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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Krakovitch Brana Dusseau Lacoste 402
Les trois vies de Robert Lacoste

par Raymond KRAKOVITCH

à propos de Pierre Brana et Joëlle Dusseau, Robert Lacoste (1898-1989). De la Dordogne à l’Algérie, un socialiste devant l’histoire, L’Harmattan 2010 295 p 25 €

Article paru dans L’OURS n°402, p. 7

Comment la longue carrière d’un socialiste ne reste dans les mémoires que par la guerre d’Algérie, c’est ce qu’ont cherché à percer Pierre Brana et Joëlle Dusseau dans cette dense biographie, qui traite également avec précision des autres aspects d’une vie bien remplie.

Robert Lacoste connaît en Dordogne une enfance difficile, en milieu rural, sous la houlette d’un père violent. Il lutte avec acharnement pour sortir du rang par les études, de médecine pendant deux ans, puis de droit. Ces études ont été suspendues par la mobilisation en 1917, à 19 ans, et il n’est rendu à la vie civile qu’en 1919 après avoir été au front pendant six mois, au cours desquels décède sa mère.

Syndicaliste puis résistant
Rédacteur à la Caisse des Dépôts et Consignations, Robert Lacoste s’engage immédiatement dans le combat syndical, à la fédération des fonctionnaires, devient permanent dès 1928 et grimpe rapidement dans la hiérarchie, dirigeant un mensuel,
Partisan du planisme, proche un moment des néo-socialistes, Lacoste ne s’inscrit pas dans un parti et ne prendra de carte à la SFIO qu’en 1945. Il s’est spécialisé dans les questions économiques, les problèmes de production industrielle et intègre, dès le début de la guerre de 1939, le cabinet de Raoul Dautry, ministre de l’Armement, avant d’être nommé chef de cabinet de son adjoint, François Blancho.

Au lendemain de l’armistice il rencontre Laval, qu’il avait connu à l’occasion de ses activités syndicales, mais s’oriente très vite vers la Résistance. Lacoste est successivement ou parallèlement membre du comité directeur de Libération-Nord, membre du comité directeur des MUR (Mouvements Unis de Résistance), membre du comité général des experts, où il soutient Jean Moulin et travaille avec Michel Debré, adjoint au délégué général de la France Libre puis délégué provisoire à la production industrielle.

Économiste productiviste
Son efficacité dans ces fonctions lui vaut d’être nommé, dès la Libération, ministre de la Production par de Gaulle. Il est chargé de diverses missions de nationalisations : Houillères, Renault, transports aériens… mais ne manifeste pas d’enthousiasme excessif dans cette voie, marquant une préférence pour des sociétés d’économie mixte permettant de continuer à bénéficier des compétences manifestées dans le privé. Ces idées ne sont pas, pas encore, dans le vent ; il doit céder son portefeuille à un communiste, Marcel Paul, en novembre 1945, mais le retrouve en décembre 1946 et l’occupe jusqu’en février 1950, affrontant les grèves de 1947 et l’hostilité des communistes, martelant que la production du charbon est le problème principal, oubliant ses anciennes relations syndicales pour un pragmatisme parfois méprisant envers ses interlocuteurs.

Robert Lacoste est hostile à la CED et s’oppose alors à Guy Mollet, qu’il avait connu dans les années trente, mais cela est oublié lorsque le secrétaire général de la SFIO constitue son gouvernement, en janvier 1956, après la courte victoire électorale du Front républicain. Les compétences démontrées en matière économique l’imposent pour un ministère des Finances et des affaires économiques surdimensionné, dès lors que Mendès France refuse le poste. Il a sous sa coupe les Transports, l’Industrie, le Commerce, l’Agriculture, les PTT, la Construction, mais il ne va rester qu’une semaine rue de Rivoli…

L’Algérie pour le pire
Après l’accueil plus que mouvementé réservé à Alger à Guy Mollet, la démission du général Catroux, ministre de l’Algérie, le 6 février 1956, conduit à un tournant décisif de la carrière de Robert Lacoste, qui accepte de le remplacer. On ne peut dire qu’il quitte la proie pour l’ombre car il va au contraire être en pleine lumière dans ses nouvelles fonctions, auxquelles il ne paraît guère préparé à l’inverse de celles qu’il abandonne. Mais certains se souviennent qu’il faisait l’apologie de Bugeaud. En tout cas, nommé ministre Résidant à Alger il se déploie parfaitement à ce poste, navigant constamment entre Alger et Paris, décidant seul de la politique qu’il entend mener, Mollet, soulagé de l’avoir trouvé, le soutenant sans barguigner.

Très vite il se positionne en héraut de l’Algérie française, hostile à toute négociation avec le FLN (Mollet va en entreprendre timidement sans en informer le ministre compétent), laissant de plus en plus le champ libre aux militaires pour conduire la répression face aux attentats qui se multiplient.

Sa conviction est absolue. Il déclare par exemple que « la France […] par sa présence africaine […] empêche une 3e guerre mondiale ». L’efficacité de la lutte contre les porteurs de bombes justifie l’emploi de la torture, qu’il couvre indubitablement en connaissance de cause, selon les auteurs de l’ouvrage. Il tente parallèlement d’instituer des réformes et parle de collège unique, mais la balance penche toujours du côté des Européens d’Algérie, auxquels il ne s’oppose pas vraiment. Son aveuglement, qu’il fait partager un temps à la majorité de la SFIO, est bien décrit. Le ministre sanctionne modérément le général Faure, qui projetait de le faire enlever (car, pour les ultras, envisager, ne fut-ce qu’en paroles, le collège unique, est intolérable) mais sévèrement le général de Bollardière, qui dénonçait les exactions.

Cependant, début mai 1958, le refus de la SFIO de participer au gouvernement lui impose de quitter Alger et signe la fin de sa carrière nationale.

Lorsque survient le 13 Mai, Lacoste est retourné en France, remâchant une déception qui ne le quittera plus. Il participe en 1960 au colloque de Vincennes dans lequel il déclare que « la mort de l’Algérie française, ce serait la mort de la République », alors que de Gaulle a déjà pris position en faveur de l’autodétermination.

La fin de sa vie se limite à son département, la Dordogne, dont il préside le Conseil général de 1949 à 1979, toujours inscrit au Parti socialiste mais ne participant plus beaucoup à ses activités, bien que demeurant parlementaire, député puis sénateur, jusqu’en 1980.
L’ouvrage qui lui est consacré est bien documenté en dépit de quelques erreurs factuelles, surtout dans sa seconde moitié. La conclusion insiste sur un orgueil et un entêtement hors du commun. Persuadé d’avoir toujours raison il n’a écouté personne, méprisant les intellectuels, tentant de jumeler une sensibilité de gauche remontant à son passé syndical avec un nationalisme intransigeant. Le courage démontré en de multiples circonstances ne rattrape pas les errements d’une action politique en Algérie auxquels son parcours est aujourd’hui résumé.

Raymond Krakovitch
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