jeudi 4 septembre 2025
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La nuit américaine ?, par JEAN-FRANÇOIS MERLE

L’exercice du pouvoir par Donald Trump, depuis le début de son second mandat, a suscité et continue de susciter d’innombrables analyses et commentaires sur les institutions américaines, leurs fondements, leur robustesse et leur dévoiement.

Pourtant, nous rappelle la journaliste et essayiste Judith Perrignon dans L’Autre Amérique, c’est pour sortir de la crise des années trente que Franklin Roosevelt a mis en œuvre le New Deal, en accroissant singulièrement les prérogatives présidentielles, dans un pays qui était jusque-là resté d’essence principalement fédéraliste. Son récit s’appuie notamment sur une exploitation minutieuse du journal et des carnets d’Henry Morgenthau, secrétaire au Trésor de l’administration Roosevelt, mais aussi ami personnel de longue date du Président. La nature même de ces sources donne à voir les mécanismes de prise de décision dans un univers politique profondément bouleversé par l’ampleur de la crise – en attendant de l’être par le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.

Il fallait aller vite pour redonner à des millions d’Américains les ressources nécessaires pour travailler, survivre, se loger ou produire : Roosevelt crée des agences, rattachées directement à la Maison Blanche, qui mobilisent la société civile et court-circuitent l’inertie des administrations traditionnelles et les rapports compliqués entre l’échelon fédéral et les États. Il bouscule le Congrès, peu enthousiaste devant l’accumulation des dépenses, mais qui se rallie sous la pression populaire quand les premiers résultats sont au rendez-vous. Ce patricien libéral, issu d’un milieu conservateur et fortuné, n’hésite pas à fermer les banques pour vérifier leurs comptes et leur solidité et à « faire payer les riches » par un impôt sur les très grandes fortunes. Il s’attaque aux dirigeants des plus grandes entreprises quand ceux-ci rechignent à augmenter les salaires ou à laisser des syndicats s’y implanter. « Nous savons maintenant qu’un gouvernement des milieux financiers est aussi dangereux qu’un gouvernement mafieux » n’hésite-t-il pas à déclarer lors de son discours inaugural en 1933. Et lorsque la Cour suprême, dominée par les conservateurs, veut freiner ses réformes, il menace d’accroître le nombre des juges, pour rééquilibrer leur influence.

Surtout, il maintient avec le peuple américain un lien constant, communiquant à la radio chaque semaine pour expliquer sa politique et la direction suivie, sillonnant le pays à bord de son train présidentiel, malgré ses difficultés à se mouvoir du fait de la poliomyélite contractée dans sa jeunesse, aidé par le militantisme de sa femme Eleanor qui développe des liens affectifs avec les minorités, et notamment les Afro-américains, dont le basculement du Parti républicain de Lincoln vers le Parti démocrate date du New Deal de Roosevelt.

Cette politique progressiste n’a pas pour finalité de révolutionner le capitalisme, mais de lui permettre de se redresser après la crise, et de survivre par la régulation économique, la redistribution fiscale et la justice sociale. Roosevelt est un pragmatique qui sait hiérarchiser les priorités et passer les compromis nécessaires. Et même si son dernier mandat n’aura guère duré plus de quelques mois, il a été réélu quatre fois à la présidence des États-Unis. Cette période a profondément transformé l’Amérique.

Si une comparaison est parfois faite avec ce qu’entreprend Donald Trump depuis sa réélection, c’est moins en raison de l’utilisation à outrance qu’il fait des prérogatives présidentielles que parce que, comme le dit l’auteure, « les cent premiers jours de son second mandat sont la réplique inversée des cent premiers jours de Roosevelt » : destruction des services publics, promotion des représentants du big business, rupture avec le multilatéralisme et les organisations internationales…

Cet ouvrage riche et passionnant permet aussi de mesurer la régression que connaissent aujourd’hui les États-Unis d’Amérique.

Jean-François Merle

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