lundi 29 avril 2024
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Gilles Vergnon, historien du politique, par BRUNO POUCET

Selon la coutume universitaire, certains enseignants-chercheurs, parmi les plus marquants, se voient offrir, au moment où l’État les pensionne, un livre qui dit quelque chose de leur carrière intellectuelle. Ces mélanges ne sont pas un livre hagiographique, mais des essais rédigés par des auteurs plus ou moins proches de celui qui s’éloigne et qui, en quelque sorte, montrent que le travail de recherche commencé se poursuit et se renouvelle. (a/s de Fabien Conord et Jean-Philippe Rey (dir.), Guerre et politique, mélanges offerts à Gilles Vergnon. Recoubeau-Jansac, La Baume Rousse, 2022, 220 p, 20€)

On ne s’étonnera pas de lire dans ces mélanges offerts à Gilles Vergnon des textes rédigés par nombre de chercheurs de Lyon. Ces mélanges sont souvent aussi un ouvrage qui marque les liens intellectuels voire d’amitiés tissés tout au long d’une vie de recherche. Et pour qu’un tel ouvrage voie le jour il est nécessaire que l’un ou l’autre en prenne l’initiative : c’est ici le cas de Fabien Conord, bien connu des lecteurs de L’Ours et de Jean-Philippe Rey.

Une carrière riche et féconde
Fabien Conord, l’un des coordinateurs du livre retrace brièvement la carrière de Gilles Vergnon, maître de conférences habilité à diriger des recherches en histoire à Science Po Lyon et qui fut longtemps, par les hasards de la carrière universitaire, professeur agrégé en lycée et à ce titre membre de l’Association des professeurs d’histoire et géographie. Spécialiste de l’histoire des gauches en Europe et de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, il est l’auteur d’une œuvre significative. Citons notamment : L’Antifascisme en France. De Mussolini à le Pen (Rennes, PUR, 2009), Résistance dans le Vercors. Histoire et lieux de mémoire (Grenoble, Glénat, 2012), Le « modèle suédois », les gauches françaises et l’impossible social-démocratie (Rennes, PUR, 2015), et avec B. Benoit, Ch. Chevandier, G. Morin et G.Richard), À chacun son mai ? Le tour des France de mai-juin 1968 (Rennes, PUR, 2011). Il a toujours plaidé en faveur de la place de l’histoire souvent réduite à peu à l’Institut d’études politiques de Lyon, comme ailleurs, donnant ainsi une juste compréhension historique à un présent qui sans cela est réduit à quelques analyses statistiques ou à du journalisme informé. Il est également secrétaire de l’association « réseau Memorhra », réseau de chercheurs et professionnels des musées et institutions dédiés à l’histoire de la Seconde Guerre mondiale en région Rhône-Alpes. Il est aussi largement contributeur aux publications de l’OURS qui lui rend ainsi hommage. Par ailleurs, il milita jadis à l’extrême gauche à l’OCI dont il fut exclu en 1989. Les archives de cette période qu’il détenait ont été données à la Contemporaine (ex-BDIC, Nanterre) où elles sont accessibles aux chercheurs.

Un tryptique
L’ouvrage est organisé en trois parties : la guerre, les socialistes européens et la question du vote. L’essentiel des contributions porte donc sur la guerre et l’histoire politique, cœur même de l’activité du chercheur.

L’intérêt des contributions de la première partie est de souligner la complexité de ce qui s’est passé pendant la Seconde Guerre aussi bien chez ceux qui ont été des collaborateurs que ceux qui ont été d’actifs résistants. Ce qui est intéressant dans ces différents chapitres, c’est qu’ils s’intéressent aux interstices de l’histoire, une sorte de micro-histoire, par les acteurs, à ces moments qui auraient pu faire basculer un destin : c’est le cas en particulier d’un notable exhumé par J.P Rey de l’Ancien régime, Agniel de Chenelette, qui réussit à se refaire une santé économique et politique sous le Premier Empire et d’Édouard Herriot de Y. Sambuis ou de ce village provençal qui s’efforce de rester à l’écart de Vichy de Ch. Chevandier. F. Giliani souligne la complexité du rapport des trotskystes français à la guerre pratiquant le « défaitisme révolutionnaire ». G. Morin souligne d’ailleurs l’ambiguïté de ces groupuscules dont certains se sont ralliés à la Révolution nationale, d’autres ont une position beaucoup plus complexe ; tel est le cas du Mouvement national révolutionnaire existant au tout début de la guerre, hostile au ralliement à de Gaulle mais opposé à toute forme de ralliement à l’Allemagne nazie. La Seconde Guerre c’est aussi l’Algérie qui connut un destin particulier : ralliement à Vichy, puis siège de la France libre et même du Gouvernement provisoire, cela ne sera pas sans conséquence dans l’affirmation du nationalisme algérien comme le montre Y. Santamaria. Quant à R. Belot, il montre bien que le Conseil national de la résistance a échoué à se transformer en révolution politique : l’attitude du PCF vis-à-vis de la question européenne est patente

La seconde partie de l’ouvrage est centrée sur les socialistes. F. Cépède, à partir des archives de son arrière-grand-père, le biologiste Casimir Cépède, créateur de vaccins, ouvre ainsi une porte sur un aspect méconnu de la position de certains socialistes par rapport à la vaccination du BCG – concurrence avec l’institut Pasteur d’un petit laboratoire convaincu d’être dans le vrai en rejoignant les travaux d’un chercheur allemand et récusant le BCG. F. Conord engage un rapprochement intéressant avec deux parcours de vie de deux pasteurs au destin très différent, même s’il y a des rencontres inattendues : le grand intellectuel allemand Karl Barth, qui a révolutionné la théologie et le socialiste passé chez les communistes Humbert-Droz. Quant au texte d’I. Ferhat dont le titre même du chapitre se réfère clairement au Grand Orient, il souligne en filigrane que ce dernier mouvement a été une ligne de ralliement de maints socialistes, notamment chez les instituteurs, qui ont pu ainsi dissimuler leurs contradictions politiques internes, en particulier par rapport à la question d’un travaillisme à la française et du rapport aux chrétiens.

Deux chapitres sont consacrés à la question du vote : l’un de V. Hollard nous entraîne à l’époque romaine et essaie de mettre en perspective cette conception du vote avec les conceptions d’aujourd’hui. Quant au dernier chapitre de J.E. Dubois il souligne sur la question de l’analyse des territoires électoraux et en montre la fécondité afin d’établir l’écart entre politique nationale et politique locale, ce qui permet de comprendre bien des résistances.

En définitive, un ouvrage riche de perspectives qui donnera lieu, dans le sillage de ce qu’a initié Gilles Vergnon, à de multiples recherches à venir. Un seul regret : on aurait aimé disposer en annexe de la bibliographie complète du chercheur à qui on rend hommage : une sorte de points d’étape par rapport à ses recherches futures !

Bruno Poucet
L’Ours 530, juillet-août 2023, p. 10

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