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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Dupont/Meyran Identité nationale L'OURS 392
Aux racines de l’identité nationale
par Claude Dupont

A propos du livre de Régis Meyran, Le mythe de l’identité nationale, Berg international 2009 191 p 19 €

Voici un ouvrage à la fois fort documenté, marqué d’une solide érudition et engagé dans la mesure où l’auteur annonce que son livre devrait permettre d’en finir avec des notions qui, pour lui, relèvent davantage du récit mythique que d’une analyse scientifique objective.

S’il est vrai que le nazisme et l’Holocauste ont radicalement discrédité toute idéologie fondée sur les différences raciales et placé à l’index le terme même de race, on constate que la mise en avant de l’« identité nationale » ressuscite des polémiques et des débats qui semblent parfois nous ramener à l’entre-deux-guerres.

Race, raciologie, racisme
En fait, c’est au XIXe siècle que se développe la science naturelle de l’homme avec, notamment, la fondation en 1876 de l’École d’anthropologie. Au départ, on ne parle que de « mesure » – mesures respiratoires, cardiovasculaires… – puis on en vient à élaborer les notions d’« âge mental », de « quotient intellectuel ». Naturellement, la raciologie conduit au racisme, avec la reconnaissance de hiérarchie entre les races qui justifie les discours sur l’inégalité des « aptitudes à la civilisation » offrant des justifications théoriques à l’essor du colonialisme. C’est bien sûr dans cette lignée que s’inscrit Arthur de Gobineau avec Essai sur l’inégalité des races humaines (1853), qui deviendra le bréviaire de tous les racistes européens.

Évidemment, la montée du nazisme favorise la prolifération des théories racistes, en Allemagne, mais aussi en France. L’École anthropologique sera le laboratoire du racisme scientifique français et fournira des cadres aux Commissariat général aux questions juives de Darquier de Pellepoix.

Ce qui est plus intéressant, c’est la position des scientifiques de gauche, notamment dans les années Trente. Aucun doute : les ethnologues de gauche ont fait front et ont dénoncé vigoureusement le racisme. N’oublions pas que c’est au Musée de l’homme que s’est créé le premier réseau de Résistance et qu’en 1937, la revue Races et Racisme regroupa des républicains qui, autour de Paul Rivet, Célestin Bouglé, Michel Leiris, Lucien Lévy-Bruhl… démontent les élucubrations nazies sur les races aryenne et juive.

Cela dit, ils restaient prudents sur la notion même de race et sur sa détermination. Si l’usage qui est fait du concept leur parait inacceptable, ils acceptent la notion de race mais hésitent sur sa définition. Ils nuancent fortement l’acception « naturaliste » du terme, en minimisant l’amplitude des variations d’ordre physique décelables entre les différentes races, et en privilégiant l’acception « historique ». Le philosophe chrétien Jacques Maritain reconnait que « l’idée de race ne répond à aucune réalité anatomo-physiologique, à aucune unité de sang, mais seulement à des “mentalités” typiques dues aux conditions historiques et sociales. » Déplacement donc du naturel au culturel, de la race à l’ethnie, mais le débat sur la race n’est pas dépassé. Le président de l’Académie des sciences, Emmanuel Leclainche le reconnaît : « La race est une conception abstraite, c’est la reconstitution d’une chose réelle, mais directement insaisissable. »

Pourtant, le discours antiraciste n’est pas dénué de ce qui nous apparaît maintenant comme des ambiguïtés Ainsi, Henri Laugier, une des figures éminentes du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, dirige l’école biotypologique de Paris d’où émanent des études où l’on prétend, par exemple, pouvoir différencier, au point de vue « anthropométrique ou psychométrique » les bons et mauvais écoliers, les bons et les mauvais ouvriers et le fervent militant antiraciste Georges Schreiber, au nom d’un eugénisme bien compris, n’est pas fermement hostile à toute mesure de stérilisation concernant les faibles d’esprit et les criminels. Il faut bien concevoir que, dans la première moitié du XXe siècle, la race reste implicitement au centre de l’identité nationale et que, pour beaucoup de républicains, devant la marée montante des totalitarismes jouant sur un hyper nationalisme, si les îlots de démocratie veulent survivre, combattre au moins à armes égales, il faut pouvoir améliorer les éléments constitutifs de la Nation, à commencer par la qualité de la race. La notion de l’identité nationale vient donc s’inscrire fortement dans le milieu des sciences de l’homme, qui en sont pratiquement à leurs débuts, d’autant plus que l’ébranlement provoqué par les crises économiques, la courbe de dénatalité qui marque la démographie française de l’entre-deux-guerres, la montée des périls au-delà des frontières, inquiète une opinion publique qui prête l’oreille aux dénonciations d’une immigration corrosive et d’un métissage que les anthropologues de droite présentent comme la promesse de la disparition nationale.

Tradition et identité nationale
L’auteur distingue nettement les deux volets de l’identité nationale : race et traditions. Il consacre une étude très précise au développement du folklore. La quête des survivances, des traces du passé, a permis à certains de fabriquer un nouveau pan de l’identité nationale. En France, le folklore a frayé son chemin plus difficilement que chez nos voisins puisque c’est sur la volonté d’uniformiser la Nation, de permettre aux citoyens de parler d’une seule langue et de vibrer d’un seul cœur que les révolutionnaires fondaient leur œuvre. L’abbé Grégoire regrettait que les gouvernants ignorent « combien l’anéantissement des patois (y compris, dans son esprit, les langues régionales) importe à l’expansion des lumières, à la connaissance épurée de la religion, à l’exécution facile des lois, au bonheur national et à la tranquillité publique ». Pourtant, le développement du folklore, l’affirmation d’un sentiment régionaliste, la volonté de retrouver les traditions ancestrales relèvent de plusieurs causes : d’abord, d’une réaction contre le centralisme qui, vers la fin du XIXe siècle, achève d’envahir tout l’espace scientifique. Avec la montée de la sociologie, animée par Durkheim, c’est l’Université, ce sont les élites parisiennes qui s’emparent de l’étude des comportements populaires. D’où la réaction des « notables », des « érudits » locaux, qui prétendent être les mieux placés pour mener, au plus près du terrain, ce genre d’enquête. D’autre part, la rapidité des mutations sociologiques, le désir de surmonter la défaite de 1870, conduisent à voir dans le ressourcement local, dans l’évocation nostalgique d’un temps où l’homme vivait en phase avec les rythmes de la Nature, la meilleure façon de retrouver les fondements de l’identité.
Car pour des hommes comme Barrès ou Jean Marin, la ferveur régionaliste ne s’oppose pas à la passion nationale, mais en est le complément naturel. Selon le géographe Pierre Foncin, le « pays » conçu comme le bassin géographique de la vie quotidienne est « la véritable molécule géographique de notre vieille France » et l’identité régionale n’est rien d’autre que l’identité nationale en réduction. Aussi ne faut-il pas s’étonner que les alternances politiques n’aient pas contrarié l’essor du folklorisme. Le Front populaire a lui aussi investi à ce niveau en créant, par exemple, le Musée national des arts et des traditions populaires et en organisant, en août 1937, le premier congrès international du folklore, avec une démarche entendant concilier deux éléments en apparence contradictoires. D’une part, montrer que le régionalisme conduit au patriotisme pour justifier l’internationalisme, d’autre part, ne pas se contenter de maintenir la tradition, mais savoir aussi fabriquer la modernité. Entreprise difficile, pleine d’écueils, car c’est toujours les vertus, l’image de la civilisation rurale que l’on met en avant. Ni le monde ouvrier ni les peuples colonisés n’ont vraiment leur place dans ces grandes évocations, et dans l’hymne aux cultures régionales, on entend poindre et parfois enfler les résonances des discours sur la glorification de la race, et la méfiance pour les éléments qui viendraient à en altérer la pureté.

Bien sûr, il est maintenant aisé de souligner les conséquences auxquelles ont conduit les complaisances à l’égard des chantres du racisme et même aux tenants intégristes de l’identité nationale. Pour autant, cette notion d’identité nationale et même celle de race, comment s’en débarrasser ? Car Régis Meyran souligne lui-même qu’en affirmant dans sa première déclaration qu’« il n’y a qu’une seule race humaine » et que « l’instinct naturel de coopération prévaut sur les tendances égocentriques », l’UNESCO en reste à une pétition de principe guère plus convaincante que certaines thèses qu’elle prétend combattre. Quand Claude Lévi-Strauss conclut que « la collaboration redevient possible entre l’étude des races et celle des cultures », il fait grincer les dents de ceux qui l’accusent de rejoindre les thèses différencialistes de la Nouvelle droite. Mais, par exemple, dans une grande partie du monde, la victoire d’Obama a été moins saluée comme le signe d’un dépassement de la notion de race que comme l’annonce de la formidable promotion d’un Noir. Au fond, chez l’humaniste le plus fervent on trouvera généralement la tension entre deux pôles : celui de la quête d’un enracinement identitaire et celui de l’affirmation de valeurs universelles. Puisse ce livre nous rappeler que la conciliation est possible.
Claude Dupont

Article paru dans L’OURS n°392, novembre 2009 page 3
 

 
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