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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Girard/Front populaire Morin-Richard L'OURS 381
NOUVEAU REGARD SUR LE FRONT POPULAIRE
par Pascal Girard
(L’OURS 381 septembre-octobre 2008)

Gilles Morin, Gilles Richard (dir.), Les deux France du Front populaire Chocs et contre-chocs, L’Harmattan 2008 410 p 25 e

Le livre s’ouvre et se ferme (avec les conclusions d’Antoine Prost) sur une même remarque, fondamentale : le Front populaire a cessé d’être soumis à des enjeux politiques qui polluaient la recherche. Désormais éloigné d’interrogations qui tenaient parfois de « l’histoire-procès », il est un objet d’histoire plein et entier. Fort de ce constat, les organisateurs du colloque ont fait des choix, et en particulier celui d’éviter une trop grande dispersion à visée « commémorative ». Les questions internationales (en particulier la Guerre d’Espagne), la dimension gréviste ou protestataire, qui constituaient le cœur des recherches (et bien souvent des polémiques) passées, ont ainsi été laissées de côté, tout comme certaines approches considérées comme plus neuves (genre, question coloniale, mémoire) mais pas forcément centrales dans l’optique adoptée. On saluera la volonté d’avoir voulu construire un colloque plus « ramassé » et cohérent, centré sur les champs politique et social, leurs dynamiques et leurs interactions.

Recadrage historiographique
L’ouvrage est structuré suivant six thèmes. La première partie est consacrée à un ample recadrage historiographique, qui ne se contente pas de critiques et avance de nouvelles perspectives pour les recherches présentes et futures. Les points faits par Stéphane Sirot sur la question de l’interprétation des grèves (et de leurs sous-entendus politiques) et par Sophie Coeuré sur l’épopée des archives de Moscou, se révèlent à ce titre particulièrement pénétrants et sans langue de bois.

Vient ensuite l’examen des forces politiques – avec un absent de marque, le Parti communiste. Gilles Morin montre avec précision comment le Front populaire a été un – et non l’unique – moment du renouvellement des cadres de la SFIO, mais c’est finalement la droite, sans doute moins bien connue, qui se taille ici la part du lion. Durant les années 1930, la nébuleuse des nombreux mouvements de droite (dans laquelle on finirait presque par se perdre) est certes l’objet d’un processus de radicalisation, mais avant tout d’une profonde restructuration dans laquelle le choc de la victoire de Front populaire a peut-être eu moins de poids que l’irruption du PSF dans le champ politique. Dans son étude des débats parlementaires, Jean Guarrigues replace d’ailleurs ces mutations dans le cadre encore plus large de la crise du parlementarisme.

Les deux parties suivantes analysent les dynamiques sociales à l’œuvre durant la période, en particulier à travers l’étude de divers syndicalismes, eux aussi en voie de recomposition, ou de plusieurs associations. Certes, le Front populaire fut bien un moment de lutte, comme en témoignent les violences dans les campagnes et la restructuration du syndicalisme paysan sur la base de son opposition au Front populaire. Mais les résultats modestes que les ligues de gauche (de l’enseignement, des droits de l’homme, la LICA) ont obtenus témoignent aussi de la volonté d’apaisement du gouvernement Blum, et les lignes de fractures des organisations patronales décrites par Olivier Dard rappellent que, pour une partie du camp d’en face, l’heure était également à la réforme, au pragmatisme et au compromis. De plus, que ce soit le syndicalisme, les conventions collectives, la coopération et la mutualité, ou encore les instances consultatives économiques et sociales, de nombreux aspects mettent en lumière l’importance des regroupements, rapprochements ou contacts, ainsi que le rôle d’une action étatique méconnue et sous-évaluée qui avait tracé la voie à d’autres modes d’action sociale, en particulier fondés sur l’interaction entre État et « société civile ». Nicolas Roussellier souligne d’ailleurs que le Front populaire a non seulement créé une nouvelle pratique politique, mais aussi une forme jusqu’alors inédite d’administration consociative.

Les complexités du Front populaire
Plusieurs études « locales » mettent ensuite en évidence la complexité géographique – et parfois le pittoresque – de la vie politique du Front populaire. Les contrastes sont grands entre l’extrémisme des droites des Bouches-du-Rhône, l’extrême hétérogénéité de l’Aquitaine, ou le conservatisme d’un Est relativement rétif à l’affrontement. Ils témoignent en passant de la valeur indéniable de la dimension locale et régionale que l’histoire politique a parfois eu tendance à négliger.

Le livre se clôt sur l’analyse des cultures politiques, qui révèle de façon criante les contradictions préexistantes au Front populaire et qui devaient hypothéquer son existence. Serge Berstein retrace de façon magistrale la façon dont le Front populaire a fait évoluer – dans la douleur – les difficiles rapports entre culture républicaine, culture marxiste et gauche. Enfonçant le clou, François Lafon prouve qu’en dépit des réécritures ultérieures, le congrès SFIO de Mulhouse de 1935 ne préparait en rien la participation gouvernementale et annonçait au contraire tous les déchirements de la fin des années 1930. Antifascisme et pacifisme ne sont pas oubliés, mais examinés dans leur diversité, tandis que Frédéric Cépède montre que, de façon surprenante et loin de notre vision a posteriori, le Front populaire n’apparaît pas sur les affiches des partis de gauche durant la campagne, et est plutôt l’apanage d’une propagande de droite particulièrement offensive…

Il est difficile de rendre ici vraiment justice à la qualité et à la solidité des trente-trois communications, qui forment un ensemble dense, concluant et souvent novateur. Il s’agit d’une réelle réussite qui nous donne, pour reprendre les mots même des organisateurs, « une vision nettement plus complexe de la période ». Même si la question des chocs, de la confrontation et des violences n’est jamais absente, le Front populaire n’apparaît plus seulement comme un temps de rupture ou comme une courte expérience marquée par l’échec, mais aussi comme un accélérateur d’évolutions plus longues et comme une étape du processus de modernisation sociale et politique qui devait reprendre progressivement après la Seconde Guerre mondiale.

Pascal Girard
Cet ouvrage peut être commandé à l’OURS : 25 e port inclus.
 

 
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