Jean Guiffan signe là une fresque socialiste haute en couleurs, balayant une période cruciale allant des débuts de la Ve République à la conquête de la mairie de Nantes par Alain Chenard en 1977. (a/s de Jean Guiffan, Le putsch de la rue d’Allonville. Histoire des socialistes de Loire-Atlantique (1958-1977), éd. du CHT, 2025, 252 p., 22 € (publié avec le soutien de l’OURS).
L’auteur n’est pas un inconnu à Nantes. Professeur d’histoire au lycée Clemenceau, c’est un historien reconnu qui a déjà épluché bien des sources socialistes lors de publications antérieures sur l’histoire politique des gauches en Loire-Atlantique. En outre, il a connu cette période en partie de l’intérieur des partis socialistes, à l’UGCS et au PSU, avant d’être parmi les animateurs du CERES au PS, à l’échelle locale.
Une connaissance fine des acteurs
C’est d’ailleurs un des intérêts du volume que de pouvoir croiser le dépouillement des archives fédérales du PS 44, classées et déposées au CHT de Nantes, le traitement politique des gauches par la presse et le recours aux documents personnels, favorisant une connaissance fine des acteurs, ce qui donne une plus-value certaine à l’ensemble.
Disons tout de suite. L’entreprise atteint largement son but. Bien sûr, on regrettera que, pour des raisons évidentes de place et une volonté délibérée, dans la forme de l’écriture, de limiter le nombre de notes de bas de page, les trajectoires militantes ne soient pas plus développées. Autre choix éditorial, fort utile cette fois, la sélection de documents d’archive publiés in extenso illustre bien le récit, compensant notamment le volet « résultats électoraux » un peu sous-dimensionné dans cette synthèse enlevée sur les mouvements socialistes en Loire-Inférieure puis Loire-Atlantique.
L’essentiel est ailleurs. Le lecteur peut suivre pas à pas la reconstruction de la gauche non-communiste sur deux décennies cruciales. En effet, à Nantes comme dans le reste de l’Ouest breton, les forces socialistes se divisent en deux parts presque égales quantitativement (SFIO et PSA-PSU), mais reposant sur des réseaux militants aux bases très différenciées. Et c’est le cœur de la démonstration de Jean Guiffan que de pointer les sources du renouvellement militant. Au sein des clubs (CIR, UGCS) et dans le cadre de plateformes partisanes élargies (FGDS, PSU) s’élaborent de nouvelles idées, émergent de nouvelles figures, se pratiquent de nouvelles pratiques d’union, à gauche. Pour bien comprendre le cycle d’Épinay (1971-1981) de captation socialiste du vote des classes moyennes, salariées, urbaines, avec un pic indéniable, véritable 10 mai 1981 à l’échelle régionale, lors de la bascule des municipales de 1977 (conquêtes de Nantes, à replacer dans un contexte plus large, celui des succès électoraux à Rennes, Brest, Angers…), Jean Guiffan remonte aux origines de ce rebond socialiste à bases multiples.
Nouvelle génération
Dans ce récit évènementiel touffu, un fait retient l’attention, celui du putsch de la rue d’Allonville le 8 novembre 1974 qui acte la rupture avec la majorité de Troisième Force pour laisser la place à une stratégie d’union de la gauche (dans le cadre du Programme commun). On suit pas à pas le cheminement politique d’André Routier-Preuvost, de Christian Chauvel et des autres élus municipaux de la majorité alliée à André Morice, en rupture avec le PS, mais aussi celui d’une nouvelle génération d’élus qui émerge lors des scrutins de 1976-1977, à l’instar d’Alain Chenard. Cette réflexion sur cette configuration ligérienne très singulière fait écho à des objets de recherche en cours, en témoigne le colloque organisé par David Bellamy et Philippe Nivet, il y a quelques mois, sur ces socialistes qui ont refusé le Programme commun de gouvernement.
Cette dimension originale, de laboratoire politique se retrouve aussi au moment des Assises du socialisme (1974), au prisme de l’étude du courant CERES/ex PSU François Autain, très atypique à l’échelle nationale.
Le plan chronologique retenu documente par tranches ces mutations des sphères socialistes, entre entrées et sorties d’un milieu partisan en pleine recomposition. Cette séquence 1958-1977 s’apparente finalement à un moment-fenêtre qui modifie les espaces socialistes pour une longue séquence (1977-2004), caractérisée par un autre rapport au pouvoir local et un enracinement à gauche de Nantes et de la Loire-Atlantique. Ce que le choix du titre ne dit pas tout à fait…
François Prigent (article paru dans L’ours 542 juillet-août 2025)