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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Schor/Dreyfus353
L’antisémitisme des années 1930, par MICHEL DREYFUS

à propos de Ralph Schor, L’antisémitisme en France dans l’entre-deux guerres. Prélude à Vichy, Bruxelles Éditions Complexe, nouvelle édition 2005 380 p 16,60 €

C’est une excellente initiative qu’ont prise les Editions Complexe de rééditer cet ouvrage, paru pour la première fois en 1992. Cette enquête historique rigoureuse, appuyée sur des sources abondantes et une bibliographie qui ne l’est pas moins, s’avère en effet d’une grande actualité.



Comme le dit très bien Ralph Schor en ouverture de son propos, l’histoire de la communauté juive en France s’est caractérisée par une longue série d’épreuves, entrecoupées de quelques périodes plus clémentes. Vues sous cet angle, les deux décennies de l’entre-deux guerres sont fort différentes. Sans idéaliser en quoi que ce soit les années 1920, la France de la Victoire, à peine remise de la profonde division qu’a représenté pour elle l’affaire Dreyfus, cherche surtout à faire œuvre de réconciliation nationale : si des manifestations d’antisémitisme existent durant cette décennie, si l’on peut trouver des traces d’un « antisémitisme de bonne compagnie », tout cela reste malgré tout assez secondaire. Et ceci d’autant plus que la communauté juive existant alors en France, essentiellement composée d’israélites de vieille souche généralement bien intégrés, est fort réduite : 150 000 personnes en 1919, 200 000 en 1930. Ce nombre augmente un peu jusqu’en 1939 date à laquelle 300 000 juifs sont alors recensés dans le pays ; ils ne constituent toutefois que 0,7 % du total de la population.

La poussée antisémite des années 30
Dans ces conditions, comment expliquer la très forte poussée d’antisémitisme survenue alors depuis quelques années ? À cela plusieurs raisons. Tout d’abord, la crise économique mondiale et le chômage qui en résulte effraient l’opinion qui cherche des boucs émissaires à cette situation nouvelle. Sur ce plan, la situation des juifs tend à rejoindre celle des émigrés, en particulier des Italiens et des Polonais. Accueillis à bras ouverts au lendemain de la Victoire – on a un grand besoin de bras pour reconstruire le pays saigné par la Grande Guerre – ils sont jugés indésirables et cause de tous les maux à partir de 1931 ; aussi, à l’heure où un nombre non négligeable de ces émigrés sont expulsés pour le moindre prétexte, les juifs se retrouvent en situation d’accusés. Seconde raison, la montée des régimes autoritaires et totalitaires, qui caractérise alors l’histoire européenne, entraîne l’arrivée d’une vague de juifs d’environ 150 000 personnes d’Europe orientale, puis d’Allemagne. Ils sont accueillis et pris en charge pour les plus pauvres, mais non sans condescendance et paternalisme, non sans un relatif dédain par la communauté israélite française bien intégrée. À l’exception du grand nombre d’intellectuels qui fuient l’Allemagne nazie à partir de 1933, la plupart de ces réfugiés appartiennent en effet à des couches sociales modestes ; par leur façon d’être et de vivre, ils ne passent pas inaperçus alors que, depuis des décennies, les israélites de vieille souche font au contraire tout pour se fondre dans la société française et y être le plus transparents possibles.
Joue un troisième élément et de taille : dans une France fortement marquée par le christianisme, la montée de l’extrême droite rend à nouveau audible le discours de certains vétérans de l’antisémitisme qui ont fait leurs premiers pas durant l’affaire Dreyfus. Ils avaient disparu de la scène à la veille de la Grande Guerre mais les voilà qui réapparaissent. Dans le contexte politique souvent troublé des années 1930, ils trouvent un public d’autant plus large que surgit au même moment une nouvelle génération antisémite jeune et dynamique : au discours antisémite traditionnel, elle ajoute de nouveaux arguments en puisant largement dans la conjoncture fortement marquée par les pratiques hitlériennes. La brève expérience du Front populaire, évidemment combattue par la droite et l’extrême droite, conforte encore cet antisémitisme de masse.
On a oublié aujourd’hui la violence de cet antisémitisme qui s’affiche sans le moindre complexe dans la grande presse comme dans les institutions les plus représentatives. Ralph Schor en fournit, de façon irréfutable, de nombreux exemples. Citons le plus connu sans doute, l’intervention de Xavier Vallat à la tribune de la Chambre des députés, le 6 juin 1936 : il déplore le fait que « pour la première fois, ce vieux pays gallo romain sera gouverné par un juif » – il s’agit bien entendu de Léon Blum – alors que « pour gouverner cette nation paysanne qu’est la France, il vaut mieux quelqu’un dont les origines, si modestes soient-elles, se perdent dans les entrailles de notre sol qu’un talmudiste subtil ». Un tel discours ne peut être proféré que parce qu’il rencontre l’opinion d’un large public mais il tend également à la conforter dans cette idéologie de haine.

Vichy avant Vichy
À travers cet ouvrage, Ralph Schor rejoint ici donc tout un courant historiographique dont Pierre Laborie a sans doute été l’initiateur, montrant, à juste titre, comment a existé un « Vichy avant Vichy » ; le sous-titre du livre de Ralph Schor « Prélude à Vichy », le montre clairement. A cela on doit ajouter que cet antisémitisme n’épargne pas certains milieux politiques de gauche même s’il s’exprime sous des formes beaucoup plus atténuées. Ainsi, on en trouve des traces à la SFIO à la fin des années 1930 : si la dérive ultérieure d’un Ludovic Zoretti durant l’Occupation restera chose exceptionnelle, d’autres expressions, moins voyantes, existeront au sein du Parti socialiste, en particulier dans sa composante pacifiste autour de son secrétaire général, Paul Faure. La recherche mériterait également d’être menée dans les milieux anarchistes.
Sur un autre plan, que l’on songe au personnage ambigu de Rosenthal, joué par l’acteur Marcel Dalio, dans ce film culte du pacifisme qu’est La Grande illusion, tourné en 1937.
La recherche approfondie de Ralph Schor s’est également appuyée sur des dessins, des caricatures, etc., bien oubliés de nos jours. Ainsi, cet ouvrage nous rappelle qu’il a bel et bien existé un antisémitisme de masse dans notre pays. Ajoutons que cet antisémitisme n’a pas toujours épargné la gauche même si ses manifestations, son influence, etc. restent aujourd’hui mal connus : la forte influence de Proudhon, lui même antisémite, sur le mouvement syndical français y a contribué. Quoi qu’il en soit, Ralph Schor montre de façon irréfutable en quoi l’antisémitisme a empoisonné la société française avant Vichy et en quoi il a contribué à le préparer. Sur un autre plan, il nous rappelle aujourd’hui cette vérité essentielle qu’en ce domaine, l’ensemble des composantes de la gauche, quelle que soit sa diversité, ne peut faire qu’une chose : combattre sans la moindre complaisance, sans le moindre ménagement, toute manifestation d’antisémitisme ainsi que tous ceux qui le propagent. Sur ce terrain, aucun accommodement n’est possible. Pour ces raisons aussi historiques que citoyennes – les deux peuvent aller de pair ! – il faut absolument lire le travail indispensable de Ralph Schor.
Souhaitons enfin qu’il suscite de nouvelles recherches permettant de mesurer l’impact qu’a pu avoir l’antisémitisme dans le peuple de gauche même s’il ne fait aucun doute que ce n’est pas de ce côté de l’échiquier politique qu’il a puisé ses racines.
Michel Dreyfus
 

 
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