mercredi 24 avril 2024
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Les vies multiples de Maurice Laval, par JEAN-WILLIAM DEREYMEZ


Comme l’écrit Bernard Poignant dans sa préface, « toute vie a la même dignité. Toute vie n’a pas la même intensité », et celle de Maurice Laval, effectivement, fut intense, à un degré assez rare.
 À propos de BRUNO SALAÜN, Laval, un résistant. Le siècle de Maurice Laval,1920-2019, Châteaulin, Locus Solus, 2020, 64p, 11€Bien que n’ayant jamais occupé le devant de la scène, Maurice Laval tint un rôle éminent durant le siècle, ou presque, de son existence puisque, né en 1920, il est décédé le 31 octobre 2019, dans sa région d’adoption, à Quimper.

Issu de ce que l’on appelait encore la « petite bourgeoisie », son père dirigeait une tannerie qui ne résista pas à la crise des années 1930 et dont la faillite contraignit le jeune Maurice, à peine ses quatorze ans révolus, à travailler. Ses premiers métiers, imprimeur puis dessinateur industriel (Renault), l’introduisirent plus tard dans la presse.

Laval appartenait à cette génération qui eut seize ans lors du Front populaire, vingt ans au moment de la défaite, deux événements qui le marquèrent profondément. L’adolescent milita d’abord au sein des Faucons rouges, que la spé-cialiste Liliane Guignard-Gisselbrecht qualifia joliment de « nouveau né un peu illégitime » de la SFIO, pouponnés par certaines municipalités socialistes. L’attitude de Léon Blum dans le conflit espagnol le conduisit vers des organisations se voulant plus « révolutionnaires », notamment le Parti ouvrier internationaliste, l’une des nombreuses branches du trotskisme français. Il militait aussi dans les Auberges de jeunesse qu’il souhaitait « trotskiser ». Après la scission lors de laquelle une partie des ajistes rejoignit Vichy avec Marc Augier qui, ancien membre du cabinet de Léo Lagrange, suivit un itinéraire le menant aux Jeunes de l’Europe nouvelle, à la Ligue des volontaires français contre le bolchevisme et à la Waffen-SS, Maurice Laval tenta de maintenir le courant de gauche dans les Auberges, tout en poursuivant clandestinement son militantisme à la IVe Internationale. À partir de janvier 1941 – automne 1940 paraît moins convaincant au vu des documents publiés dans l’ouvrage –, il servit dans le réseau Thermopyles relevant du BCRA, conservant d’ailleurs cette appartenance aux services spéciaux jusque dans les années 1950-1960. Arrêté par la police française, interné à la Santé puis à Fresnes, il fut déporté ensuite à Neuengamme, Gross-Rosen, Mauthausen, Sachsenhausen, d’où il subit l’une de ces « marches de la mort » fatales à nombre de déportés vers la Baltique.

RDR, SFIO, FM, PSU
La Libération le vit d’une part participer aux diverses expériences politiques, encore dans la mouvance trotskiste puis au Rassemblement démocratique révolutionnaire (RDR), où il retrouva David Rousset, Jean-Paul Sartre, Fred Zeller et de nombreux membres des Jeunesses socialistes partis de l’organisation lors de la scission des trotskistes. Après le délitement du RDR, Laval commença une carrière dans la presse, à Octobre puis à Combat avec Claude Bourdet, connu à Sachsenhausen, et même à La Française où il tint momentanément le courrier du cœur… Secrétaire général de Combat, il y côtoya Albert Camus, mais se trouva plutôt cantonné dans des tâches administratives, à son grand regret. Il participa, avec Bourdet, Gilles Martinet et d’autres, à la création de L’Observateur, dont il devint le directeur administratif. Au même moment, il rejoignit la SFIO ce qui lui permit de figurer sur une liste de gauche à la mairie de Montrouge, où il fut adjoint aux affaires sociales. Opposant à Guy Mollet avec Édouard Depreux, Daniel Mayer, Alain Savary, il rallia le Parti socialiste autonome, puis passa au PSU où il retrouva Laurent Schwartz, rencontré à la Libération au sanatorium de Saint-Hilaire-du-Touvet qui l’avait introduit à la franc-maçonnerie dans laquelle, initié en 1954 à la Grande Loge de France, il se mêla aux militants Force ouvrière, syndicat auquel il appartenait.

… SFIO, PS…
En 1963, il quitta le PSU, critiquant vivement la « stérilité » de ce parti qui « caricature les espoirs » qu’il plaçait en lui, et retourna à la SFIO. L’année suivante, il se sépara de « son » hebdomadaire devenu Le Nouvel observateur, supportant de plus en plus mal le ton des éditoriaux de Jean Daniel1. Il collabora à la Quinzaine littéraire, ainsi qu’à 50 millions de consommateurs jusqu’à sa « première retraite », en 1980, consacrant alors son temps aux organisations professionnelles, syndicat des journalistes FO, NMPP, OJD jusqu’à sa « seconde » retraite en 1995. Quelque peu éloigné du PS, il y reprit sa carte, attiré par Michel Rocard qu’il considérait comme un nouveau Mendès France. Il s’é31loigna aussi de la maçonnerie, les loges quimpéroises ne comprenant pas toujours la force de cette personnalité.

On le voit, la vie de Maurice Laval s’avéra effectivement intense, faite d’engagements qui, tout en étant divers s’orientaient dans une même direction, faite aussi d’un travail assidu dans la presse, peut-être pas au niveau souhaité, celui de l’écriture.

L’ouvrage de Bruno Salaün, illustré de nombreux documents, reposant sur des entretiens avec Maurice Laval et ses proches, sur les archives personnelles de l’intéressé, sur des archives publiques, permet de mieux cerner cette personnalité demeurée en partie dans l’ombre mais qui constitua le terreau militant du mouvement socialiste en France.

Jean-William Dereymez

  1. Il chargea sa seconde épouse d’ôter lesdits éditoriaux avant de lui passer le périodique…

Article paru dans L’OURS n°500, juillet-août 2020.

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