jeudi 28 mars 2024
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Les socialistes et les défauts de leurs mémoires, par MICHEL DREYFUS

L’histoire et la façon dont elle est ressentie participent à la construction de l’identité d’un être humain. Il en est de même pour les partis , syndicat, etc. La mémoire est au cœur de l’identité des socialistes : c’est pourquoi il est essentiel de la connaître pour comprendre leur projet et leur action. (a/s de Noëlline Castagnez, Quand les socialistes français se souviennent de leurs guerres. Mémoires et identités (1944-1995), Rennes, PUR, 2021, 478p, 32€)

La mémoire socialiste participe depuis la Seconde Guerre à celle, collective, des Français. Pour les socialistes, il existe des différences notables entre les guerres au cours desquelles ils ont combattu en tant que patriotes et celles où ils ont défendu leurs idéaux. L’examen rétrospectif de ces conflits par les socialistes n’est pas toujours flatteur pour eux, il s’en faut de beaucoup. Assurément, plusieurs moments – la Révolution française, la Commune et le Front populaire – ont été et sont encore, bien que dans une moindre mesure, exaltés à travers une mémoire glorieuse et valorisée. 

Le traumatisme du 10 juillet 40
En revanche, la mémoire de la Résistance a été largement occultée par les socialistes jusqu’au milieu des années 1990. Ils étaient en effet traumatisés, sans doute de façon inconsciente, par le souvenir du vote d’un nombre important de députés de la SFIO des pleins pouvoirs à Pétain en juillet 1940. La sévère épuration réalisée par la SFIO dans ses rangs quatre ans plus tard a longtemps éclipsé l’action résistante dans la mémoire socialiste. Au sortir de la guerre, cette vision se situait aux antipodes de celle avancée par le PCF : on le sait, ce dernier s’est longtemps mis en scène comme « le parti des 75 000 fusillés ». Les socialistes ont dû compter aussi avec la mémoire de la Seconde Guerre d’un autre adversaire politique, les gaullistes. Ces deux facteurs les ont affaiblis sous la IVe République et au début de la Ve en raison notamment de la forte personnalité de l’homme du 18 juin, devant lequel ils ne pouvaient rivaliser. 

Épinay, une autre histoire 
Sur un autre plan, la Grande Guerre et la guerre d’Espagne leur ont laissé un goût amer ; ils ont été durablement marqués par le souvenir de la défaite du pacifisme en 1914-1918 et de la non-intervention en 1936. Enfin, les guerres coloniales en Indochine et plus encore en Algérie ont engendré chez les socialistes un sentiment de honte, le plus souvent occulté et refoulé, dont ils ont mis beaucoup de temps à se départir. On comprend dès lors pourquoi la mémoire ou plutôt les mémoires de toutes ces guerres sont si difficiles à appréhender pour les socialistes. François Mitterrand a bien compris ce facteur pour recomposer son propre passé et aussi celui du Parti socialiste à partir de 1971. En glorifiant Jean Jaurès et Léon Blum, en excluant Paul Faure et Guy Mollet, François Mitterrand a réconcilié les socialistes avec leur mémoire ; il en a fait un instrument de la conquête du pouvoir, réalisée en 1981. 

Mémoires démultipliées
Bien évidemment tout ne se joue pas seulement à la direction du Parti socialiste. Noëlline Castagnez confronte la conception de la mémoire de cette dernière avec celle de l’ensemble du Parti : ses fédérations, ses municipalités et ses territoires. À partir d’une démarche originale, elle étudie le processus d’acculturation des militants au socialisme en examinant leurs commémorations, leurs symboles, leurs monuments et les toponymes qu’ils ont inscrits dans la société française. Toutes ces instances spécifiques produisent des points de vue variés. On aboutit ainsi à une situation complexe caractérisée par des débats larvés et même dans un certain cas par un non-dit assourdissant. Contrairement peut-être à une idée reçue, les socialistes se sont largement inscrits dans l’histoire, et ils y ont fait souvent référence. Mais à la différence du PCF et dans une moindre mesure des partis de droite, à l’exception de Jean Jaurés ils refusent tout « sauveur suprême ». Aussi leur recours à l’histoire s’exerce selon de multiples modalités. De plus, la présence de tendances au sein de la SFIO depuis ses origines, puis au Parti socialiste, explique qu’il n’existe pas une seule mémoire socialiste mais plusieurs qui cohabitent de façon souvent inexprimée, voire contradictoire. Une dernière remarque : jamais la mémoire socialiste ne se confond durant cette période avec celle des communistes. 

Ce livre se conclut par une question très actuelle : pourquoi les nouvelles générations socialistes, celles arrivées après 1981, sont-elles devenues incapables de s’approprier la démarche mémorielle du Parti ? L’érosion de plusieurs valeurs de la gauche, notamment l’antifascisme, par ces jeunes générations, est un des facteurs de la crise que traverse aujourd’hui le Parti socialiste. Cette crise était bien moindre en 1995, date à laquelle Noëlline Castagnez conclut son ouvrage, mais on pouvait en observer les prémisses. 

En scrutant avec minutie la façon dont cette histoire et sa mémoire ont été portées de la Libération aux années ayant suivi l’implosion de l’URSS et des Démocraties populaires, elle nous fournit de précieux éléments pour connaître l’identité de la SFIO et du Parti socialiste, ainsi que peut-être pour comprendre la grave crise que ce dernier vit aujourd’hui.

Michel Dreyfus

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