samedi 27 avril 2024
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Tribune : RAYMOND KRAKOVITCH : Une situation de blocage politique inédite en France

La démocratie fonctionne mal en France. Sa supériorité sur les autres types de régime est même mise en cause par une minorité significative de citoyens selon les sondages. Le récent débat sur la réforme des retraites a exacerbé les critiques, en particulier au sujet de l’application de l’article 49.3 de la constitution.

La cause essentielle de cette situation ne semble pas être mise en lumière : elle ressort à notre sens d’une répartition inédite des forces politiques à partir de l’élection de l’Assemblée nationale de 2022. En effet, depuis 1958 il y avait toujours eu une majorité et une minorité au Palais-Bourbon. Certes celles-ci n’étaient pas parfaitement structurées. En 1962 une opposition large au projet d’élection du président de la République au suffrage universel avait conduit à la censure du gouvernement – la seule à avoir jamais été votée – mais la nouvelle assemblée qui en a découlé a rétabli une majorité solide, de droite, en conformité avec le souhait du général de Gaulle qui avait obtenu l’assentiment d’une large majorité à son projet constitutionnel. 

Ultérieurement, le gouvernement de Michel Rocard et ceux qui lui ont succédé au cours de la législature 1988-1993 ne bénéficiaient que d’une majorité très incertaine, ce qui a conduit à l’application de l’article 49.3 une trentaine de fois sans d’ailleurs que l’opinion s’en émeuve. Mais la conséquence d’une censure de l’exécutif, si elle était intervenue (il s’en fallut de trois voix en 1992 sous le gouvernement Bérégovoy) aurait conduit, après dissolution, à donner la majorité à la droite, ce qui intervint largement dès l’élection de la Chambre en 1993.

Ensuite en 1986, puis à nouveau en 1997, l’élection de l’Assemblée nationale a produit une majorité opposée à la sortante mais la droite, dans le premier cas, la gauche dans le second, étaient unies et prêtes à gouverner, dans le cadre d’une cohabitation qui a fonctionné dans l’ensemble.

Il n’y a pas d’alternative

La situation est très différente aujourd’hui. La majorité est non seulement très relative et susceptible d’être renversée (il n’a manqué que neuf voix à la motion de censure consécutive à la présentation de réforme du projet de retraite) mais l’alternative n’existe pas.

Les oppositions sont insusceptibles de se grouper pour proposer une politique différente et une équipe capable de l’incarner. La droite et l’extrême droite d’une part, la gauche et l’extrême gauche d’autre part, peuvent s’entendre négativement pour refuser un projet du gouvernement actuel, elles ne sont pas en mesure de présenter une alternative valable. On n’imagine pas Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen s’unir pour que l’un d’entre eux remplace la titulaire actuelle de Matignon avec une équipe de gouvernement groupant leurs partisans. En cas de dissolution la nouvelle assemblée pourrait rendre la majorité relative actuelle encore plus relative mais il est exclu que les oppositions, soit de gauche, soit de droite, obtiennent une majorité. Les sondages examinant cette situation signalent cette impossibilité sans ambiguïté. On constate que le Rassemblement national progresse au fur et à mesure du discrédit de l’Assemblée actuelle mais on n’imagine pas qu’il passe de 88 à 289 députés, même avec le soutien de certains Républicains très à droite.

Il faut répéter que cette situation ne s’est jamais produite dans la République. Les crises ministérielles étaient fréquentes sous les IIIe et IVe République mais, au bout de quelques semaines, les tractations aboutissaient, pour une durée incertaine, à une majorité un peu plus à gauche ou un peu plus à droite à la suite de subtiles négociations entre les groupes. Une issue finissait toujours par s’imposer.

Aujourd’hui ce n’est pas le cas. Il faut pourtant que la France soit gouvernée, et c’est là qu’on s’aperçoit que le refus par l’opinion de l’article 49.3 a des conséquences graves. Cet article, voulu en 1958 par le général de Gaulle, avait justement pour objet d’éviter une vacance du pouvoir et il n’avait, pendant des décennies, fait l’objet d’aucun rejet. Ledit article n’existe certes pas à l’étranger mais un mécanisme aux conséquences semblables figure par exemple dans la constitution de la République fédérale allemande : un gouvernement ne peut être renversé que si un opposant se présente avec une équipe prête à gouverner et qu’il recueille une majorité au Bundestag.

Si l’on ne veut pas de l’article 49.3 de la constitution actuelle (et il est déjà d’un usage restreint depuis la modification constitutionnelle de 2008) il n’y a plus d’alternative et la menace d’une crise de régime sans solution apparaît en pleine lumière.

Responsabilité du président

Emmanuel Macron a certes une responsabilité particulière dans cette situation. En s’implantant au centre de l’échiquier politique, en atomisant les forces classiques de gauche et de droite en 2017, il a tari la source d’une alternance. Tant qu’il obtenait une majorité absolue pour son camp comme cela a été le cas en 2017 ce n’était pas grave. Mais cette absence à la législative de 2022 a produit un vide abyssal qui s’est soudainement révélé.

On peut rêver de la reconstitution d’une gauche de gouvernement recouvrant une capacité majoritaire (ou la même chose chez une droite républicaine) et peut-être se produira-t-elle en 2027. En attendant la situation est sombre et l’ombre du surgissement de Marine Le Pen lors de ladite échéance grandit. Pour l’éviter il serait souhaitable que l’exécutif actuel se renforce d’un côté ou de l’autre, ce qui ne semble pas prêt d’émerger. Il convient donc d’appeler, sans garantie, à une sagesse permettant aux réformes nécessaires à notre pays, et il n’en manque pas, d’être votées pour que l’opinion ne se tourne pas vers une alternative à la démocratie, avec par exemple un homme fort que certains semblent souhaiter selon les sondages. En tous cas une prise de conscience de la gravité de la situation et de la difficulté institutionnelle d’en sortir est nécessaire alors qu’elle ne semble pas actuellement être mise sur la table.

Si la France n’a pas actuellement de majorité démocratique il faut garder tout de même espoir dans le génie français et l’instinct de conservation de notre peuple. Le pire n’est jamais sûr.

Raymond Krakovitch

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