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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Peillon/Jousse376
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QUESTION DE DOCTRINE, QUESTION DE METHODE
par Vincent Peillon

Voici un très bel essai d’Emmanuel Jousse consacré à un des moments clés de la constitution du socialisme français.
Ce faisant c’est aussi un exemple superbe du fait que la meilleure histoire s’abreuve toujours aux questions du présent et, plus encore, s’écrit du point de vue de l’avenir.


Emmanuel Jousse
Réviser le marxisme ? D’Édouard Bernstein à Albert Thomas, 1896-1914
Préface de Marc Lazar
L’Harmattan coll. Des poings et des roses 2008 260 p 20 €

Pour tous ceux qui s’interrogent, et on peut se réjouir qu’ils semblent de plus en plus nombreux, sur les chemins à emprunter pour donner au socialisme français un nouveau départ, ce livre, incontestablement érudit, offre une voie royale. Car la plupart des difficultés qui sont les nôtres, lorsque nous sommes aux responsabilités comme lorsque nous sommes dans l’opposition, sont d’abord liées à l’incapacité où nous sommes, au nom de la sacro sainte unité, à poser les questions de doctrine sérieusement et à porter une attention suffisante aux réalités du temps présent.

De l’importance du débat sur le fond
Le grand écart entre les discours et les actes, la coupure aussi avec notre propre tradition, relèvent d’une pathologie de notre mémoire collective qui s’interdit de revisiter comme il conviendrait le moment fondateur de la SFIO, celui de 1905. On révère ce commencement comme une idole sans l’interroger comme il conviendrait sur toutes les difficultés qu’il portait en germe et tous les renoncements qui l’accompagnaient.

Avant le guesdisme, version dogmatique d’un marxisme réduit à quelques thèses desséchées, il existait un socialisme français issu des combats de 1830, de 1848, de l’opposition intransigeante au second empire, qui, de Louis Blanc à Benoît Malon, de Pierre Leroux à Jean Jaurès, de Constantin Pecqueur à Eugène Fournière portait haut une autre fécondité démocratique, celle de la République sociale. C’est donc bien ce moment 1905 qui doit aujourd’hui être interrogé, si toutefois l’on veut sortir de cette compulsion de répétition des refondations ratées si bien décrite dans leur maître ouvrage par Alain Bergounioux et Gérard Grunberg. Et c’est ce que nous propose, avec précision et érudition, Emmanuel Jousse dans son livre. Il le fait à partir d’une question précise, celle de la querelle du révisionnisme telle qu’elle s’est produite, en Allemagne d’abord, en France ensuite, de 1896 à 1914.

Kautsky contre Bernstein : au nom de la doctrine ?
Cet ouvrage qui interroge les effets de la querelle du révisionnisme dans le champ du socialisme français se divise en trois parties, toutes utiles et éclairantes. La première vise à restituer le débat tel qu’il s’est produit en Allemagne autour des thèses révisionnistes de Bernstein, et leur condamnation par l’orthodoxie du parti. Il est intéressant, dès ce départ, de mesurer à quel point les questions de doctrine se trouvent, dans le champ politique, polluées par des considérations extrinsèques qui en dénaturent la signification et les font rentrer dans des dispositifs et des polémiques où elles ne figurent plus que sous des formes caricaturées et travesties. C’est comme s’il y avait deux logiques étrangères l’une à l’autre, celle des idées et celle de l’action, et comme si par nature la seconde, toute à ses objectifs, ne savait qu’instrumentaliser la première et lui faire violence. En l’occurrence, d’emblée le révisionnisme théorique de Bernstein se trouve soumis, du point de vue de la direction du parti social-démocrate, à un certain nombre de « déformations » qu’Emmanuel Jousse retrace avec précision et précaution à la fois. Suivre ce débat sur le terrain allemand est éclairant, car il restitue la controverse allemande du révisionnisme dans des dimensions qui ne sont pas sans faire écho aux débats qui avaient lieu alors dans le socialisme français, aux controverses entre Jaurès et Guesde, controverses et débats bientôt interdits et refoulés. Ce qui est reproché à Bernstein c’est non seulement son réformisme, son refus de la violence révolutionnaire, sa lecture différente de l’évolution du capitalisme, sa reconnaissance de la filiation entre libéralisme et socialisme, c’est de vouloir, contre Marx, un retour à Kant, non seulement en ce sens qu’il refuserait le dogmatisme d’une théorie si abstraite et verbale qu’elle en viendrait à négliger le réel et à s’enfermer dans une sphère de purs discours, mais plus encore en ce qu’il proposerait un socialisme à la fois idéaliste et moral.

Jaurès contre Bernstein : au nom de l’unité ?
Dans une deuxième partie, Emmanuel Jousse, qui nous a efficacement retracé les débats au sein du socialisme allemand, en vient à analyser la réception du révisionnisme en France. A priori, on pourrait croire que Jaurès, à suivre la controverse avec Guesde, accueillerait positivement ce socialisme proposant, comme lui, non pas un refus du marxisme mais un marxisme élargi. C’est pourtant l’inverse qui va se produire. Le paradoxe de cette traduction peut être emblématisé par la célèbre conférence prononcée par Jaurès en 1900 où celui-ci prend le parti de Kautsky contre celui de Bernstein. Or, comme le montre notre auteur, cette prise de position est d’autant plus paradoxale que dans le corps de son argumentation Jaurès se trouve à plusieurs reprises en accord avec le révisionnisme : ce qui s’explique encore par des considérations extrinsèques liées à la participation des socialistes, en particulier Alexandre Millerand, au gouvernement. Une nouvelle fois, les impératifs tactiques prévalent ici sur la probité intellectuelle, et c’est en définitive l’assimilation du révisionnisme au millerandisme, condamné par le congrès d’Amsterdam au nom de la Révolution, qui va justifier que dans le même moment où il refoulait sa tradition française le socialisme de la SFIO naissante s’interdisait tout débat sérieux des thèses de Bernstein. Un siècle plus tard, nous pouvons mesurer, à relire ces textes, à considérer notre tâche, l’incroyable gâchis qui fut celui de ce temps. Ici encore, l’unité de la SFIO a un coût non négligeable et la responsabilité de Jaurès ne peut être considérée comme négligeable dans cette affaire.

Du révisionnisme au réformisme
La troisième partie de l’ouvrage d’Emmanuel Jousse est consacrée à montrer l’influence du révisionnisme chez les intellectuels socialistes, socialistes indépendants, minoritaires, cherchant à définir un socialisme réformiste et progressiste, et en particulier à restituer la figure trop méconnue d’Albert Thomas, que la tourmente d’Octobre effacera de notre mémoire commune. À défaut d’être assez approfondie, cette partie trace de nombreuses pistes intéressantes pour des recherches à venir et aiguise notre appétit de savoir.
Ce livre d’un très jeune chercheur a de nombreux mérites, à la fois de méthode, de rigueur, de clarté. Mais son mérite principal est de conduire son enquête historique au point vif des interrogations brûlantes qui sont aujourd’hui les nôtres. Par cet essai, Emmanuel Jousse contribue magnifiquement à la tâche la plus noble de l’historien qui, tout en respectant les règles de la méthode scientifique, renouvelle d’abord le débat d’idées dans le présent et contribue à tracer le chemin vers demain. J’en recommande vivement et chaleureusement la lecture.
Vincent Peillon
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