vendredi 19 avril 2024
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Le rire, une affaire sérieuse ?, par Sylvain Boulouque

Il semblerait que l’humour ne soit plus une vertu cardinale de nos sociétés. Deux ouvrages collectifs, chez le même éditeur « sérieux », interrogent ce qu’est l’humour dans les sociétés contemporaines d’hier à aujourd’hui. (A propos des ouvrages de Matthieu Letourneux et Alain Vaillant (sous la direction de), L’empire du rire XIXe-XXIe, siècles, CNRS éditions, 2021, 1000p, 32€ et Cédric Passart et Denis Ramond, De quoi se moque-t-on ?, Satire et liberté d’expression, CNRS éditions, 2021, 394p, 25€)

L’empire du rire, publié sous la forme d’une encyclopédie, fait le tour du rire de 1830 à nos jours en une cinquantaine d’entrées confiées à une trentaine de chercheurs, d’historiens de différentes disciplines, de professeurs de littérature, de politistes. À partir d’une entrée en matière plutôt historique qui traite des « quatre âges du rire moderne » (1830-1870, « Rire sous la censure ; 1870-1920, l’âge d’or du rire républicain ; 1920-1968, « traditions du rire et mutations culturelles ; depuis les années 1970, « les rire du village global »), les auteurs illustrent que le rire est dans l’espace public une subversion démocratique et un signe de bonne santé de ce système. Il vient s’incruster dans les différentes formes de la société. La deuxième partie de l’ouvrage, « l’esthétique du rire », étudie les différentes manières dont il est qualifié et s’utilise en fonction des contextes, quand la troisième l’étudie comme une arme, de la séduction à l’agression voire à la volonté de détruire, selon les cibles visées. Comme l’envisage la dernière partie, il se coule dans toutes les cultures, repose sur la diversification des moyens modernes de communication, du café concert au cinéma en passant par le théâtre, le cirque, la chanson ou la bande dessinée, les médias favorisant ou non sa diffusion. Certains moyens de communications deviennent eux-même un lieu de production de l’humour – radio, télé, internet. Les auteurs notent que le rire est parfois politique. 

Le thème de la satire est aussi abondamment abordé dans De quoi se moque-t-on ?, Satire et liberté d’expression. L’ouvrage qui rassemble une vingtaine de contributions (dont plusieurs auteurs de L’empire du rire) traite le sujet à partir de trois grands thèmes. Il analyse d’abord le fonctionnement de la liberté d’expression à travers les normes juridiques. On constate une « anglophonisation » de la société française, les tribunaux regorgent de plaintes pour injures et propos calomnieux où insultants. Avec une limite majeure, ses formes qualifient des phénomènes distincts, le racisme même sous dans le registre « humoristique « s’appelle du racisme et est illégal alors que l’humour s’inscrit dans un autre registre. 

Les auteurs de rappeler les réflexions de Flaubert : « quand on écrit bien on a contre soit deux ennemis : 1° le public parce que le style le contraint à penser, l’oblige à un travail ; 2° le gouvernement, parce qu’il sent en nous une force, et que le pouvoir n’aime pas un autre pouvoir. » Et de conclure à propos de guignol et des censures qu’opèrent l’institution policière aujourd’hui : « Guignol devrait être condamné pour s’adresser à un public composé uniquement de très jeunes enfants modelables et suggestibles et attaquer le corps de l’Etat en ridiculisant le gendarme avec la complicité du public. Quelle scandaleuse impunité ! »

Le livre met aussi en perspective la satire dans la société française à travers la chanson et la caricature de presse, et les émissions satiriques à la télévision (Bébête show et Guignols de l’info). Les contributions montrent parfaitement que la caricature a participé de la diffusion d’une identité républicaine et révolutionnaire, phénomène que l’on retrouve pleinement à l’œuvre avec les dessins qui illustrent les élections de 1848 où les candidats de gauche raillent le pouvoir et montrent les dysfonctionnements de la société. 

Les contributions soulignent également que la satire connaît très tôt une bipartition gauche/droite et que l’humour n’est pas le même en fonction de son appartenance partisane : les premiers critiquent les institutions – État, religion, etc… – alors que les seconds essentialisent les personnes. 

Enfin, le troisième thème porte sur les limites de l’humour. En 1981, la presque candidature de Coluche a retourné l’ordre établi et relève de la dérision. Inversement, les sketches de l’antisémite Dieudonné ne touchent pas à l’universel mais à la stigmatisation d’un groupe cherchant son exclusion et, conséquemment, ne répondant plus au registre de la satire mais à celui de la calomnie. 

Le problème est que, souvent, l’humour dépend du trait majoritaire. Ainsi le linguiste (et spécialiste de la propagande socialiste) Marc Angenot dans une postface dans l’air du temps, déplore par exemple que la journaliste Élisabeth Levy et quelques plumitifs aient été menacé de censure. Or, Angenot oublie « juste » que Levy a ses ronds de serviettes sur une chaine de télévision à grande audience et possède en outre un journal – et on ne préfère pas imaginer la réaction d’une opinion publique courroucée si d’aventure quelques post situationnistes avaient l’idée saugrenue d’aller faire une omelette le 11 novembre sur la flamme du soldat inconnu. Quand on parle de censure il vaut mieux regarder la lune que le doigt…

Bref , à la manière de Desproges, finalement, personnellement je veux bien rire de tout mais pas avec n’importe qui…. 

Sylvain Boulouque

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