Cet ouvrage original analyse sur la longue durée l’influence, souvent sous-estimée dans les
relations internationales, des épouses des diplomates français, sujet qui intéressait jusqu’à présent plutôt les magazines people ou la littérature distrayante, et qui était traité avec condescendance. (a/s de Isabelle Dasque, Le pouvoir des femmes de diplomates. XIXe-XXIe siècles, Nouveau Monde, 2025, 328 p., 23,90 €)
L’autrice, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à Sorbonne Université, poursuit son travail entamé en 2020 avec la publication des Diplomates de la République. (Sorbonne Université Presses, 2020). Pour ce nouveau livre, elle a utilisé des sources inédites et variées, comme des mémoires et journaux intimes, mais aussi les dossiers personnels des agents aux archives diplomatiques, ainsi que la revue de l’Association française des conjoints d’agents du ministère des Affaires étrangères, et elle a réalisé des entretiens oraux avec une vingtaine de témoins.
Elle montre que les femmes de diplomates, loin de se cantonner à une activité mondaine et frivole, peuvent jouer un réel rôle politique, comme l’illustre l’appel « Arrêtez votre mari ! » lancé par les épouses des ambassadeurs allemand et britannique à l’ONU en 2012 auprès de la femme de Bachar el-Assad afin qu’il stoppe sa répression sanglante en Syrie. Il existe donc une véritable « diplomatie féministe », comme l’a observé l’historienne des relations internationales Laurence Badel en 2023.
L’ONU, de fait, a créé des structures spécifiques pour prendre en compte ce type de diplomatie, comme la United Nations Delegations Women’s Club. Et depuis les conventions de Vienne de 1961, 1963 et 1975, les épouses de diplomates se voient reconnaître par le droit international les mêmes droits et immunités qu’aux agents diplomatiques et consulaires. Et la résolution 1325 de l’ONU, adoptée en 2000, accorde aux femmes une reconnaissance juridique de leur rôle actif dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales.
Contraintes vs émancipation : les coulisses d’un pouvoir discret
Longtemps considérées comme une minorité silencieuse, les femmes d’ambassadeurs français ont souvent œuvré à s’affranchir des contraintes, comme l’a fait Nicole Alphand, femme de l’ambassadeur français aux États-Unis sous Kennedy, s’attachant à parler à ses invités « sur un ton toujours direct ».
Leur vie n’est pas de tout repos, avec des voyages éprouvants (surtout au XIXe et au début du XXe siècle), des chocs culturels importants, et la nécessité d’avoir un sens de l’adaptation et de parvenir à s’imposer face au personnel. Elles mènent des activités philanthropiques non négligeables, par exemple pour venir en aide aux victimes de guerres ou de catastrophes naturelles, comme Gabrielle Bompard pendant la Première Guerre mondiale à Constantinople. Leur vie est souvent exposée au danger, comme l’exprime Catherine de Bourboulon, en Chine en 1860 pendant la révolte des Taiping : « Nous vivons dans un état d’alarme perpétuelle […]. La terreur est générale. »
En temps de paix, elles jouent également un rôle crucial dans l’organisation des dîners officiels, occasions parfois importantes de négociations en off, et sont les ambassadrices du luxe à la française, forme de soft power. Pendant la guerre froide en Europe, elles apportent un discret soutien aux opposants politiques à l’Est du rideau de fer.
Au total, Isabelle Dasque en conclut que « la diplomatie a été propice à l’émancipation des femmes ». Malheureusement, force est de constater que la diplomatie reste toujours aujourd’hui un secteur très inégalitaire, sur le plan social et du genre : moins de 29 % des ambassadeurs sont des femmes actuellement, et les ambassadeurs et diplomates français sont en très grande majorité issus de l’aristocratie ou de la grande bourgeoisie, et très peu issus de la diversité. Ce livre, comme les autres travaux d’historiennes et d’historiens sur la diplomatie, aide à faire prendre conscience qu’il est grand temps d’œuvrer à une réelle démocratisation du métier de diplomate.
Chloé Maurel
