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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Philippe Marlière 1
1. Les usages aporétiques de la mémoire collective

Trois usages aporétiques de la notion de mémoire collective peuvent être répertoriés et écartés :
— métaphorique: il envisage la mémoire sous l'angle d'une représentation instantanée et linéaire alors qu'il s'agit d'un phénomène qui est, par excellence, éphémère, discontinu et immatériel;
— instrumentale: il porte en elle l'empreinte sélective et normative de l'historien, des bureaucraties d'Etat ou des organisations privées;
— «a-prioriste»: il présuppose que l'empreinte ou le poids du passé provoquent invariablement son évocation et son rappel. Les travaux de Pierre Nora consacrés aux «lieux de mémoires» s'inscrivent dans cette dernière catégorie. Trop souvent, le mot «mémoire» est utilisé alors qu'il aurait suffit de s'en tenir à des termes conceptuellement plus clairs tels que «histoire», «tradition», «doctrine» ou encore «praxis».

«Au départ, il faut qu'il y ait volonté de mémoire» dit Pierre Nora. Ce postulat n'est guère démontré au cours de la recherche. Les lieux qui ont été retenus sont avant tout ceux de quelques universitaires érudits. Les historiens qui ont participé au projet se sont peu posés — voire pas du tout — la question du rapport affectif des agents sociaux aux objets de mémoire qu'ils ont auto-désignés. Il est certes probable qu'un nombre important de ces «lieux sur le papier», soient, de fait, des «lieux chargés de mémoire» pour de nombreux Français. Cela revient à dire que ces lieux font partie d'un patrimoine national, et qu'ils constituent, à ce titre, des objets autour desquels les Français peuvent de tout temps s'unir (ou s'opposer) en pensée. En ce sens, ils permettent à la nation française de se retrouver autour d'un «plus petit dénominateur commun», mais rien de plus.
Un double problème découle de cela. Il apparait pour commencer improbable que la longue liste des lieux de mémoire que dresse Nora, produise du sens et du souvenir pour une masse indifférenciée d'individus. Une autre aporie, plus sérieuse, est constituée par le fait qu'il n'est jamais établi clairement quels sont les lieux de mémoire qui sont «habités», et ceux qui ne le sont pas. En d'autres termes, quels sont les lieux qui vont permettre à l'ensemble des Français de se fondre dans une «mémoire nationale»?: Nora n'apporte guère de réponse à cette question importante.

2.La mémoire collective dans une perspective sociologique

Ma recherche s'est inscrite résolument dans une perspective sociologique dans le sens où mon souci majeur a été de mettre à jour les rapports cachés entre la mémoire conçue comme trace du passé (dans le sens que Pierre Nora donne à ses «lieux de mémoire») et la mémoire perçue comme évocation du passé (c'est-à-dire comme souvenirs évoqués par la mémoire vive des individus). J'ai également tenté de rendre visible les réseaux et trajectoires multiples de la mémoire: comment celle-ci se forme, comment elle se consolide, évolue et décline à travers le temps et les générations de militants.

Par le biais d'une lecture critique des travaux de Maurice Halbwachs, complétés principalement par ceux de Pierre Bourdieu et de Reinhart Koselleck, j'ai tenté de résoudre, en théorie, l'aporie du passage de l'individuel vers le collectif, et de poser les bases d'une théorie pratique de la mémoire collective. J'ai, en d'autres termes, tenté de saisir une mémoire collective qui soit effectivement incarnée par les membres d'un groupe social. Voici, ci-dessous, le bref résumé de cette théorie pratique de la mémoire:

1/ la mémoire collective est portée par chaque mémoire individuelle des membres d'un groupe, qui constitue un point de vue sur la mémoire du groupe;
2/ le membre du groupe reconstruit le passé sous l'effet d'une double dynamique: entre le passéet le présent, par le travail des cadres sociaux de la mémoire (Maurice Halbwachs); mais aussi entre le passé et le futur, par la dialectique entre l'expérience (= passé réalisé) et la projection dans le futur (= pronostic de l'attente) (Reinhart Koselleck);
3/ le point de vue porté sur la mémoire collective dépend de la position de chaque membre au sein de la communauté affective du groupe (Halbwachs). Cette position est le résultat du rapport entre le passé incorporé de l'agent (= l'habitus) et la structuration objective du groupe (Pierre Bourdieu);
4/ la relation entre la mémoire historique du groupe et le passé incorporé du membre du groupe, est plus ou moins harmonieuse, selon que ce passé incorporé parvient à épouser avec plus ou moins d'intensité — «avec plus ou moins d'effort» — la doxa ou les croyances du groupe.
5/ le passé incorporé et le point de vue que chaque membre du groupe porte sur l'histoire objectivée du groupe ne peuvent être saisis que par le biais de la recherche empirique, en isolant la position de chaque membre au sein du groupe.

3. La mémoire historique du Parti socialiste

J'ai ensuite isolé les cadres majeurs ou idéaux-types de la mémoire historique du socialisme français, en prenant en compte des sources de différentes provenance.

A. Les sources écrites:
— Les déclarations de principe du parti; les plate-forme programmatiques;
— les compte-rendus de congrès ;
— les courants socialistes et textes majeurs de leaders (l'apport du guesdisme, du marxisme, du possibilisme, du socialisme municipal, de la synthèse jaurésienne et des révisions doctrinales; plus récemment, de l'autogestion, de la « normalisation » du PS à partir de 1983) ;
— les théoriciens socialistes et des textes «exemplaires» (Jean Jaurès: le «Discours à la jeunesse», Jean Jaurès et Jules Guesde: les «Deux méthodes», Léon Blum: «Discours au Congrès de Tours») ;
— la presse nationale ou locale du parti ;
— Les trajectoires biographiques de figures essentielles du parti, à travers les écrits et témoignages du parti ;
— Le travail des historiens sur le mouvement socialiste français.

B. Les institutions de la mémoire socialiste:
— Les lieux institutionalisés de la préservation et de la propagation de l'histoire et de la mémoire du parti (centres de recherche sur le socialisme français: la Fondation Jean Jaurès et l'OURS — cette dernière est d'ailleurs l'une des rares structures proches du PS à s'être atelée à la rédaction d'une Histoire du Parti socialiste qui est parue dans Les Cahiers de l'OURS à partir de 1972 — la commission chargée des questions d'histoire dans le parti: l'Institut Socialiste d'Etudes et de Recherches (ISER) — 1973-années 80, la Commission Histoire du Parti socialiste dirigée par Louis Mexandeau, au milieu des années 80, la Commission Mémoire et Histoire depuis 1996).

C. Les paysages et micro-climats socialistes:
— Les tropismes militants propres aux traditions politiques régionales.
— Le repérage des bastions et «terres de mission» socialistes en France.
— Les atavismes politiques propre à la tradition socialiste en France (laïcs et chrétiens, la «pastorale révolutionnaire», etc.).

4. Mémoire vive des militants socialistes et entretiens

Mon travail sur la mémoire vive des militants repose sur des entretiens auprès de 51 militants répartis en 6 générations militantes au sein des sections socialistes de Carmaux et de Lille. Ces générations ont été construites en prenant en compte les effets corrélés de période (qui sont déclenchés par des événements sociaux-politiques majeurs auxquels les individus réagissent), d'appartenance subjective à une génération, ainsi que la date d'adhésion au Parti socialiste.

Six générations socialistes

Une étude de l'histoire socialiste en France depuis les années 30 permet de relever six grandes périodes-repères, façonnées par six événements fondateurs: 1/ le Front populaire, 2/ la Deuxième guerre mondiale et la Guerre froide, 3/ l'opposition au régime gaulliste et à la guerre d'Algérie, 4/ la conquête du pouvoir et le programme commun, 5/ l'excercice du pouvoir sous la Ve République, 6/ la « normalisation » du parti comme parti de gouvernement « légitime ».

1/ La génération du Front populaire (pour les militants nés au plus tard au début des années 20 et entrés au parti dans les années 30) ;
2/ La génération de la Deuxième guerre mondiale et de la SFIO comme parti de gouvernement sous la IVe République (pour les militants nés dans les années 30, au plus tôt, et dans les années 40 au plus tard, et entrés au parti entre 1945 et 1958) ;
3/ La génération du déclin de la SFIO (pour les militants nés au plus tôt dans les années 40, et au plus tard dans les années 50, et entrés au parti entre 1959 et 1970) ;
4/ La génération du nouveau Parti socialiste et de la conquête du pouvoir (pour les militants nés au plus tôt au milieu des années 50, et au plus tard au début des années 60, et entrés au parti entre 1971 et 1980) ;
5/ La génération de l'exercice du pouvoir sous la Ve République sous le premier septennat de François Mitterrand (pour les militants nés au plus tôt dans les années 60, et au plus tard au début des années 70, et entrés au parti entre 1981 et 1988) ;
6/ La génération du Parti socialiste comme parti de gouvernement de centre-gauche «normalisé» (pour les militants nés au plus tôt au début des années 70, et au plus tard à la fin des années 70, et entrés au parti entre 1989 et aujourd'hui).

5. Hypothèses de recherche

Armé d'une théorie pratique de la mémoire, et ayant objectivé les cadres majeurs de la mémoire historique du PS, j'ai pu articuler deux hypothèses de recherche, et les mettre ensuite à l'épreuve de la vérification empirique:

1/ La mémoire collective repose sur l'oralité des militants. Le point de vue de chaque militant se trouve à l'intersection de l'histoire vécue et de l'histoire officielle ou apprise (= mémoire historique). J'ai émis l'hypothèse selon laquelle l'histoire vécue joue un rôle moteur dans l'émergence de la mémoire collective. Le poids de la mémoire historique du PS ne peut ainsi être présupposé a priori, mais doit être vérifié empiriquement à travers les entretiens.

2/ Au sein de la même section, la génération militante constitue une deuxième variable discriminante du rapport au passé pour chaque militant. L'exposition des militants à un premier «événement politique fort» suivant de près la date d'adhésion, détermine un «micro-climat générationnel» au sein de la section. Partant, il est possible de supposer que chaque génération militante porte un point de vue distinct sur la mémoire du groupe.

Parties 6 et 7 : cliquer ici
 

 
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