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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Zagari Europe 1967
Allocution de Mario Zagari
Sous-secrétaire d’État
aux Affaires étrangères de République italienne

Dix ans après la signature des traités de Rome, il me semble utile et opportun de nous arrêter à considérer, comme nous le faisons ici, le chemin parcouru dans tous ses aspects, positifs et parfois négatifs. ceci dans le but non pas tellement de nous réjouir de ce que nous avons été en mesure d’accomplir ou de nous reprocher ce que nous n’avons pu réaliser, mais plutôt de trouver dans l’histoire, déjà riche d’événements, de l’intégration économique européenne un sujet de réflexion et des sources d’enseignement pour la définition des lignes directrices de notre action future.
Le traité de Rome marquait l’aboutissement d’une évolution qui avait commencé dès la fin de la guerre, lorsque les premières voix s’étaient fait entendre pour réclamer une action commune de l’Europe qui relèverait celle-ci de ses ruines. L’idée de l’Europe unie avait ainsi fait son chemin dans l’opinion publique des différents pays, tandis que la première impulsion concrète devait venir de l’autre côté de l’Atlantique. En juin 1947, M. Marshall, secrétaire d’État américain, lançait un appel aux pays européens, les invitant à s’engager dans la voie d’une collaboration susceptible de faire disparaître, avec l’aide des États-Unis, les blessures laissées par la guerre.
Ainsi naquit l’OECE, première organisation européenne de coopération économique. Le but de son action, qui commence en 1948, était d’adapter le plus complètement possible les structures économiques de l’Europe à l’assistance américaine. Des études furent effectuées, des programmes furent élaborés, la libéralisation des échanges à l’intérieur de l’Europe fut entreprise et poursuivie avec succès, le système des paiements fut organisé, des études sur la productivité furent entreprises.
En même temps le premier pas était fait dans la voie conduisant de la simple collaboration économique à l’intégration d’un secteur économique tout entier, secteur qui, à l’époque, était encore considéré comme l’épine dorsale de l’industrie : celui du charbon et de l’acier.
Le plan Schuman prévoyait justement la création d’un pool européen du charbon et de l’acier, mais ses effets étaient destinés à se manifester surtout sur le plan politique. La France et l’Allemagne opposées dans des guerres fréquentes au cours des siècles, auraient partagé désormais leurs ressources en matières premières, et les dangers de nouveaux conflits auraient été ainsi écartés.
La Communauté européenne du charbon et de l’acier vit donc le jour dans une atmosphère d’espérance et les résultats de son action se révélèrent immédiatement positifs.
Ce succès amena les six Pays à tenter la même expérience dans d’autres domaines. Un plan visant à la création d’une Communauté européenne de défense avait été mis au point en même temps que le plan Schuman. On comptait ainsi unir les peuples européens au moyen de celle qui avait toujours été la plus délicate des composantes politiques d’un État.
Ce plan était ambitieux, mais peut-être intempestif. Son échec, en août 1954, montra que les méfiances et les craintes n’avaient pas été encore entièrement dissipées. L’Europe connut ainsi un temps d’arrêt et cette période fut marquée d’hésitations et d’incertitudes dont sortit la décision de confier à l’intégration économique l’avenir de l’unification européenne.
C’est au cours de la conférence de Messine de 1955 que fut décidée la création de la Communauté économique européenne et cette décision se concrétisa, il y a dix ans, par la signature des traités de Rome.
Telle est, en quelques mots, la genèse du Marché commun des six. Il s’agit à présent de se demander si l’intégration économique, telle qu’elle a été prévue dans le cadre de la CEE, représentait bien tout ce qui pouvait alors être fait. Il est difficile de répondre à cette question car si nous sommes aujourd’hui en mesure de formuler des jugements et des appréciations à la lumière des résultats obtenus, l’on se trouvait alors en présence de difficultés et d’inconnues, de nombreux intérêts qu’il fallait concilier, et la conjoncture internationale était encore marquée par la guerre froide qui poussait les Pays de l’Europe occidentale à s’unir à tout prix pour faire face au péril commun.
C’est, de toute façon, un fait que le Marché commun, dès le début, s’est ressenti de l’influence de conceptions en matière politique, économique et sociale qui ne pouvaient être partagées déjà alors, et le pourraient d’autant moins aujourd’hui. Les aspects sociaux, ceux qui demandaient avec le plus d’urgence à être affrontés dans un esprit démocratique et véritablement soucieux de l’intérêt des classes laborieuses, furent négligés au bénéfice des aspects plus directement liés aux intérêts des entrepreneurs. Ces derniers ont ainsi été les principaux bénéficiaires de l’expansion économique due à la création du Marché commun.
Sans perdre de vue ces limites, le Marché commun, naviguant dans des eaux tantôt calmes et tantôt agitées, a effectué la première partie de son périple. La période transitoire touche à sa fin. L’union douanière sera réalisée l’an prochain et le cap difficile de la politique agricole commune a été doublé. À présent, il est hors de doute que l’on ne peut en rester là. La dynamique de l’intégration devra, bien qu’orientée sur de nouvelles lignes directrices et à l’aide d’instruments plus perfectionnés, être maintenue même après la fin de la période transitoire. On peut dire que jusqu’ici, c’est la partie statique du traité de Rome qui a été réalisée. Il s’agit à présent de viser avec fermeté à la mise en œuvre de la partie la plus vivante et la plus agissante du processus d’intégration.
Mais lorsque nous nous apprêtons à tracer les grandes lignes de notre action future, nous nous rendons compte aussitôt que notre action devra s’insérer dans un contexte sensiblement différent de la situation que nous connaissions il y a dix ans.
Une période de dix ans, en politique et en économie, peut déjà être considérée comme suffisamment longue ; mais, en l’occurrence, le phénomène nouveau qu’a été l’intégration économique de l’Europe a amené, depuis 1957, des changements particulièrement significatifs.
Tout d’abord, le climat international s’est entièrement transformé. La période de la guerre froide peut être considérée aujourd’hui comme révolue et l’union de l’Europe a donc perdu son caractère d’instrument de défense contre un ennemi commun. Ce qui, au contraire, doit, constituer un élément catalytique de l’union des Pays européens c’est la nécessité de créer une entité politique et- économique en mesure de tenir son rôle sur la scène mondiale : une scène qui exige désormais des dimensions géographiques et économiques supérieures à celles des différents États européens.
Le problème des dimensions de l’Europe est donc actuellement le plus important de ceux qui se posent et que nous devons nous efforcer de résoudre. Et par dimensions, il faut entendre, non seulement la superficie géographique de l’Europe unie, mais aussi la solidité des structures internes de la Communauté et le fait qu’elles correspondent aux nécessités de notre époque.
Du point de vue géographique, l’Europe pourra acquérir sa juste dimension – une dimension vraiment continentale – avec l’entrée de la Grande-Bretagne. Il semble qu’aujourd’hui cela soit finalement réalisable et que les difficultés existant à ce sujet se soient considérablement réduites depuis les précédentes négociations de 1962. Le gouvernement britannique a désormais l’intention d’accomplir ce pas qui doit être considéré comme fondamental tant pour la Grande-Bretagne que pour l’Europe. Pour nous autres socialistes, en particulier, le problème de l’adhésion britannique doit constituer un point sur lequel il ne saurait être possible de transiger. Ce que nous attendons de l’adhésion de la Grande-Bretagne est assurément la valorisation de l’économie européenne et la création d’un plus vaste marché, ainsi que l’apport qui pourra en découler pour l’Europe dans des secteurs importants comme celui de la science et de la technologie ; mais nous nous devons surtout de souligner le caractère démocratique que la Grande-Bretagne pourra conférer au processus d’intégration européenne dans son ensemble, par l’introduction, dans les structures européennes existantes, de systèmes et d’institutions propres à l’organisation politique et sociale de la Grande-Bretagne.
Quant à la dimension intérieure de l’Europe, il faut nécessairement tenir compte des progrès scientifiques et technologiques vertigineux accomplis ces dernières années pour tracer la physionomie et les caractéristiques de l’Europe de demain. L’Europe actuelle est née du charbon et de l’acier. Présentement, ces deux facteurs, qui ont pourtant constitué l’épine dorsale de l’économie jusqu’à la seconde guerre mondiale, ont dû céder la place à l’apparition de nouvelles sources d’énergie et à de nouvelles matières premières.
Ce qui compte le plus, aujourd’hui, c’est la recherche scientifique et l’application technologique de cette recherche. Telle est l’explication de l’énorme développement économique des États-Unis d’Amérique. Si elle veut continuer à progresser, l’Europe doit, en temps utile, mettre en commun toutes les ressources, les capacités, les connaissances dont disposent les différents pays et définir une politique communautaire de la recherche scientifique, de la technologie et des sources d’énergie.
De même, il convient de favoriser au maximum la réalisation des Politiques communautaires prévues par le traité de Rome – politique des transports, Politique fiscale, sociale et régionale – dans le cadre d’une programmation économique à l’échelle européenne, qui tende à assurer à la vie de la Communauté un développement harmonieux.
Pour atteindre ces objectifs, le traité de Rome offre les instruments appropriés. C’est pourquoi la définition de l’action future de l’Europe en vue d’atteindre les objectifs que l’on vient d’indiquer ne remet pas en question l’expérience du traité et n’implique pas un « quelque chose de nouveau » qui aurait pour, unique résultat de nous ramener au point de départ. Cette action peut et doit être réalisée conformément à ce qui est prévu par le traité et notre tâche, à nous socialistes, est de donner une impulsion afin que ce traité soit réalisé d’une manière moderne et démocratique.
Une fois définis les objectifs immédiats que l’Europe doit se fixer pour poursuivre son chemin, nous pouvons d’ores et déjà esquisser ce que seront les rapports entre cette Europe, la Grande Europe, qui constitue notre but final, à nous socialistes européens, et le reste du monde.
En premier lieu, les rapports avec les États-Unis, pays avec lequel il faudra instituer un réel partnership, sur une base paritaire, dans tous les secteurs et surtout dans celui de la science et de la technologie. L’Europe ne peut se faire ni contre les États-Unis, ni comme troisième force. Au contraire, plus l’on fait de l’anti-américanisme, plus l’on introduit de contradictions internes dans le système et dans la diplomatie européenne et plus l’on ralentit, ou même anéantit, le processus vers une autonomie de pensée et d’action d’une grande Europe.
La clé de voûte des rapports américano-européens doit être une collaboration dans l’autonomie et non pas une séparation entre l’Europe et l’Amérique.
En deuxième lieu, la ligne de conduite à adopter à l’égard des pays de l’Europe de l’Est et de l’Union soviétique. Le rideau de fer tombé, l’Europe ne peut respirer avec un seul poumon, mais doit rétablir une circulation normale dans l’organisme européen. Il s’agit de développer progressivement des rapports organiques avec ces pays, avec lesquels il existe déjà un réseau serré d’accords bilatéraux.
Il est donc nécessaire d’accroître les rapports existants jusqu’à créer les conditions permettant de parvenir à une véritable institutionnalisation des rapports entre l’Europe occidentale et l’Europe orientale.
En troisième lieu, les rapports avec les pays en voie de développement. De la solution de leurs problèmes dépend, à longue échéance, le sort même de l’humanité. Les deux-tiers du monde vivent dans des conditions de sous-développement économique et le fossé qui les sépare de l’ensemble des pays riches et industrialisés s’élargit au lieu de se combler. Tous les pays industrialisés apportent au tiers-monde une aide qui revêt des proportions considérables. Cette aide se révèle pourtant insuffisante du fait qu’elle est distribuée de préférence par voie bilatérale, c’est-à-dire sans aucune coordination d’ensemble quant à son volume et à sa destination.
Le problème est grave, car il contient les ferments de tensions internationales qui pourraient dans un avenir plus ou moins proche menacer la paix du monde.
L’Europe est en train d’accomplir des efforts considérables surtout à l’égard des pays africains, tant sur le plan bilatéral que sur le plan multilatéral. Mais cela ne suffit pas, puisqu’il faut rechercher la solution de ce problème sur le plan mondial, et l’Europe se trouve à son tour en position d’infériorité par rapport aux États-Unis et à l’Union soviétique dans le secteur de la technique et de la science qui se révèle de plus en plus comme le secteur différenciant les pays déjà industrialisés.
L’appareil de production des États-Unis et de l’Union soviétique est fonction des dépenses militaires et ces dépenses, par leur destination même, permettent aux deux super-puissances de développer considérablement leur appareil de recherche scientifique.
Pour l’Europe il est donc nécessaire de trouver le moyen de réduire le retard enregistré dans le domaine technologique, et ceci non pas, comme certains l’ont proposé, en cherchant à copier le modèle américain ou soviétique, conditionné comme il l’est par le facteur militaire et surtout par le facteur nucléaire. Au contraire, la tâche de l’Europe est de se donner des structures internes rationnelles, de coordonner les efforts de recherche scientifique, en donnant à ceux-ci non le dénominateur militaire, mais celui de l’emploi à des fins pacifiques des moyens les plus modernes existant aujourd’hui. C’est dans cette optique que l’on doit envisager également les rapports entre l’Europe et le reste du monde, rapports qui doivent tendre à canaliser, dans un plan de développement économique des pays sous-développés, les effets dynamiques produits par le progrès scientifique et technologique des pays industrialisés.
Nous nous trouvons donc face à un choix de civilisation. L’Europe unie doit jouer le rôle que lui destinent sa position géographique et sa vocation historique, celui de pont entre les deux super-puissances et de centre de transmission dans le domaine du développement économique entre les régions les plus évoluées, c’est-à-dire les États-Unis, les régions en voie d’industrialisation poussée, c’est-à-dire les marchés de l’Est, et les régions en voie de développement, à savoir les pays du tiers monde.
La recherche scientifique, qui constitue le problème principal que l’Europe doit résoudre, n’est pas seulement un instrument de défense militaire ; elle renferme aussi un énorme potentiel d’énergie mis à la disposition de l’homme en vue du bien-être des populations, du progrès économique et de l’élévation sociale.
Si, grâce à un nouvel élan d’initiative dans la phase actuelle de détente, une grande Europe réussit à s’orienter vers de tels objectifs, elle pourra apporter sa propre contribution à l’élargissement à l’échelle mondiale de ce qu’on appelle la zone de prospérité, ce qui représentera n apport valable au développement économique et social de tous les peuples et à l’instauration de relations pacifiques entre tous les pays du monde.
 

 
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