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Tribune : RAYMOND KRAKOVITCH : Une situation de blocage politique inédite en France

La dĂ©mocratie fonctionne mal en France. Sa supĂ©rioritĂ© sur les autres types de rĂ©gime est mĂªme mise en cause par une minoritĂ© significative de citoyens selon les sondages. Le rĂ©cent dĂ©bat sur la rĂ©forme des retraites a exacerbĂ© les critiques, en particulier au sujet de l’application de l’article 49.3 de la constitution.

La cause essentielle de cette situation ne semble pas Ăªtre mise en lumière : elle ressort Ă  notre sens d’une rĂ©partition inĂ©dite des forces politiques Ă  partir de l’élection de l’AssemblĂ©e nationale de 2022. En effet, depuis 1958 il y avait toujours eu une majoritĂ© et une minoritĂ© au Palais-Bourbon. Certes celles-ci n’étaient pas parfaitement structurĂ©es. En 1962 une opposition large au projet d’élection du prĂ©sident de la RĂ©publique au suffrage universel avait conduit Ă  la censure du gouvernement – la seule Ă  avoir jamais Ă©tĂ© votĂ©e – mais la nouvelle assemblĂ©e qui en a dĂ©coulĂ© a rĂ©tabli une majoritĂ© solide, de droite, en conformitĂ© avec le souhait du gĂ©nĂ©ral de Gaulle qui avait obtenu l’assentiment d’une large majoritĂ© Ă  son projet constitutionnel. 

Ultérieurement, le gouvernement de Michel Rocard et ceux qui lui ont succédé au cours de la législature 1988-1993 ne bénéficiaient que d’une majorité très incertaine, ce qui a conduit à l’application de l’article 49.3 une trentaine de fois sans d’ailleurs que l’opinion s’en émeuve. Mais la conséquence d’une censure de l’exécutif, si elle était intervenue (il s’en fallut de trois voix en 1992 sous le gouvernement Bérégovoy) aurait conduit, après dissolution, à donner la majorité à la droite, ce qui intervint largement dès l’élection de la Chambre en 1993.

Ensuite en 1986, puis Ă  nouveau en 1997, l’élection de l’AssemblĂ©e nationale a produit une majoritĂ© opposĂ©e Ă  la sortante mais la droite, dans le premier cas, la gauche dans le second, Ă©taient unies et prĂªtes Ă  gouverner, dans le cadre d’une cohabitation qui a fonctionnĂ© dans l’ensemble.

Il n’y a pas d’alternative

La situation est très diffĂ©rente aujourd’hui. La majoritĂ© est non seulement très relative et susceptible dâ€™Ăªtre renversĂ©e (il n’a manquĂ© que neuf voix Ă  la motion de censure consĂ©cutive Ă  la prĂ©sentation de rĂ©forme du projet de retraite) mais l’alternative n’existe pas.

Les oppositions sont insusceptibles de se grouper pour proposer une politique diffĂ©rente et une Ă©quipe capable de l’incarner. La droite et l’extrĂªme droite d’une part, la gauche et l’extrĂªme gauche d’autre part, peuvent s’entendre nĂ©gativement pour refuser un projet du gouvernement actuel, elles ne sont pas en mesure de prĂ©senter une alternative valable. On n’imagine pas Jean-Luc MĂ©lenchon et Marine Le Pen s’unir pour que l’un d’entre eux remplace la titulaire actuelle de Matignon avec une Ă©quipe de gouvernement groupant leurs partisans. En cas de dissolution la nouvelle assemblĂ©e pourrait rendre la majoritĂ© relative actuelle encore plus relative mais il est exclu que les oppositions, soit de gauche, soit de droite, obtiennent une majoritĂ©. Les sondages examinant cette situation signalent cette impossibilitĂ© sans ambiguĂ¯tĂ©. On constate que le Rassemblement national progresse au fur et Ă  mesure du discrĂ©dit de l’AssemblĂ©e actuelle mais on n’imagine pas qu’il passe de 88 Ă  289 dĂ©putĂ©s, mĂªme avec le soutien de certains RĂ©publicains très Ă  droite.

Il faut répéter que cette situation ne s’est jamais produite dans la République. Les crises ministérielles étaient fréquentes sous les IIIe et IVe République mais, au bout de quelques semaines, les tractations aboutissaient, pour une durée incertaine, à une majorité un peu plus à gauche ou un peu plus à droite à la suite de subtiles négociations entre les groupes. Une issue finissait toujours par s’imposer.

Aujourd’hui ce n’est pas le cas. Il faut pourtant que la France soit gouvernĂ©e, et c’est lĂ  qu’on s’aperçoit que le refus par l’opinion de l’article 49.3 a des consĂ©quences graves. Cet article, voulu en 1958 par le gĂ©nĂ©ral de Gaulle, avait justement pour objet d’éviter une vacance du pouvoir et il n’avait, pendant des dĂ©cennies, fait l’objet d’aucun rejet. Ledit article n’existe certes pas Ă  l’étranger mais un mĂ©canisme aux consĂ©quences semblables figure par exemple dans la constitution de la RĂ©publique fĂ©dĂ©rale allemande : un gouvernement ne peut Ăªtre renversĂ© que si un opposant se prĂ©sente avec une Ă©quipe prĂªte Ă  gouverner et qu’il recueille une majoritĂ© au Bundestag.

Si l’on ne veut pas de l’article 49.3 de la constitution actuelle (et il est déjà d’un usage restreint depuis la modification constitutionnelle de 2008) il n’y a plus d’alternative et la menace d’une crise de régime sans solution apparaît en pleine lumière.

Responsabilité du président

Emmanuel Macron a certes une responsabilité particulière dans cette situation. En s’implantant au centre de l’échiquier politique, en atomisant les forces classiques de gauche et de droite en 2017, il a tari la source d’une alternance. Tant qu’il obtenait une majorité absolue pour son camp comme cela a été le cas en 2017 ce n’était pas grave. Mais cette absence à la législative de 2022 a produit un vide abyssal qui s’est soudainement révélé.

On peut rĂªver de la reconstitution d’une gauche de gouvernement recouvrant une capacitĂ© majoritaire (ou la mĂªme chose chez une droite rĂ©publicaine) et peut-Ăªtre se produira-t-elle en 2027. En attendant la situation est sombre et l’ombre du surgissement de Marine Le Pen lors de ladite Ă©chĂ©ance grandit. Pour l’éviter il serait souhaitable que l’exĂ©cutif actuel se renforce d’un cĂ´tĂ© ou de l’autre, ce qui ne semble pas prĂªt d’émerger. Il convient donc d’appeler, sans garantie, Ă  une sagesse permettant aux rĂ©formes nĂ©cessaires Ă  notre pays, et il n’en manque pas, dâ€™Ăªtre votĂ©es pour que l’opinion ne se tourne pas vers une alternative Ă  la dĂ©mocratie, avec par exemple un homme fort que certains semblent souhaiter selon les sondages. En tous cas une prise de conscience de la gravitĂ© de la situation et de la difficultĂ© institutionnelle d’en sortir est nĂ©cessaire alors qu’elle ne semble pas actuellement Ăªtre mise sur la table.

Si la France n’a pas actuellement de majoritĂ© dĂ©mocratique il faut garder tout de mĂªme espoir dans le gĂ©nie français et l’instinct de conservation de notre peuple. Le pire n’est jamais sĂ»r.

Raymond Krakovitch

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