Le 5 juin dernier, une semaine avant leur 81e congrès qui s’est conclu à Nancy du 13 au 15, les militants socialistes ont confié à Olivier Faure, 56 ans, un quatrième mandat. C’est dans ce cadre qu’il a publié fin avril un livre tenu secret, ayant vocation à soutenir cette campagne interne tout en marquant une étape dans son parcours d’élu. (a/s de Olivier Faure, Je reviens te chercher, Robert Laffont, 2025, 312p., 21€)
Cet ouvrage, organisé en 29 courts chapitres qui s’enchaînent facilement, mêle l’intime et le politique et se structure en réalité en deux parties. Dans la première, courte et plus personnelle d’une cinquantaine de pages, Olivier Faure décrit sa famille, vietnamienne du côté de sa mère, et celle de son père, ce qu’il qualifie de « matrice ». Il y dévoile ainsi des racines aisées du côté maternel. Son père, lui, agent des impôts, vient d’une famille maurrassienne dont il s’est initialement détaché avant de revenir à l’extrême droite dans les dernières années de sa vie. Olivier Faure y fend l’armure, alors que nombre de commentateurs le qualifiaient d’« énigmatique »1. L’exercice semble réussi, si l’on en croit l’accueil critique du livre. Moins mise en avant, se perçoit aussi l’importance pour l’enfant qu’il était de la littérature dans son environnement familial, d’une expérience à la fois sensible et cérébrale du monde – une clé pour saisir l’homme derrière le responsable politique ?
De la NUPES au NFP
Dans la seconde partie, la plus dense, le Premier secrétaire du PS revient méthodiquement sur les grandes étapes récentes de la vie de son parti. Militant socialiste depuis l’âge de 16 ans, député de Seine-et-Marne depuis 2012, président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale en 2016, il a été élu premier secrétaire du PS pour la première fois en 2018. On regrette que ses passages auprès de Martine Aubry (1997-2000) puis au cabinet du premier secrétaire François Hollande (2000-2007) ne soient qu’effleurés. Il revient sur la vente du siège du PS, rue de Solférino, après l’échec à la présidentielle 2017, avant de présenter, de l’intérieur, les choix ayant mené à la création de la Nouvelle union populaire, écologique et sociale (NUPES) en 2022. Il analyse la rupture après les attentats du Hamas le 7 octobre 2023, puis les retrouvailles pour répondre à l’aspiration unitaire du « peuple de gauche » qui s’incarnera dans le Nouveau Front populaire (NFP) en juin 2024, notamment face au risque d’une majorité Rassemblement national à l’Assemblée nationale.
Olivier Faure ne cache rien de la tension politique de ces instants, mais s’attache aussi à décrire comment la pratique de la négociation se structure entre les forces de gauche, d’échéance en échéance. Concrètement, il fait apparaître certaines personnalités du Parti et des partenaires de gauche et des écologistes qui veillent, nuit après nuit, à accorder éthique de la responsabilité et éthique des convictions dans ces « conjonctures fluides »2 de quelques dizaines voire centaines d’heures où « des décennies se produisent », et où le PS débat avec ses partenaires de gauche, s’y affirme pour mieux se retrouver. Ensuite, il détaille les négociations tant avec Michel Barnier qu’avec François Bayrou – mais surtout ses ministres, dont Éric Lombard qui a droit à des propos élogieux, à l’instar de François Ruffin et du président de Place publique Raphaël Glucksmann. Jean-Luc Mélenchon et François Hollande ont aussi droit à leur portrait – sans fard.
La dimension internationale, où le tragique s’impose dans plusieurs régions du monde, croise le destin du rassemblement de la gauche : invasion totale de l’Ukraine depuis février 2022 ; attentats du Hamas du 7 octobre 2023, suivis de l’assaut militaire à Gaza, qu’il qualifie dorénavant de génocidaire et de la lutte contre le Hezbollah au Liban et l’Iran, sans compter l’élection de Trump et son entourage de techno-césaristes en novembre 2024.
Olivier Faure montre ici, par la description intime des événements et des acteurs, la trajectoire d’un parti politique ayant réussi à retrouver un rôle au cœur de la gauche et de l’actualité politique. Le tout détermine un propos au service d’une ligne stratégique tenue contre vents et marée : éviter à notre pays l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite grâce à la victoire de la gauche rassemblée avec les écologistes, « de François Ruffin à Raphaël Glucksmann ». Cette orientation stratégique lui a assuré une victoire tant au niveau de son texte d’orientation (en tête avec 42,21 %, face aux textes défendus par Nicolas Mayer-Rossignol 40,38 % et Boris Vallaud 17,41 %) que pour être reconduit comme premier des socialistes (51,15% des voix) face à Nicolas Mayer-Rossignol. Ce dernier était porteur d’une ligne d’affirmation du PS parmi les forces politiques à gauche, ainsi que d’une rupture définitive avec la France insoumise.
Sur certains sujets, le lecteur reste parfois sur sa faim. Notamment sur l’École, qu’il présente comme « mère des batailles » pour la réalisation de la promesse républicaine (pour cela, il faudra lire ou relire son précédent livre3). Ou sur la manière de combiner justice sociale et enjeux écologiques. Néanmoins, ce n’était pas le but de l’exercice, le PS lançant le chantier de son projet et plusieurs secrétaires nationaux publiant régulièrement sur ces enjeux dans des tribunes et des laboratoires d’idées.
Un monde de coopération
L’engagement du titre, chargé aussi d’émotion – revenir chercher tous ces Français déçus par la gauche et convaincus par les promesses de l’extrême droite à l’instar de son père –, se conclut sur le constat que « la démocratie recule sous la pression constante des empires défaits cherchant à se reconstituer ». Dès lors, Olivier Faure exhorte à « fixer les termes d’un monde de coopération, refusant la violence du marché, de l’argent, et de ceux qui dévorent la démocratie en nous renvoyant à une guerre de tous contre tous ». Alors qu’il convoque le spectre des années 1930, le livre se termine sur ce qui aurait pu être la réconciliation avec un père trop tôt disparu : le retour à la littérature à travers Hugo et Arendt. À Valmy et aux soldats de l’an II, aussi. Bref, à ce qui fonde son engagement à gauche et sa combativité. Difficile de ne pas y voir aussi la mise à l’écrit d’un propos cathartique pour affronter un deuil douloureux, que celui à qui on reproche de trop se dissimuler a décidé de rendre public.
Mais tout reste à faire. Dans un calendrier politique national et international imprévisible depuis 2022, où le pire paraît s’imposer, la position du PS reste fragile, et celle d’Olivier Faure moins renforcée qu’il l’espérait. Face au spectre d’une hystérisation de la scène politique, avec une France insoumise qui continue de phagocyter les débats à gauche et nombre d’esprits, « il faut tenir la tranchée » : il entend montrer qu’il en a la volonté. Rendez-vous en 2027.
Thibault Delamare
1 – Parmi d’autres : Laurent Telo, « L’énigmatique Olivier Faure, sauveur ou fossoyeur du Parti socialiste », Le Monde, 29 mai 2022.
2 – L’expression est empruntée à Michel Dobry dans son ouvrage de référence Sociologie des crises politiques, Presses de Sciences Po, 2009.
3 – Le capital républicain. Pour un droit universel à l’avenir, Les Editions de l’Aube, 2023, 64 p.