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L'OFFICE UNIVERSITAIRE DE RECHERCHE SOCIALISTE
 
Dictionnaire critique de la République/Roussellier
LA REPUBLIQUE, TOUS COMPTES FAITS ?
par NICOLAS ROUSSELLIER

a/s de Vincent Duclert et Christophe Prochasson (dir.)
Dictionnaire critique de la République
Flammarion 2002 1341 p 125 e

Le compte rendu critique et volontiers polémique que Nicolas Roussellier propose du Dictionnaire critique de la République, dirigé par nos collaborateurs Vincent Duclert et Christophe Prochasson, s’inscrit dans un débat qui n’intéresse pas que les historiens. La République doit être l’affaire des citoyens. Faire un vaste bilan de ses échecs et de ses réussites, au regard de ses objectifs et des discours qui les accompagnent, est plus que nécessaire. A-t-on oublié ce qui s’est passé le 21 avril ? On pourrait objecter à l’auteur de cette critique de prendre en fait ce Dictionnaire pour ce qu’il n’est pas, une thèse sur la République. Mais ce serait vite évacuer les questions qu’il soulève et qui interpellent les historiens sur les champs historiographiques qu’ils labourent, les " lieux de mémoire " qu’ils identifient, sur les travaux qu’il publient : participent-ils ainsi à cette quête du sens ? La question ne peut être évacuée. Les colonnes de notre journal – et celles de Recherche socialiste – sont ouvertes pour la poursuite de ce débat.

On ne sait jamais avec un dictionnaire s’il s’agit d’un enterrement de première classe ou d’une invitation au débat. Avant d’engager le fer, reconnaissons que celui-ci ne peut pas être jugé d’une seule pièce. Il est foncièrement disparate. D’une notice à l’autre, les avis, les points de vue, les sous-entendus divergent et ce pluralisme est revendiqué par les deux maîtres d’œuvre, Vincent Duclert et Christophe Prochasson. Mais, entre l’éclectisme qui est censé laisser le lecteur libre de ses appréciations et le désarroi dans lequel ledit lecteur pourra tout aussi bien plonger, il y a une différence qui, semble-t-il, a été sous-estimée par les directeurs. Quoi de commun entre la vision d’une République quasi synonyme de nationalisme mortifère livrée par Gérard Noiriel (" la République des étrangers ") et celle, plutôt positive, que propose Madeleine Rebérioux (" Les droits de l’homme ") ? Et ces différences ne sont pas de simples divergences. Elles opposent des personnes qui ne partagent ni la même définition de la République, ni la même vision de son histoire, ni le même projet intellectuel pour l’avenir.

Une utile vulgarisation
Certes, un dictionnaire remplit d’abord une fonction pratique. Il fait connaître auprès du grand public les travaux récents et, si possible, les plus novateurs. Il fait œuvre de vulgarisation, au bon sens du mot. Ce pari, Vincent Duclert et Christophe Prochasson l’ont incontestablement réussi. Au long des 1341 pages, d’excellents articles font le point sur les travaux les plus dignes d’intérêt : la " IIIe République " de Philip Nord est présentée avec beaucoup de clarté et de nuances, la " Démocratie " de Patrice Gueniffey, " l’Autorité " de Jean-Pierre Machelon ou la " Souveraineté " de Lucien Jaume avec force et profondeur, " la République des indigènes " (surtout centrée sur l’Algérie coloniale) d’Emmanuelle Saada avec une grande sévérité et une grande justesse, " la République des libres penseurs " de Jacqueline Lalouette avec une impeccable érudition de même que les articles de Jean Baubérot et de Marc Olivier Baruch. Les exemples sont nombreux et on ne peut pas tous les citer. Disons le nettement, le lecteur trouvera dans ce Dictionnaire un vrai livre de référence qu’il pourra goûter au fil de ses curiosités.
L’amateur d’histoire n’est donc pas déçu. Seule une minorité d’articles semble avoir été écrite à la va-vite et recèle de nombreuses erreurs de fait, de date ou de perspective. Quand, par exemple, Michelle Perrot écrit que les " camps nés de la Première Guerre mondiale " se sont déployés tout le long du XXe siècle pour participer d’un même phénomène général (même si elle parle d’une " grande variété de formes et de fonctions ") qui embrasse " l’internement, la relégation, l’extermination, aujourd’hui la rétention pour les demandeurs d’asile ", veut-elle vraiment dire que Drancy = Sangatte ou bien, faute de temps, faute d’utiliser les travaux d’érudition (comme celui de Denis Peschanski pourtant cité en bibliographie), écrit-elle cela à l’emporte-pièce, préférant la prise de position " politique " à la réalité historique d’hier ?

La République introuvable !
Mais le principal problème posé par ce Dictionnaire… ne se situe pas là. C’est plutôt le manque d’une réflexion générale sur la notion française de République qui apparaît au fil des pages. D’un article à l’autre, de l’introduction écrite par les deux directeurs aux deux conclusions décevantes qui ferment le livre, on a vraiment l’impression qu’une définition de la République comme expérience historique échappe aux auteurs, comme un mistigri que l’on est bien content d’offrir à son voisin. Dans une très belle formule qui ouvre son article sur les Constitutions, Odile Rudelle avance : " La République est le gouvernement unitaire de la pluralité française ". Nicolas Tenzer (" La légitimité et la légalité "), dans un article malheureusement trop allusif et difficile d’accès, reprend la définition de la tradition républicaine française comme une conciliation toujours tendue et conflictuelle entre libéralisme des institutions et démocratie sociale, entre démocratie procédurale et démocratie participative. En dehors de ces quelques éclairs, la République en elle-même est un peu l’Arlésienne du dictionnaire, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes !
Certes, la République en France n’a pas eu qu’un seul visage et ne saurait recevoir une définition trop carrée. Non seulement elle est passée d’un avatar constitutionnel à l’autre (cinq républiques et ce n’est peut-être pas fini !) mais elle a changé de nature politique entre le parlementarisme d’hier et le présidentialisme d’aujourd’hui ; elle a surtout vécu dans des contextes économiques et sociaux radicalement différents, deux ou même trois révolutions industrielles étant passées par là. Alors, bien sûr, il n’existe pas de " modèle républicain ", le terme étant de toute façon galvaudé. Il n’y a pas de déesse République qui plane au-dessus de l’histoire française comme pour protéger la nation des mutations de la politique et de la société moderne. Il n’existe pas non plus de " tradition républicaine " sauf pour les juristes qui ont besoin, pour l’exercice même de leur profession, d’une continuité conçue en droit mais qui n’existe pas en fait : la conception des libertés publiques en 1900 n’a pas grand-chose à voir avec celle que nous nous faisons aujourd’hui, sous la férule du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme.
Mais toutes ces difficultés ne peuvent pas excuser le flou de la perspective globale. Car il existe bien une " idée républicaine " comme l’avait si bien montré Claude Nicolet, et cette idée, formée au XIXe siècle, conserve, dans ses grandes lignes, la même pertinence. Par exemple, le vieil adage de la primauté de l’intérêt général sur les intérêts particuliers, aussi " ringard " soit-il, aussi antipathique puisse-t-il paraître quand on est soucieux de protéger les différences ou de réhabiliter le rôle de la société civile, reste entièrement pertinent dans sa tension constitutive que cela soit pour la question de la décentralisation ou celle de la nationalité et du multiculturalisme. Il est dommage de ne pas avoir saisi l’occasion de faire un vaste bilan critique de la République, à un moment où, pour nos contemporains, il serait le plus nécessaire.

Trois questions pour un débat
Trois questions controversées auraient dû être plus directement abordées et traitées, nous semble-t-il :
1) Tout compte fait, la forme française de la République a-t-elle été favorable ou sournoisement hostile à l’exercice des libertés individuelles et collectives ? A-t-elle été particulièrement dure pour les grévistes, les manifestants, les congrégations catholiques, contre les étrangers et contre les déviants ? Ou a-t-elle simplement dérapé à certains moments, à l’image de n’importe quel autre État supposé de droit, face à des situations extrêmes ? A-t-elle été habitée depuis toujours par une sorte de méfiance programmée envers les minorités, les différences et les altérités ? Ou s’agit-il d’un écart fatal mais inévitable entre les droits de l’homme proclamés et les difficultés de leur application ? Et, de ce point de vue, oui ou non, Vichy est-il un révélateur de la vraie " nature " de la République ou, plus simplement, l’aboutissement de la crise de l’entre-deux-guerres ?
2) Tout compte fait, la République peut-elle être considérée comme une expérience réussie de démocratie sociale ou bien, au contraire, comme une expérience ratée, dissimulatrice et fortement reproductrice des inégalités économiques, sociales et culturelles ? L’école, les services publics et la Sécurité sociale sont-ils à la hauteur des idéaux de la " République sociale " ou doivent-ils être considérés comme de simples et maigres consolations ?
3) Tout compte fait, dans ses aventures extérieures et notamment ses aventures coloniales, la République a-t-elle réalisé une extension logique de son projet fait de volonté de puissance et de négation de l’étranger, ou bien a-t-elle dévoyé ses principes pour pouvoir répondre au défi de puissance que lui imposaient ses voisins ? L’universalisme de la grande nation est-il délétère et fallacieux depuis le départ, masquant la volonté d’expansion nationale et de domination culturelle, ou bien a-t-il été le moteur et l’inspiration d’une pacification des relations entre les États, depuis la Ligue des nations formulée par Léon Bourgeois au début du XXe siècle jusqu’à l’Union européenne d’aujourd’hui ?

Faire de l’histoire
Toutes ces questions ne sont pas minces, c’est le moins que l’on puisse dire. Elles sont parfois abordées dans certains articles mais trop rapidement. Les articles sont souvent trop courts ou, pour certains, trop prisonniers des jargons universitaires ou d’une virtuosité qui tourne à vide. Plutôt que ces questions austères et difficiles, le Dictionnaire de Vincent Duclert et de Christophe Prochasson a privilégié les aspects culturels de l’histoire républicaine. Mais tous ces raffinements sur le protocole républicain et la République des timbres-poste pèsent-ils le même poids que les grands sujets " classiques " que l’on croit faussement archivus et archiconnus et qui sont en train de devenir de véritables friches historiographiques ? Entre la fuite en avant dans une folklorisation de l’histoire républicaine et la fuite en avant dans la recherche de postures universitaires, il y avait une place, une place pourtant immense et centrale, ouverte à l’histoire de la République comme problème politique et social.
Nous touchons ici à ce que Gérard Noiriel avait appelé à juste titre la " crise de l’histoire " (le contenu de son livre étant un autre problème). Devant le monument République, certains récitent leur histoire comme un Notre Père et la revisitent la main sur le cœur, encensant Ferry, Blum, Mendès ou même, pour les plus naïfs, Mitterrand. D’autres, profitant des dividendes de la médiatisation, se battent la coulpe sur les pages noires de la République tout en cachant la place de leurs engagements perdus. D’autres enfin, tentent de la rendre chatoyante et lui ajoutent des fêtes, des expositions, des images et des atours qui rivalisent d’attraits. Mais à courir les chemins de traverse ou à chasser les scoops médiatiques, on fuit l’essentiel. Notre histoire rabattue sur une mémoire que personne n’est capable de définir et une culture devenue l’icône nationale tient à la fois du musée des horreurs et de l’écomusée prétendument culturel. Repentance et divertissement, la voilà la belle alternative ! Rien de tout cela ne fait avancer d’un iota les grandes questions philosophiques, politiques et sociales qui sont posées aussi bien à notre passé qu’à notre présent : la liberté a-t-elle été libération de l’esprit ou a-t-elle été dévoyée en simple judiciarisation des conflits et des égoïsmes, l’égalité fonde-t-elle l’exigence d’une communauté de citoyens ou est-elle le masque de dominations inchangées, la fraternité a-t-elle permis l’expérience tangible de la solidarité ou s’est-elle muée en bureaucratie des droits acquis ?
Fermant le livre, nous avons bien lu un dictionnaire de la République, mais point, ou seulement à la marge, un dictionnaire critique. On en sort plus érudit sur bien des points, mais finalement moins instruit. Désolé ! Qui aime bien châtie bien. Il faut bien, de temps en temps, dire des choses que l’on croit justes.
N. R.
Lire la réponse de Vincent Duclert
 

 
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