ne correspond pas à des situations réelles.

Promesse et engagement
La phénoménologie de la promesse se révèle aussi une phénoménologie de l’engagement. L’argument de Jean-Pierre Vernant à partir de son expérience de résistant, repris par l’auteur, ne manque pas de force : l’homme demeure dans l’ennemi, même si ce dernier récuse sa propre humanité. « Choisir les armes à la main ne contraint personne à penser la politique du côté de la guerre et de l’ennemi irréductible. L’ennemi de fait, celui qui veut notre mort et nous dénie notre humanité… reste à nos yeux un homme, même sous l’uniforme du bourreau ». Alors « dans le concret de la vie politique, dans le conflit, là où il y a des méchants, où je ne suis pas pour autrui ce que je suis pour moi-même… je peux être conduit à mentir et à trahir mes promesses comme je peux être justifié à utiliser la force au nom même de l’humanité de tout homme, et pour ne pas y renoncer. »

Le politique et le religieux
Bien que le livre ne soit pas organisé en parties mais en une succession de séquences méditatives brèves, la suite qui s’ouvre par « théologie et politique » envisage en une nouvelle série réflexive la question de la nature de la promesse à travers la liaison de la promesse, du politique et de la religion.  « Observons, nous dit l’auteur, que tous ceux qui ont cru qu’ils pourraient détacher le politique du religieux ou le religieux du politique ont été condamnés malgré eux à voir revenir le lien qui les unit. » Vincent Peillon nous conduit à réfléchir sur la question de la promesse et donc du politique à travers deux modalités, celle du contrat ou celle de l’alliance. Les philosophies du contrat (Hobbes, Locke, Rousseau) reposent sur l’autonomie de l’institution sociale. Au contraire, l’ordre politique et social fondé sur l’alliance ne repose pas sur un contrat « horizontal passé entre les individus » mais précisément sur une alliance entre Dieu et un peuple et à travers lui l’humanité. Ce schéma biblique de la promesse (et donc du politique) imprime encore les politiques de la modernité. Et penser qu’il existe une structure théologique du politique est une thèse à considérer.

Une crise de l’alliance
Pourtant, en regard des idéologies des fins de l’histoire et des crimes à grande échelle des totalitarismes, revenir à l’alliance « ne serait-ce pas faire un grand pas en arrière de la modernité » ? Non répond l’auteur pour peu que l’on comprenne la véritable nature de la promesse juive qui exprime une convocation au sens de Lévinas : nous sommes responsables de la promesse « d’une humanité de tous les hommes en tant qu’ils sont à la fois universels et singuliers ». Notre temps est marqué selon Vincent Peillon par « la mort du politique ». Cette crise de notre temps, se demande-t-il, ne serait-elle pas une crise de l’alliance ? « S’il y a un échec de la politique aujourd’hui, c’est celui de mettre un terme à cette crise de l’alliance. Nous avons beaucoup de publicistes… des démagogues, des technocrates, des coachs et même des intellectuels et des savants. Mais il faut bien reconnaître que nous manquons un peu de prophètes. » Le sens profond de la promesse juive est en effet un refus de la « Toute- puissance, celle de l’homme mais aussi celle de Dieu » ; elle est « une collaboration » pour entreprendre une « réparation » ininterrompue des maux et de l’injustice causés par l’homme. C’est ce que Jaurès, auquel on ne peut manquer de penser dans cette réflexion sur la politique, avait relevé et appliqué dans son action quotidienne. La promesse est tout entière en ce monde et dans l’action de réparation et de promotion de la justice sociale.

Ni Machiavel, ni Kant, mais, serais-je tenté de dire pour ma part, Jaurès, car comme l’écrit Vincent Peillon, « la promesse est politique et comporte une dimension éthique ». La théorie du contrat alimente l’obsession libérale de protéger l’individu au risque de le désengager et de le déresponsabiliser. Mais un paradoxe plus grand se loge au cœur de cette théorie du contrat : si c’est l’institution qui doit changer l’individu, car l’individu ne peut être son propre garant, la politique devient « une démiurgie ». Là réside peut-être l’échec : « On ne fait pas une société politique comme on passe un contrat commercial ou juridique, et la tentative moderne de réduire le politique à l’économique et au juridique a montré ses limites ».

Retrouver la parole perdue
Comme l’ouvrage avait débuté sur cette « parole perdue » qu’évoquait la promesse, il s’achève par une dernière salve méditative sur l’alliance qui « interdit à quiconque de se prévaloir de Dieu pour fonder une quelconque autorité ou se prendre lui-même pour Dieu dans une autonomie radicale ». Si le mal est la question, « c’est l’humanité qui le commet avec ou sans Dieu ». L’alliance, nous rappelle l’auteur à la suite de Lévinas, est « une fondation radicale de la politique comme éthique », une politique réparatrice des souffrances et des injustices, une politique de libération. C’est en empruntant ce chemin de responsabilité que la « parole perdue » peut encore être retrouvée.
Camille Grousselas

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